Pour mettre terme à la recrudescence des violences basées sur le genre, le Consortium des associations féminines au Tchad a organisé une marche pacifique intitulée “Stop aux violences faites aux femmes et à l’impunité des auteurs”, le 21 juin 2021 à N’Djaména.
Sans pudeur, les manifestantes brandissent: “respectez mon vagin”, “mon vagin, mon patrimoine”, “ma chatte ma priorité”, et plus décisives elles s’engagent à “briser le silence”, car “une victime de plus, c’est une de trop”. Ces mots crus que dévoilent les pancartes dénoncent des cas de viol les plus abjectes que subissent les femmes au quotidien. Majoritairement en pantalon et T-shirts noirs ou oranges, foulard ceint à la hanche (image d’une africaine prête à affronter l’adversité), les femmes ont entamé la marche avec les consignes et mots de réconfort de l’une des figures de proue de cette lutte, l’artiste slameuse Epiphanie Dionrang, la présidente de la Ligue tchadienne des droits de la femme (Ltdf). “Bien que notre pays soit instable actuellement, nous avons toutes cru que cela ne constitue pas un obstacle pour réclamer, arracher notre dignité volée, arracher ce respect dont nous méritons, nous faire entendre. Il y a 20 ans, nos mamans ont osé marcher pour cette même lutte que nous menons aujourd’hui. Nous n’allons pas seulement répéter l’histoire, nous allons la réécrire pour les générations futures. Nous ne vous promettons pas que ça va changer sur le champ, mais sachez que c’est une lutte et cela prendra du temps. Ce qui est sûr, notre action d’aujourd’hui va influencer cette lutte”, harangue-t-elle.
L’hymne national, la tchadienne aux lèvres, genoux posés au sol à tous les 100 mètres, les manifestantes sont quadrillées en grande partie par des policières. Tout le long de leur parcours, allant du Palais de justice au Palais du 15 janvier, elles ont lancé des propos teints de colère. Dans la cour du Palais du 15 janvier, elles ont fait passer le message de sensibilisation pour tirer la sonnette d’alarme sur cette situation préoccupante, que représentent les violences faites aux femmes. “Nous avons assez supporté. Nous nous sommes tues et avons patienté, croyant que la situation allait changer, mais, cela n’a fait que s’empirer. Chaque jour, nous nous réveillons avec un cas de violence et nous nous endormons avec un autre. C’est dans l’optique d’éradiquer ces violences faites aux femmes et de restaurer la justice que nous, femmes tchadiennes, avons décidé qu’il est temps de sortir de l’ombre et ceci pour une première, à travers une marche pacifique par consortium, impliquant des organisations féminines et activistes pour réclamer les droits de la femme, dire non à ces violences et à l’impunité qui meurtrissent les femmes. Nous voulons être écoutées, comprises et respectées dans nos droits et devoirs”, scande Mornondé Marie, membre de la Ltdf.
Redresser la barre juridique
Avant d’entamer cette marche, les manifestantes ont remis des recommandations au ministère de la Justice, aux chancelleries et au procureur général de la République, leur demandant de redresser la barre juridique, défavorable à la gent féminine. Les femmes recommandent au gouvernement de “garantir une protection des droits des femmes tchadiennes; rendre indépendantes les institutions judiciaires ; créer une unité spéciale de gestion des cas de violences faites aux femmes et impliquer les organisations de la société civile; assurer une répression rigoureuse et conforme aux textes contre des auteurs de violences faites aux femmes”. Elles réclament également un état des lieux des dossiers relatifs aux cas de violences faites aux femmes; une subordination effective des normes infra-législatives et attendent que la justice soit accessible aux victimes de violences.
Youssouf Tom, procureur général de la République, demande au consortium de recenser des cas afin d’engager des procédures judiciaires.
