Le refus du Conseil militaire de transition (Cmt) de dialoguer avec les rebelles du Front pour l’alternance et la concorde au Tchad (Fact) est diversement apprécié par les acteurs de la scène publique. Quelques réactions vous sont proposées.
Saleh Makki (Président du groupe parlementaire les démocrates)
“Les solutions armées n’ont jamais résolu un problème”
Je crois que je comprends en partie la réaction du Cmt de ne pas vouloir négocier avec le Fact. Parce que nous sommes encore au début de la tragédie qui est arrivée. La passion et les sentiments jouent un grand rôle et nous ne sommes que des humains après tout. Mais il faut que le Cmt comprenne qu’il a 17 millions de tchadiens à gérer, donc le dialogue est nécessaire. Il faut absolument dialoguer et trouver des mécanismes qui puissent nous permettre de nous retrouver tous autour d’une table, échanger et trouver des solutions pour notre pays. Le Tchad a assez souffert. Il faut nécessairement se parler. Nous n’avons pas d’autres solutions. Les solutions armées n’ont jamais résolu un problème. Il y a toujours un groupuscule qui va rester, se reconstituer et essayer de revenir prendre la capitale. Jusqu’à quand allons-nous continuer de la sorte ? Il n’y a rien d’autre à faire que de discuter, dialoguer et se parler. Il faut se calmer les nerfs et essayer de comprendre qu’il est question de l’intérêt général de la nation en jeu. Notre feu président s’en est allé. Il a fait ce qu’il a pu pour le pays. Maintenant, essayons de faire de notre mieux pour l’honorer. Et donc on ne peut le faire que par le dialogue. Lui-même avait dit et répété, je cite : la paix n’a pas de prix.
Dobian Asngar (Président d’honneur de la Fédération internationale des droits de l’homme – Fidh)
“Le refus du dialogue est la réaffirmation de la dictature des militaires”
Notre position est claire, par rapport au Cmt. Une institution qui veut diriger le pays et l’amener dans la paix, qui rejette la paix ? Moi, j’ai une seule lecture. Ça veut dire que le Cmt veut faire perpétuer la guerre et les violences dans le pays. Le Cmt est un va-t-en guerre c’est tout. On ne peut pas qualifier cela autrement. Ils veulent entretenir la guerre pour des raisons obscures qu’on ignore et que nous ne connaissons pas. Parce que ce n’est pas responsable du tout. On vous tend la main, quelles que soient les raisons, vous aussi vous tendez la main. Quelle que soit votre force, vous ne dites pas je refuse. La force est relative à un moment donné. Le refus du dialogue est la réaffirmation de la dictature des militaires, qui ne veulent pas prendre en compte l’opinion publique, qui s’est exprimée largement, en disant non au Cmt. Nous voulons avoir une solution globale. Ils n’ont entendu ni le peuple, ni les rebelles qui sont, après tout nos frères.
L’occasion est arrivée pour qu’enfin, les tchadiens puissent se retrouver tous ensemble pour faire la paix et aller vers le développement. Comment des gens qui se disent des responsables et qui veulent gouverner le pays ne comprennent pas cela ? Leur refus c’est aussi une manière de dire au peuple, que désormais, rien ne sera comme avant et qu’ils imposeront le fer au feu. Alors dans ce cas, que reste-t-il aux tchadiens et tchadiennes de faire ? Si ce n’est que résister debout pour défendre la démocratie et nos libertés. Nous ne voulons et ne pouvons plus supporter une autre dictature. C’en est de trop. Nous sommes prêts, debout, et on mourra pour ça. Cette marche ne fait que commencer (Ndlr : le 27 avril 2021) et on ira jusqu’au bout. Nous n’en voulons pas, si ce n’est pas une solution globale pour le Tchad. Alors ceux qui sont avec le Cmt, les ministres qui seront nommés et autres nous auront sur leur dos. Il faut que cela soit clair !
