Pour une Transition apaisée et un Tchad nouveau

A présent que la polémique autour du transfert du pouvoir post Déby, et du modèle de Transition proposé aux tchadiens par les militaires désenflent peu à peu, l’idée d’une contribution, en toute humilité, sur le dialogue “inclusif” réclamé par la classe politique, et accepté par le nouveau chef de l’Etat anime notre esprit de contributeur de l’éclosion d’un mouvement associatif en 1991 et de la Conférence nationale souveraine (Cns) de 1993.

Laissons le débat sur la forme que cette messe prendra, sa durée et la qualité des participants aux plus qualifiés, et penchons-nous sur quelques problèmes d’une ampleur et d’une étendue extrêmes les uns que les autres. Prétendre aborder l’ensemble des éléments constitutifs de la crise tchadienne qui n’en finit pas à la faveur du dialogue annoncé relève d’une gageure. Aussi, notre propos tentera surtout de suggérer des sujets à aborder, notamment ceux que beaucoup considèrent comme étant le reflet des problèmes de fonds, récurrents, antérieurement examinés durant à la Conférence nationale souveraine de 1993, et qui pourtant demeurent toujours dans leur entièreté, et plongent le pays dans des cycles de crises, fragilisent l’existence même de l’Etat dans ses fondements, et figent les populations dans une extrême précarité depuis plus d’un demi-siècle.

Une Transition est une période plus ou moins courte où les dirigeants d’un pays se donnent et fixent un programme politique précis, clair, où l’unanimité se dégage. A entendre ceux qui ont pris le pouvoir ce 20 avril suite à la disparition subite de Déby, le modèle de transition proposée qui s’ouvre pour dix-huit mois aura pour objet central l’organisation d’élections démocratiques avec à la clé, le retour à un régime civil. Certaines voix y entendent un passage obligé : la tenue d’un dialogue national “inclusif”. Au-delà des exorcismes, des empoignades et des débordements inévitables en pareille occasion – comme ce fut le cas pour la Cns, au terme de laquelle les tchadiens en sont sortis avec des idées plus confuses que claires, le dialogue réclamé devrait fournir l’occasion de porter la réflexion sur quelques suggestions:

De la forme de l’Etat, du modèle démocratique et de leur fonctionnement: au terme de la Transition, va-t-on encore proposer aux tchadiens un modèle constitutionnel tiré des officines étrangères, ou va-t-on faire preuve d’innovation? On l’a vu, avec la disparition inattendue de Déby, le modèle démocratique proposé le 4 décembre 1990, et les lois fondamentales successives, telles qu’elles ont fonctionné 30 ans durant, sont une faillite, avec leurs champs de ruines. On l’a vu, aucune institution n’a pu résister à la charge des hommes en treillis. La vague de constitutions, et le modèle démocratique du Tchad étaient-ils véritablement adaptés, ou cette faillite est-elle imputable à l’élite politique et civile? Le dialogue inclusif devrait servir de tribune pour interroger cette réalité. Au demeurant, nos réflexions nous inspirent pour le pays un modèle démocratique constitutionnel qui repose bien entendu, sur des principes universellement reconnus, mais dotés d’institutions hors de portée de toute attaque; un modèle démocratique soutenu par des mécanismes portés sur la participation active des populations et non un monopole des élites ;  un modèle démocratique ouvert aux différents paradigmes socioculturels, et à des  référents culturels tchadiens, et non un modèle incubateur des dérives et des abus, sources de haines, d’injustices, de violences et de renoncement, …

Des forces de défense et de sécurité : leur rôle et leur place invitent à un réexamen. Au-delà de leurs missions classiques – défense de l’intégrité territoriale, protection des institutions de l’Etat, etc., – le Tchad gagnerait à se doter d’entités sécuritaires professionnelles, portées sur le développement. Un programme Désarmement, démobilisation et réintégration (Ddr) et Réforme du système de sécurité (Ssr) serait de notre point de vue une réponse, entre autres, aux problématiques que posent les forces de défense et de sécurité.

Du foncier et de l’accès à la terre: ils sont légion, les citoyens dépossédés arbitrairement de leurs terroirs, ou qui ne peuvent accéder à la terre pour produire ou pour construire, tant les conflits autour de la terre sont d’une ampleur inquiétante. Le dialogue national devrait se pencher sur cette question.

De l’administration publique : l’étendue de la perversion l’a tout simplement éloignée de la neutralité par rapport au politique, que les tchadiens étaient en droit d’attendre d’elle. Les pratiques dans les nominations, la collusion flagrante avec l’homme fort du moment ou avec tout parti au pouvoir participe en partie de l’échec de notre démocratie, et détourne notre administration publique des services qu’elle devrait rendre aux populations.

De la corruption : l’enrichissement illicite, l’enrichissement sans cause, le détournement des ressources ou des deniers publics sont tellement aigus, au point de produire deux catégories de tchadiens, une aristocratie et des laisser pour compte. Un pays qui nourrit l’ambition de devenir émergent ne saurait fonctionner dans un environnement pareil.

D’autres questions méritent d’être soulevées, tant les problèmes sont inépuisables, et le dialogue national ne peut prétendre les aborder dans leur totalité. Pour pallier cette situation et faire l’économie des frustrations et des rancœurs, on peut entrevoir un scénario qui passerait par des consultations régionales préalables, qui fourniraient à tous les tchadiens l’occasion de s’exprimer et de dérouler les problèmes qui sont les leurs, puis les faire remonter au dialogue national.

Le dialogue national “inclusif” devrait à terme, assigner au gouvernement de transition une feuille de route incluant les conclusions qui servirait de socle du programme de la Transition.

Massalbaye Tenebaye

Ancien président de la LTDH

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