Elles reviennent de loin
La manifestation du 21 juin résulte d’un long combat aux parcours périlleux, que les défenseurs des droits de la femme ont entamé. Il y a 20 ans, les femmes ont montré leur malaise de vivre avec des hommes qui ont une perception révolue (objet sexuelle) de la femme. Elles ont subi ce jour, une répression violente et macabre. Depuis lors, elles n’ont pas cessé d’encaisser et de subir toutes les formes de violences sans défense et en silence. Mais leur réveil brutal est la diffusion d’une vidéo de sextape en 2016 : l’affaire Zouhoura. Les manifestations contre ont occasionné deux morts et des blessés.
L’année dernière, les femmes ont organisé des séances de communication en art et photo pour passer le message. Elles avaient voulu profiter des 16 jours d’activisme, pour organiser des actions fortes, afin d’arrêter cette chosification de la femme, mais en vain. “On a voulu organiser cette marche pendant les 16 jours d’activisme de novembre à décembre 2020. Nous avons essayé d’envoyer des courriers d’autorisation qui n’ont pas abouti”, explique la présidente de la Ltdf, Epiphanie Dionrang.
Une justice courtoise
Comme la justice est devenue courtoise à l’égard des auteurs des viols ou des violences, la diffusion des vidéos à caractère obscène, pour humilier les victimes tend à devenir un acte de bravoure et de gloire. La goutte de trop est la récente affaire de viol impliquant les enfants des généraux et une fille d’un officier de la police. A ce sujet, les langues se délient et les tchadiens semblent comprendre enfin, que les droits des femmes ne sont pas facultatifs. Les voix se sont élevées pour dénoncer cette pratique moyenâgeuse. Les femmes sont revenues à la charge après cette vidéo. “On enregistre des cas de violences qui s’évaporent dans les couloirs du Palais de la justice au quotidien. Récemment, on a géré un cas de viol d’un commandant sur une fille de 15 ans. Le commandant a été relâché sans que les juges ne soient au courant. Alors, nous avons relancé une demande de manifestation cette année, en nous pliant aux textes des nouvelles autorités afin d’obtenir cette autorisation. Nous, la Ltdf, n’avons pas voulu aller solitaire, mais plutôt réunir nos forces avec toutes les femmes qui luttent dans ce sillage, les associations et organisations de lutte contre les violences basées sur le genre. Nous avons au départ créé un groupe pour échanger, puis organiser des réunions pour discuter des modalités. Nous avons mis une équipe d’organisation sur pied puis avions et déposé une demande avec 10 signataires. La note a fait le circuit, nous avons pris des engagements afin que l’autorisation puisse être disponible le jour, signée le 18 juin 2021 mais remise le 20”, détaille-t-elle.
La nouvelle ère
Le Tchad a ratifié plusieurs conventions sur l’élimination des violences (basées sur le genre faites aux femmes) qui fait de lui un mauvais élève sur le plan international, si les violences persistent. C’est une option que les défenseurs veulent utiliser pour ouvrir une nouvelle ère pour notre pays. “Après rétrospection, nous nous sommes rendus compte que pendant tout ce temps, nous menons notre lutte dans le silence alors que nous savons pertinemment que pour atteindre notre objectif qui est d’éliminer cette forme de violence dans cette société, nous ne devons pas avoir peur des obstacles. De ce fait, il nous faut donc sortir de ce silence vicieux, nous imposer et revendiquer nos droits et la justice, afin de préserver notre dignité en tant qu’être humain”, défend Mornondé Marie.
Désormais, les femmes comptent faire le porte-à-porte, pour expliquer à leurs sœurs l’importance de ce combat, leurs droits et devoirs, les possibilités de poursuite à la justice et aussi les encourager à briser le tabou autour d’elles. “Nous allons organiser des sensibilisations dans les écoles, discuter avec des hommes autour de cette lutte, faire des suivis psychologiques, mettre à jour un numéro vert afin de permettre aux victimes d’appeler et de disposer davantage d’un accompagnement juridique”, projette Dionrang. “Tant que nous n’avons pas de réponse favorable, une solution adéquate, la marche va continuer. Il y aura l’acte 2 et 3 de la marche tant que la situation sévira et on croit fermement que justice sera rendue”, promet-elle.
Nadjindo Alex
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