La peur de la retraite des fonctionnaires de l’Etat

La plupart des fonctionnaires de l’Etat tchadien ignore la loi qui régit leur emploi à la Fonction Publique. Pour eux, l’essentiel est d’être employé et percevoir le salaire mensuel. Peu importe la connaissance de la loi.

Cette loi devrait être la première chose à avoir pour savoir quelles sont les droits et obligations qui les lient à l’Etat. Pire, bien d’autres font fi de leur avancement en échelon et grade. Ils demeurent au même niveau à leur entrée. C’est ainsi que beaucoup de fonctionnaires sont atteint par la limite d’âge sans le savoir et sans un moindre effort pour leur avancement. Pour leur départ en retraite, le ministre ne leur délivre aucun préavis ou une notification de fin de contrat prélude à la fin du contrat et par conséquent, un proche futur de leur départ en retraite. Pour certains d’entre eux, la retraite est une surprise. Ils la découvrent lorsque qu’ils vont à la banque pour percevoir leur salaire. Constatant que ce salaire n’est pas disponible sur leur compte et après plusieurs navettes à leur banque et au service de la solde, ils s’aperçoivent que le salaire du mois attendu n’est pas servi parce l’intéressé a atteint la limite d’âge de retraite. Cette surprise frappe gravement ceux qui n’étaient pas préparés à l’idée d’aller en retraite.
Conformément à l’esprit de la loi, la retraite marque la fin d’une carrière bien remplie après de bons et loyaux services rendus à la nation. Selon la Loi N°17/PR/2001 portant statut général de la Fonction publique en son article 126, “l’admission à la retraite marque la fin normale de l’activité du fonctionnaire et lui ouvre droit à la pension dans les conditions fixées par le code de pension.” Aussi, l’article 127 prévoit que “la limite d’âge pour être admis à la retraite est fixée à soixante ans. La mise à la retraite intervient lorsque le fonctionnaire a atteint la limite d’âge réglementaire dans son corps…” Cette fin de carrière qui devrait être célébrée en apothéose est paradoxalement redoutée. Depuis quelques décennies, les fonctionnaires de l’Etat s’inquiètent de ce moment fatal du départ à la retraite. Les fonctionnaires admis à faire valoir leurs droits à la retraite craignent de broyer du noir après ce départ à cause de la pension qui leur est difficilement versée. C’est un constat persistant que des retraités, personnes du troisième âge battent le pavé dans des mouvements de manifestation publique pour revendiquer le versement de plusieurs coupons trimestriels. En réponse à leurs réclamations, les forces de l’ordre font usage des moyens violents (de la répression à la matraque et à la grenade lacrymogène) pour les disperser. Le spectacle désolant est celui de voir des personnes sans force réclamer au prix de leur vie une maigre pension qui est leur unique ressource vitale. Réprimés sans résultat, ces derniers sont exposés à une mort lente certaine et atroce. Ceux qui les répriment oublient qu’ils vivront le même sort à leur tour le moment venu.

Les stratégies de survie post-retraite
Ce triste constat effraie les fonctionnaires dont l’âge de retraite approche. Quand approche la retraite, l’inquiétude saisit les agents concernés. Parfois surpris par la retraite, certains tombent malades et succombent de soucis. (…) Compte tenu des difficultés sociales que vivent au quotidien les fonctionnaires de l’Etat, il leur est difficile de préparer une retraite doré. Bien de fonctionnaires partent en retraite sans avoir investi pour le reste de leur vie. Résultat, les retraités sont malheureux et vulnérables. (…) Beaucoup de retraités ne connaissent pas une vie aisée ni une longue vie après la retraite, faute de moyens de subsistance. (…)
Honoré sous d’autres cieux, au Tchad, le retraité est martyrisé en dépit des bons et loyaux services rendus à la nation, quels que soient leurs statuts respectifs, exception faite des privilégiés ayant des relations avec des personnalités. Telle est l’ingratitude inacceptable que vivent les retraités.
Sachant le sort qui les attend après la retraite, certains fonctionnaires développent des stratégies pour s’accrocher: négociation de contrat avec l’Etat pour échapper à cette mort précoce mais certaine qui les guette. Ce phénomène est récurrent ces derniers temps. Ainsi, des personnes du troisième âge se trouvent à occuper des fonctions qui ne peuvent plus remplir mais tentent de garantir un espoir de survie face aux aléas liés au versement de la pension. Alors, ces retraités, de nouveau recrutés sous contrat à durée déterminée renouvelable, usent de tous les moyens pour se maintenir vivants. Usant aussi des relations avec des proches bien placés dans les hautes sphères de l’administration ou justifiant de leur engagement ferme dans le parti au pouvoir ou parti allié, ils font prévaloir leur droit militant à profiter des faveurs administratives. Conséquence, des jeunes diplômés sont laissés pour compte au profit des personnes qui ne peuvent plus produire. Par d’autres astuces, certains retraités font des mains et pieds pour être promus à des postes nominatifs. Ainsi, c’est comme si pour certains postes l’âge ne compte pas. Ainsi, la retraite est faite pour les uns mais pas pour les autres. (…)
Pour les hommes politiques ou les proches des décideurs, tout est mis en œuvre pour émarger doublement dans les caisses de l’Etat: la pension et les honoraires, les primes ou indemnités. Pendant ce temps, de l’autre côté, les jeunes diplômés attendent désespérément. Parfois, on a pitié de l’agent de l’Etat, retraité qui peine sans force à aller au travail, monter l’escalier pour arriver à son petit bureau pour travailler côte à côte avec ses petits-fils et petites-filles. Ce qui gêne énormément les jeunes travailleurs qui sont obligés de lui vouer du respect gêné.
Pour les fonctionnaires avertis, la retraite se prépare. Alors, à l’approche de ce moment, ils préparent des champs, des vergers et entreprennent des activités de maraîchage, d’élevage ou autres activités génératrices de revenus. Pour d’autres au contraire, la vie de l’ambiance juvénile arrosée d’alcool dans les bals à mamans ou à papas et des frivolités se poursuit jusqu’à la date fatidique. (…)
Après la retraite, la simple préparation du dossier de pension leur échappe faute d’argent pour les démarches. Ainsi, ils peuvent passer longtemps sans pension de retraite.
Pour beaucoup de fonctionnaires donc, la retraite est une fosse béante devant eux, ils y tombent brusquement et la terre se referme, telle est la triste fin de leur carrière. Mais ceci n’est nullement une fatalité.
Dans ce contexte général, rares sont ceux qui s’en sortent bien dans la vie de retraite. S’en sortent ceux qui sont préventifs et visionnaires. Mais aussi, ceux qui ont, pendant leur exercice, en position privilégiée, pillé les biens de l’Etat ou spolié de pauvres citoyens de diverses manières.

