Le coronavirus et les bons pieds de Madeouna

 

Tel est le titre du troisième ouvrage à paraître du Professeur Avocksouma Djona Atchénémou, auteur et écrivain. Une histoire invraisemblable qui se passe en plein cœur du quartier Walia, entre le coronavirus et le paludisme, dont témoigne Madéouna.

D’habitude, Madeouna n’est pas le genre de personne à se mêler de ce qui ne le regarde pas, mais il lui arrive de dire des vérités. Le dilemme des habitants de Walia, c’est que respecter les gestes barrières veut dire cesser d’être des personnes hospitalières, solidaires et qui aiment partager. Lorsqu’il annonce à ses connaissances avoir vu Monsieur Coronavirus, accompagné d’une forte délégation de virus et de bactéries venir à Walia, tout le monde a les yeux grands ouverts de surprise. Lors de sa rencontre avec la population, Coronavirus dit être de nationalité chinoise et entend remettre en cause la politique de mondialisation qui a fait beaucoup de mal à l’environnement. La reine des virus dit vouloir établir un nouvel royaume à partir duquel elle pourrait anéantir le monde, s’il continuait de s’entêter dans ses comportements. Et comme on était au mois de mai et qu’elle avait déjà fait des ravages dans plusieurs pays, elle affirme être venue à Walia pour mieux rebondir dans un futur proche, en particulier lorsque certains pays baisseraient les bras en se lançant dans des opérations de déconfinement. Les êtres humains n’apprennent rien des expériences passées, dit-elle. Ils auraient dû tirer les leçons des dégâts causés par sa grande sœur, nommée “grippe espagnole”, qui avait fait mourir près de 50 millions d’Européens entre 1918 et 1920, surtout dans la seconde phase alors qu’ils croyaient que c’en était fini. Quand on relâche de précautions, on en paie forcément le prix, soutient-elle. Puis ajoute: je suis venu sur terre pour provoquer le ralentissement économique dans le monde avec le seul but de sauver l’environnement. Il faut arrêter cet emballement à la course de l’enrichissement, à la production effrénée de biens que l’être humain surtout l’occidental ne consomme souvent même pas. Sous mon règne, les restrictions du trafic aérien, terrestre et maritime, la fermeture d’industries suivies par le confinement de la population, doivent avoir une influence significative sur la pollution environnementale et des émissions de carbone ou gaz à effet de serre. Il me faut absolument obtenir la diminution de la concentration de dioxyde d’azote et ainsi épargner des vies. Vous faites fi de l’environnement. Intentionnellement et sûrement vous créez les meilleures conditions de votre propre perte. Aujourd’hui, vous voyez bien que vous avez perdu la santé et l’éducation sans gagner la richesse. Vous aviez oublié qu’il n’y a de richesse que d’hommes. L’humain est au début et à la fin de tout processus de développement. L’idéologie ultralibérale n’opère plus. La fameuse main invisible d’Adam Smith vient de connaître ses limites. Elle ne fait plus de miracles (…)  Comme d’autres virus ou bactéries, si je suis en vie, c’est tout simplement à cause des modes ou des habitudes de vie des êtres humains. Oui, ce sont les humains, à travers leurs comportements qui m’ont révélé au monde. Pas étonnant que le monde se retrouve en contact avec des agents pathogènes issus d’animaux dont on a totalement bouleversé les biotopes ou les milieux naturels. Lorsque les humains détruisent les écosystèmes tout en multipliant les élevages intensifs sans aménager les meilleures conditions de substitution, ils contribuent volontairement à l’émergence des problèmes qui sont favorables aux virus et donc à la diffusion de nouveaux agents pathogènes. Quand on vous crie à l’oreille que la meilleure prévention consiste à respecter la biodiversité, vous ne voulez pas entendre. Comme disait Maître Melkisedech: “Ce que l’homme ne veut pas apprendre par la sagesse, il l’apprendra par la souffrance”. C’est un véritable changement de mentalité que j’exige.

Avant de prendre congé de Walia,  un tout petit microbe bien connu de chez nous du nom de Malaria s’est pointé. Il a interrompu le sieur Coronavirus et engagé un débat de fond avec lui. Monsieur Palu, c’est bien connu, est un tueur silencieux. On le connaît de père en fils et de mère en fille. De générations en générations. Il n’a pas été du tout tendre: “Comment oses-tu venir ici troubler l’ordre établi? A Walia, tu es sur mon territoire. Je ne t’ai pas invité à ce que je sache. Monsieur ou Madame, je vous le dis, à Walia, vous n’êtes pas chez vous. Ici, un corona est un âne, un animal de basse extraction. Tu fais croire à tout le monde que tu es un danger planétaire, mais sur la base de quelle évaluation des menaces? Quelles sont tes hypothèses de base? Quelles sont tes principales questions de recherche? Et toi, tu n’es qu’en ton début et tu conclues péremptoirement que toute chose étant égale par ailleurs, tu es la menace suprême sur Terre. Comme si avant toi, il n’y a jamais eu de menace. (…) On m’a communiqué des chiffres te concernant, mais tu es ridicule avec tes petites menaces. A peine as-tu pointé ton nom que tout le monde ne parle que de toi alors que tu n’es même pas un gros tueur. En matière de tuerie, je suis vieux comme le monde. Même si je suis minimisé dans les pays froids, je suis très considéré ailleurs en particulier en Afrique noire. Par exemple, je frappe chaque année près de 24 millions d’enfants d’Afrique subsaharienne avec un risque d’anémie grave pour 1,8 million d’entre eux. Je frappe aussi chaque année près de 11 millions de femmes enceintes toujours en Afrique subsaharienne, lesquelles présentent des conséquences sur le devenir de la grossesse dont l’insuffisance pondérale du nouveau-né et l’anémie grave chez les très jeunes enfants. Ici, je tue sans faire de bruit. La mortalité due au paludisme est socio-culturellement acceptée. Tout le monde sait qu’en Afrique le paludisme tue. Tous les paysans savent que le palu, ce n’est pas de la blague. On s’était pourtant bien divisé la tâche et les zones d’influence. La colonisation est terminée. Que chacun reste chez soi. Moi, c’est l’Afrique et l’Asie du Sud-Est, toi c’est l’Occident. Sur ce terrain de Walia, tu ne me fais pas peur.”

Monsieur Palu, je vois que tu es ignorant de beaucoup de choses, se résigne à répondre dame Covid-19. Accordons-nous aussi sur un délai de trois ans pour faire le bilan à l’occasion de la prochaine conférence de Berlin, si ce n’est de New-York le cas échéant.

RM