Le Juge Bourngar demande la démission du ministre de la justice

LETTRE OUVERTE A MONSIEUR LE GARDE DES SCEAUX MINISTRE DE LA JUSTICE

  1. Monsieur le Ministre, je viens au moyen de la présente auprès de votre haute responsabilité partager avec vous quelques-unes de mes préoccupations à propos de la crise qui secoue et affecte actuellement le secteur de la justice dont vous avez la charge et le destin. En effet, c’est en magistrat libre, non-syndiqué, que je m’adresse à vous. Depuis ma formelle démission de la SMT le 13 Août 2007, je ne me suis plus résyndiqué. Mais ce n’est pas non plus en anti-syndicats que je vous écris ces lignes.
  2. Monsieur le Garde des Sceaux, la toute première question qui me taraude l’esprit est celle de savoir quelle est l’Autorité qui gère la crise sociale en cours dans votre Maison ? Je me pose cette question parce que j’ai l’impression que tout le monde minimise cette crise et s’en moque, à commencer par vous-même, le premier concerné. Le Premier Ministre s’en moque. Le Conseil Supérieur de la Magistrature (CSM) et son Président s’en moquent. Quelle image offrez-vous au monde de vous-mêmes, de votre Gouvernement et de votre Pays, quant à vos compétences de gérer une crise aussi profonde, touchant une institution aussi sérieuse et un département aussi sérieux par la désinvolture et par l’indélicatesse ?
  3. La communication, tout comme la gestion de cette crise, semble vous échapper. Qui gère cette crise ? Est-ce vous ? Est-ce le Chef du Gouvernement ? Est-ce le Chef de l’Etat ? Sans nul doute, c’est vous, Garde des Sceaux, le premier concerné et le premier responsable de cette crise. Mais si jamais, le Premier Ministre, votre chef hiérarchique, s’y mêle, comme il l’a fait récemment en recevant des responsables des deux Syndicats et en posant des actes, cela signifie tout simplement que la crise a dépassé vos compétences et que vous en êtes dessaisi. Et si le Chef de l’Etat s’y mêle, comme il est en passe de le faire, c’est que vous et le Chef du Gouvernement en êtes dessaisis, parce que dépassés. Et c’est regrettable qu’une telle crise dépasse le chef de famille que vous êtes.
  4. Monsieur le Ministre, où est passé le très motivé et le très engagé Monsieur MAHAMAT AHMAT ALHABO qui avait pris fonction de manière tonitruante et fracassante, applaudi par tous en son temps et dont les propos avaient donné l’espoir à tout un peuple d’une aube nouvelle pour la Justice tchadienne ? Où est passé le Professeur des Mathématiques le plus compétent et l’intellectuel le plus adulé et le plus respecté ? Comment, après deux années à la tête de ce Ministère de la Justice, on ne retient plus de vous que ce Monsieur autosuffisant, aigri, complexé, arrogant, insolent et méprisant, isolé et distant comme vous peignent vos propres collaborateurs ? Comment l’espoir d’une bonne JUSTICE au Tchad s’est évanoui et s’est transformé en cauchemar ?
  5. Toutes vos sorties sur votre propre département et contre la magistrature ne sont que crachats, mépris, haine et humiliation ? Comme si cela ne vous suffisait pas de cracher sur les magistrats (supposés être vos protégés), vous embarquez vos autres collègues membres du Gouvernement dans cette entreprise de déconstruction et de déconsidération de la magistrature tchadienne ! Pendant ce temps, aucun autre de vos collègues Membres du Gouvernement ne dénigre ou ne déteste aussi publiquement son département ou ses agents ! Quand la raison manque, c’est la violence qui s’installe peut-être ?
  6. Monsieur le Ministre, Je m’en voudrais de vous demander après tout, si, aux yeux des plus hautes autorités, de vos collègues et de l’opinion, c’est vous qui ne méritez pas d’être respecté au point qu’on vous confie un département qui ne mérite aucun respect de votre part ? Je crains bien qu’ils ne retiennent qu’en réalité c’est vous qui ne méritez pas leur respect parce qu’incapable de régler en bon père de famille une crise qui ne mérite pas toute cette popularité impopulaire. Vous ne communiquez avec les magistrats que par médias interposés. Vous ne communiquez que pour cracher sur ceux dont vous avez curieusement la charge et la dignité ! Je vous ai entendu qualifier les revendications des magistrats de politiques, avouant ainsi que les questions politiques ne seraient pas de votre compétence ! A supposer que ces revendications soient de nature politique, qui mieux que vous, homme politique érudit, est bien outillé pour résoudre une crise politique ? Je suis surpris que ce soit aujourd’hui seulement que vous apprenez que la justice de votre pays est politisée !
  7. Comment cette crise ne peut-elle pas perdurer quand, pour toute compétence, vous ne travaillez qu’à déconstruire, à détruire et à déconsidérer la magistrature et les magistrats ? Comment en êtes-vous arrivé à ne servir que votre propre égo et à asservir les magistrats ? Comment êtes-vous inspiré à inspirer votre hiérarchie à avouer au monde entier qu’il y a dans la magistrature des magistrats mal recrutés, incompétents, infiltrés telles des tomates pourries pour corrompre délibérément ce corps ? Et que n’ayant pas pu s’acquitter du sale besogne qui leur a été confié, il fallait donc improviser un contrôle pour les en extirper, en ultime vengeance ! Cette crise vous dépasse-t-elle jusqu’à ce point ?
  8. Monsieur le Ministre, Si jamais, du haut de votre imperium, vous avez de bonnes raisons de penser et de croire que les magistrats ne méritent à vos yeux plus aucune considération, ayez la retenue de retrouver votre propre respect, votre humilité et dignité et de démissionner de votre poste, comme vous l’aviez courageusement fait en 2001, même ce n’était pas pour les mêmes raisons. L’humilité, l’humanité et le respect, c’est tout ce qui manque pour que cette crise trouve solution. Mais d’aventure vous vous y accrochez, comme je vous en exhorte, évitez à tout prix que cette crise trouve solution en dehors de vous, comme pour les crises passées. La seule voie indiquée qui peut amener les magistrats à revoir leur copie est de s’asseoir et discuter avec eux dans l’humilité, dans la lucidité, dans le respect et dans la dignité.
  9. Monsieur le Ministre, récupérer et manipuler une poignée de margoulins philistins « ad hoc » en panne d’envergure, en quête d’envergure, pour les jouer contre leurs collègues dans l’espoir de casser leur dynamique de lutte, est-ce la dignité de la magistrature pour laquelle vous êtes investi et que vous appelez de tous vos vœux ? À mon humble avis, procéder ainsi relève d’une grave erreur de stratégie ou de tactique. Vous croyez les « diviser pour mieux régner » ? Vous ne les diviser pas. Vous croyez casser leur élan et leurs rangs ? Erreur ! Bien au contraire, vous resserrez et raffermissez plutôt leur élan.