A qui la responsabilité?
La responsabilité de leur situation des retraités n’incombe pas seulement à l’Etat seul, mais aussi aux fonctionnaires qui doivent penser à préparer la retraite dès l’intégration à la Fonction Publique et la perception du premier salaire pour ne pas se laisser surprendre par un arrêté de retraite qui tombe comme un couperet sur la tête du fonctionnaire. Certains personnes, prises dans la belle vie de salarié oublient que demain arrive la retraite. L’impréparation de la retraite n’est pas la responsabilité de l’Etat mais une responsabilité personnelle du fonctionnaire. Il est donc mieux de garder les yeux ouverts sur l’avenir, éviter de se retrouver dans la rue sans logement, sans prise en charge médicale en cas de maladie et sans nourriture. Il est difficile pour une personne âgée d’avoir faim sans solution. Ceci abrège la longévité du retraité.

Le désarroi des jeunes diplômés
Face à la résistance de départ en retraite, les jeunes diplômés se retrouvent oisifs en chômage sous des arbres à jouer au scrabble ou aux cartes ou encore se laissent aller à aux comportements déviants: alcoolisme, consommation des substances nocives. Pour les filles, elles s’exposent à la prostitution dans un total désespoir de leur avenir. Tout ceci a pour conséquence, la délinquance juvénile, l’insécurité, le gonflement de la masse de chômeurs dont l’Etat n’a aucune maîtrise des statistiques.
Les jeunes abandonnés au profit des personnes du troisième âge constituent une masse de bras valides au chômage à durée indéterminée. Ceux-ci constituent une charge à durée indéterminée pour leurs familles qui ont tout donné de leurs ressources pour assurer leurs formations universitaires ou professionnelle au pays ou à l’étranger. Cette situation est d’autant plus précaire. Les opportunités de recrutement dans le secteur privé sont bien limitées car les entreprises publiques et privées sont dans un environnement économique délicat face à la fiscalité et aux difficultés d’accès à l’énergie. Cette situation étrangle leur budget et les soumet à une situation de quasi crise sur fonds de corruption rampante et endémique qui freine leur développement.
Aussi, dans les secteurs public et privé, le népotisme, l’injustice, l’exclusion et la discrimination sont monnaie-courante si bien que décrocher un emploi implique de montrer patte-blanche; ce qui veut dire que pour décrocher un emploi, il faudrait être recommandé par une personnalité ou appartenir à un cercle particulier malgré les compétences techniques pour occuper le poste en compétition.
Dans ce contexte préoccupant de chômage massif des jeunes, les hommes politiques continuent à berner les jeunes par des discours flatteurs comme: jeunesse, fer de lance de la nation, jeunesse responsable, jeunes qui osent, jeunesse pour un Tchad prospère, … Ces promesses politiques mirobolantes n’engagent que ceux qui y croient et les applaudissent. Ces discours sans avenir visent une seule fin: endormir les jeunes pour les utiliser demain comme moyen électoral. Après des élections, de nouvelles promesses vides de sens sont faites et le cycle continue ainsi depuis des décennies.

Lazare Tikri Serge
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