Bien ou mal agir peut parfois ne tenir qu’à un fil; car, chaque action, chaque parole correspond à un moment décisif. Et, la droiture, l’agilité de l’esprit que l’on nomme intelligence réside dans la capacité à déceler et à saisir ce moment. Quiconque se méprend à s’abstraire de cette précaution élémentaire n’est ni plus ni moins qu’un aveugle pétri d’inconscience qui se plaît à répandre des poignées d’épines sur son propre chemin. Un tel esprit étriqué ne saura en toute circonstance que jouir contre ses propres intérêts.
Le récent embastillement d’acteurs de la Société civile à l’issue d’une marche pourtant autorisée est de nature à suffoquer l’entendement, tant il s’agit d’une balourdise politicienne qui apporte une nouvelle preuve que notre société tchadienne a horreur de se muer en État de droit. La culture de l’autoritarisme gangrène tant et si bien le logiciel idéologique de nos gouvernants que nous en trouvons réduits à des bizarreries comportementales dignes des monstruosités les plus chimériques, les plus cauchemardesques. Il est évidemment bien entendu de tout esprit rigoureux et objectif que lui incombe tout débordement anarchique lors des manifestations pacifiques constitue, pour les organisateurs de ces manifestations une onction au baiser de la mort que la frénésie du droit de manifester aura malheureusement éludée. Cependant, quel intérêt y aurait-il objectivement à bâtir toute procédure judiciaire dans le sillage de cette imprudence? À dire vrai, les hommes et les femmes qui nous gouvernent sont frappés d’une ivresse aveuglante de l’autoritarisme. Car, lorsque l’on tient son détracteur par le bon bout du droit, il faut être singulièrement insensé pour saborder son argumentaire légitime au profit de méthodes brutales et à la hussarde. La convocation des mis en cause dans un bureau ministériel pour ensuite les faire mettre sous verrous par la force publique, illustre une mentalité de voyous. En effet, un État ne peut en première intention tendre un piège à ses citoyens, surtout lorsqu’il s’agit de personnes n’ayant jamais fait preuve de récidive ni de délit de fuite quant à quelque contentieux. La déportation des malheureux embastillés alors même qu’aucune condamnation n’a été prononcée contre eux qui requerraient un transfèrement, procède d’une pratique moyenâgeuse qui substitue la présomption de culpabilité à celle légale d’innocence. En un mot, nos gouvernants auront saisi la seule occasion de cette marche souillée par des actes de vandalisme pour exhiber avec force vulgarité la destination, l’inversion qu’ils vouent à l’orthodoxie républicaine et à la droiture morale. Personne n’ira alléguer d’emblée que nos chers concitoyens embastillés seraient blancs comme neige dans cette rocambolesque affaire. Simplement dans un État de droit, le crime, la culpabilité ne se décrètent pas au gré des caprices des dirigeants; ils s’établissent objectivement à l’aune et à la lumière des lois. Hélas, les hommes et les femmes qui nous gouvernent semblent avoir la malhonnêteté infuse, la culture de la falsification pour paradigme. Ils sont comme le cleptomane qui, à défaut d’une tierce victime à voler, tente en toute absurdité de se soutirer malicieusement son propre portefeuille pour calmer l’ardeur de son vice. Autrement dit, même avec toutes les cartes légales entre les mains, il est plus excitant de faire entorse à la loi que de se soumettre à ses fourches caudines.
Ce qui est à lire dans ces comportements aussi archaïques qu’insultants, c’est que notre imaginaire politique est entièrement irrigué par le venin de la violence ; laquelle violence connaît ses déclinaisons qui sont l’intimidation, l’arrogance et l’arbitraire. Nous croupissons sous un système qui assimile tous les codes du savoir-vivre, tous les attributs de la civilisation à la faiblesse, à la lâcheté. Ainsi, si attendre son tour de passage dans une file d’attente, demander pardon lorsque l’on bouscule par inadvertance autrui, ou d’autres règles si élémentaires de la vie en société paraissent une corvée à nombre de nos concitoyens, cela est la résultante logique du ruissellement et de l’inspiration de notre culture de la violence politique.
Comment aspirer au meilleur dans l’infernal engrenage d’une telle société. Ce sur quoi l’on est en droit de l’interroger, c’est le plaisir que pourrait prendre en conscience notre classe dirigeante à se fourrer aussi souvent le doigt dans l’œil, en particulier à l’actuelle période où elle tient à peine sur une si délicate ligne de crête. Deux seules hypothèses plausibles s’offrent à nous. Premièrement, nos dirigeants manquent d’intelligence au point de ne même pas être en mesure de distinguer entre ce qui leur serait bénéfique et ce qui leur nuirait. Cette hypothèse ne résiste guère à l’analyse, car repérer ce qui nous est dommageable répond très souvent du trivial instinct de survie et ne nécessite pas essentiellement. En second lieu, il y aurait dans la gouvernante sphère un farouche et authentique opposant de cœur, rompu dans l’art du camouflage et de la dissimulation, qui inspirerait délibérément les décisions maladroites, impopulaires afin qu’explose la casserole bien bouillante des révoltes silencieuses. Cette dernière hypothèse est sinon vraie du moins plus logique et redevable. Car, la bêtise politique voire la bêtise tout court de nos gouvernants surpasse l’entendement… quoi qu’il en soit, ce dont nous nous devons de nous rendre à l’évidence c’est que la peur stupide qui naguère tenait le peuple tchadien amorphe relève d’une sémantique du passée; mieux vaudra conjuguer tout projet dans le consensus pour espérer des lendemains meilleurs. L’immoralité comme paradigme de gouvernance aura fait son temps. Quiconque s’obstinera à la remettre au goût du jour se doit d’avoir conscience de s’acharner stérilement à parler une langue morte.
Béral Mbaïkoubou, Député.