Djidda Oumar (Président de la Commission nationale des droits de l’homme)
“Le dialogue est l’arme la plus puissante pour résoudre tous les problèmes”
Vous savez, dans tous les pays du monde, dans toutes les cultures et civilisations, le dialogue est une arme très puissante. Dialoguer avec son adversaire, avec quelqu’un qui n’est pas de votre bord, est très important. Refuser de dialoguer n’est pas une bonne chose. On ne refuse pas le dialogue, mais je pense que quand le Cmt refuse le dialogue, il a ses raisons. Pourquoi refuser le dialogue ? A cette question, nous autres ne pouvons pas répondre, seul le Cmt peut. Mais nous, en tant que défenseur des droits de l’homme et responsable de la société civile, nous pensons que le dialogue est l’arme la plus puissante pour résoudre tous les problèmes qui existent sur la terre. Je ne peux pas faire des commentaires, sur le fait que le Cmt refuse le dialogue avec le Fact. Es-ce bon ou non, ils ont leur raison. Mais je crois que quelles que soient les raisons qu’ils vont invoquer, nous les appelons à aller au dialogue avec tous les tchadiens. Même s’il y a un seul tchadien hors du pays qui est mécontent, nous conseillons au Cmt d’aller vers lui pour dialoguer. Il n’y a que le dialogue qui peut sauver le pays. Nous avons une expérience de plus de quarante années de guerre, mais qu’est-ce que la guerre nous a apporté? Rien, alors que lorsque nous nous sommes réunis en 1993 pour la Conférence nationale souveraine, en trois mois nous avons eu une certaine stabilité qui nous a conduit à des élections et à avoir une constitution. Même s’il y a eu des hauts et des bas sous le règne du feu président Déby pendant les trente ans de gouvernance, nous avons eu la paix. Et si cette paix a existé, c’est parce qu’à chaque fois, le Maréchal avait la main tendue. Nous conseillons à ceux-là aujourd’hui au pouvoir d’avoir aussi toujours la main tendue.
Marie Larlem (de l’Aplft)
“On a tué des enfants parce que le Cmt refuse aussi l’expression plurielle”
Je pense que ce n’est pas réfléchi de refuser de dialoguer dans le contexte actuel. Le président du Cmt s’est engagé comme garant de la stabilité, et la stabilité, on ne l’aura jamais à travers les armes. La preuve, c’est que jusqu’à présent, les rebellions continuent. Ainsi, refuser de dialoguer dans le contexte actuel est suicidaire. Ça veut dire que nous revenons à la case départ. Personnellement, je demanderais au Cmt de revenir à de meilleurs sentiments et d’engager un dialogue avec les politico militaires. Ce sont des tchadiens et les tchadiens doivent se parler. Disons les choses telles quelles. Aujourd’hui, la force du Cmt c’est la France. Si la force barkhane n’est pas là, l’armée tchadienne risque d’être en situation difficile. Ce n’est pas parce que Macron a dit qu’il se porte garant de la stabilité du Tchad, que le Cmt doit faire du zèle et dire nous ne voulons pas de dialogue. Il doit parler avec un peu de retenu. Si nous sommes vraiment pour la paix de ce pays, nous devons engager des discussions et des dialogues francs avec toutes les parties prenantes. Nous ne pouvons pas négliger les politico militaires, parce qu’à l’intérieur, les partis politiques de l’opposition et la société civile ne sont pas armés. Ceux qui dérangent beaucoup sont justement les politico militaires. Un problème est là et il faut avoir le courage de l’aborder avec tout le monde. Il appartient au Conseil militaire de transition de saisir cette opportunité pour dialoguer franchement et trouver des solutions durables. Nous n’allons pas toujours faire le jeu de l’extérieur, de la France et de Macron. Surtout que derrière tout cela, l’appui de Macron n’est pas anodin. Il a quelque chose à gagner là dedans, parce que venir sous le prétexte des obsèques de Déby cache des intérêts inavoués. Le défunt président a mobilisé toutes les ressources financières pour assurer la sécurité ailleurs et laisser son peuple dans la souffrance. Oui, on nous dit qu’il y a stabilité, c’est vrai qu’il y a une paix relative, mais la stabilité ce n’est pas seulement l’absence des armes. Il y aussi la pauvreté extrême dans laquelle la population se trouve. Macron veut prendre ce pays en otage et la preuve, la junte a déjà pris des engagements pour continuer à intervenir à l’extérieur militairement. Combien de militaires avons-nous au Mali, alors que Boko haram est à nos portes ? C’est pourquoi, il faut un dialogue, parce que si les politico militaires rentrent avec armes et bagages, cela va renforcer l’armée s’ils se mettent ensemble pour défendre le pays et faire face à l’ennemi. Qu’a fait le gouvernement pour les veuves et orphelins des militaires tombés au Mali, Niger, à l’intérieur face aux rebelles et un peu partout en Afrique ? Rien ! Nous n’allons pas continuer à faire des veuves et orphelins, parce que nous voulons protéger nos intérêts. Non ! Nous savons que la junte cherche à préserver ses propres acquis. Ces généraux se sont beaucoup enrichis et aujourd’hui prennent en otage ce pays, tout comme Macron, pour des intérêts autres que ceux du peuple tchadien.
Et c’est mal parti parce qu’hier (Ndlr: 27 avril 2021) on a tué des enfants comme des mouches, parce que le Cmt refuse aussi l’expression plurielle. Ce n’est pas une faiblesse que de dialoguer avec les politico militaires. C’est le Tchad qui en sortira gagnant.
Propos recueillis par Roy Moussa
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