Une semaine après sa mise en place, le Conseil militaire de transition (Cmt) imprime ses marques: répression sauvage des manifestants, refus de dialoguer avec les politico-militaires, nominations des personnalités qui ne font pas l’unanimité, etc. Bref, on s’inscrit dans la continuité du régime Mps.
Alors même qu’il s’adressait pour la première fois à la nation tchadienne depuis son imposition contre la volonté populaire à la tête de l’Etat, le général de corps d’armée, président du Conseil militaire de transition, Mahamat Idriss Déby alias Kaka, compte déjà une dizaine de morts sur la conscience. Des morts comptés parmi les manifestants, qui protestent contre la mise en place de la junte militaire qu’il dirige. Pourtant, dans cette première adresse du 27 avril, le président du Cmt n’a cessé d’évoquer la question de la paix, de la réconciliation et de la stabilité du pays. Au moment même où il s’adressait à cette nation, les centres de santé et hôpitaux s’emplissaient des blessés par balles réelles ou asphyxiés par des grenades lacrymogènes utilisées contre les manifestants à mains nues par les forces de défense et de sécurité parmi lesquelles celles de troisième degré. Certaines victimes, sans compter les morts sur place, ont succombé des suites de leurs blessures. C’est sans compter aussi, les nombreuses personnes parmi lesquelles des enfants, femmes enceintes et des personnes de troisième âge, qui ont été asphyxiés de gaz lacrymogènes jetés dans des concessions, voire dans des chambres à coucher. C’est horrible ! Il faut ajouter à cela les arrestations massives des mécontents et le porte-à-porte fait par les militaires pour bastonner et enlever les gens, qui n’avaient curieusement rien à voir avec la manifestation.
Cette journée du 27 avril n’a jamais été vécue auparavant, même pas sous le règne du feu Maréchal Idriss Déby Itno. La cruelle répression de ce jour fait réagir tout le monde, du moins ceux qui ont de l’humanisme dans le cœur. Sauf le jeune président du Cmt qui n’a pas daigné faire cas des nombreuses personnes tombées sous les balles des hommes en treillis qu’il commande désormais et qu’il a ordonné de réprimer. Kaka manque déjà d’humanisme. Il est sans pitié, sans compassion alors qu’il venait aussi de perdre son père.
Dans son discours décliné en saccade, Mahamat Idriss Déby fait croire que le seul objectif du Cmt est “d’assurer la continuité de l’Etat, la survie de la nation et l’empêcher de sombrer dans le néant, la violence et l’anarchie”. Alors pourquoi a-t-il envoyé réprimer sauvagement des gens qui expriment leurs mécontentements contre la mise en place précipitée du Cmt et le soutien de la France? De quel néant, quelle violence veut-il parler lui et sa bande de soldats sans pitié? La protestation du peuple contre la prise du pouvoir du Cmt et le soutien de la France a pour seul objectif: le refus d’être maintenu dans le même système de gouvernance inefficace depuis plus de 30 ans. Et, ce n’est pas de cette forme de continuité de l’Etat dont parle le patron du Cmt que le peuple veut. Non ! C’est la continuité constitutionnelle de l’Etat que le peuple revendique. Et la constitution de référence est celle de 1996, non celle taillée sur mesure de 2018 pour le seul but de maintenir un seul homme au pouvoir.
Comme un coup de tonnerre, le jeune général de corps d’armée qui s’est taillé d’abord une charte pour agir en roi, nomme un Premier ministre de transition qui ne fait pas l’unanimité. Celui-ci n’est pas non seulement une personnalité assez neutre, mais un homme qui a toujours fait le jeu du pouvoir et est considéré comme un faire valoir du régime de feu Idriss Déby Itno qui bataille fort pour maintenir son système. Dans cette posture, Pahimi Padacké Albert qui a longtemps été allié à ce régime et l’est toujours, n’est en aucun cas un élément fédérateur pour réussir une transition digne de ce nom.
L’autre nomination qui expose clairement la vision répressive et violente du Cmt et qui exprime sa volonté de confisquer le pouvoir est la présence du général de corps d’armée Tahir Erda Tairo à la Direction générale de la sécurité des services et institutions de l’Etat (Dgssie). Cette dernière est une élite bien entretenue, équipée pour, en réalité, assurer la sécurité présidentielle et celle de la famille au pouvoir. Sans pitié, prête à tout pour la sauvegarde du pouvoir. Et Tahir Erda s’est toujours illustré dans ce domaine. Sa nomination à la tête de cette institution est stratégique. Il assumera avec brio cette mission de répression qui a d’ailleurs commencé avec force ces derniers jours. Le schéma est identique, il n’y a pas de différence entre le régime Mps qui disparaît avec la mort de son fondateur mais qu’on veut coûte que coûte ressusciter par tous les moyens. Ce qui explique d’ailleurs le soutien du Mps au Cmt, par la voix de son secrétaire général Mahamat Zen Bada, dès les premières heures. Le président du Cmt place bien les mêmes personnes vomies du temps de feu son père pour continuer l’œuvre. On s’inscrit donc dans la continuité d’une gouvernance clanique et répressive qui a fait de nombreux exilés tchadiens. Aujourd’hui, alors que la situation perdure, on lance un semblant d’appel “aux compatriotes en exil, pour une raison ou une autre et qui sont loin de leurs terres, de rentrer au pays pour bâtir ensemble”. Mais un jour plus tôt, avant cet appel, le Cmt a marqué son refus de dialogue avec des tchadiens également en exil et qui ont pris les armes. Ceux-là, pour le Cmt, sont des terroristes. Pourtant, c’est aussi par les armes que le régime Déby semble se perpétuer de père en fils pour régenter.
Nadjidoumdé D. Florent