Vous les aidez plutôt à voir clair dans leurs rangs. Vous auriez tout à gagner à laisser ces « ad hoc » dans la bergerie et de les amener à soutenir l’arrêt de la grève. Vous auriez tout à gagner à les laisser infiltrer leurs collègues et de continuer à jouer les moutons noirs, les espions, les informateurs, les rapporteurs ou les colporteurs comme ils savaient si bien le faire jusque-là pour vos comptes. En les éloignant des autres, vous vous êtes coupés de tous vos moyens d’information contre vos ennemis (c’est le mot qui caractérise le mieux vos rapports actuels avec les magistrats). Cette manœuvre mal inspirée ressemble à n’en point douter à un geste de désespoir. Est-ce là l’image de la magistrature de votre pays que vous voulez offrir au monde sous votre magistère ? Peut-on gérer une institution sans la respecter ? Peut-on gérer une famille sans la respecter et sans l’aimer ? Quelle justice promettez-vous au Tchadiens avec des magistrats constamment persécutés, humiliés, déconsidérés et déconstruits ?

  1. Monsieur le Ministre, sans vous irriter, je saisis cette occasion pour réitérer toute ma solidarité à mes dignes et combattifs collègues des deux Syndicats réunis pour la bonne cause et COURAGE aux membres des deux Bureaux en première ligne de cette lutte si juste et si difficile. Je ne suis pas avec eux mais je ne suis pas contre eux. Comme toujours, ma place est aux côtés de ceux qui subissent l’histoire et non aux côtés de ceux qui écrivent l’histoire qu’avec des histoires. Ma place est aux côtés de ceux luttent. Votre CAUSE est juste et seule la lutte libère !
  2. Monsieur le Garde des Sceaux, je vous remercie de m’avoir accordé un peu de votre précieux temps à lire ma lettre et surtout, à ne pas vous offusquer de son contenu qui n’est qu’une contribution dans la recherche de solution à cette crise qui n’honore personne.

Fait à N’Djamena, le 09 Août 2023

DJIMRABAYE BOURNGAR Magistrat