La province du Mandoul qui compte 6 départements et 33 cantons, est réputée très ancrée dans la tradition, les us et coutumes. Mais elle est aussi le terreau des violations des droits humains, notamment en ce qui concerne les enfants. Deux regards croisés d’acteurs impliqués à la lecture différente, le confirment.
Alkoa Ngar est le coordonnateur de l’Association pour la réinsertion des enfants et la défense des droits de l’homme (Ared). L’objectif de son association est de contribuer à la promotion et à la défense des droits de l’homme de manière générale, mais des droits des femmes et des enfants en particulier, et plus singulièrement tout ce qui concerne les problèmes liés à la traite et l’esclavage des personnes. C’est la spécificité de l’Ared qui existe depuis 20 ans, et qui fait un travail axé sur les trois P, à savoir la prévention, la protection et la poursuite, qui constitue son volet stratégique.
Pour Alkoa, le Mandoul constitue le bastion de violation des droits de l’homme de manière générale. “C’est dans le Mandoul qu’on parle chaque fois des conflits sanglants agriculteurs-éleveurs. Et là, je peux affirmer sans risque de me tromper parce que j’ai des preuves. Les nouveaux éleveurs qui sont des autorités, donnent des armes aux bergers pour attaquer des paysans. C’est une situation qui défraie la chronique et qui doit attirer l’attention des gouvernants. Malheureusement, jusque-là, les éleveurs sont ceux-là qui sont censés intervenir dans cette situation. Donc ils ne peuvent rien dire. Une autre situation qui prévaut et non des moindres, est la question de l’accaparement des terres. Pour ce, il y a des villages dans le Mandoul qui sont appelés à disparaître de la carte du Tchad. Parce que les familles agraires, dans les villages, qui n’ont plus de terre cultivable, ni d’habitation sont appelés à disparaître. Les accapareurs sont généralement les autorités traditionnelles, administratives, les éleveurs, les pétroliers, les riches qui achètent des hectares et des hectares. On prépare ces familles et communautés à l’esclavage. Les enfants issus de ces familles et villages perdent complètement leur repère ancestral, et n’ont plus de village d’origine ni de terre ancestrale. A cela, s’ajoutent l’esclavage et le problème de la traite des enfants en particulier. Personnellement, j’ai été arrêté en 2015, pour avoir dit qu’il y a la traite des personnes. Et j’avais la preuve en main, avec une fille de huit ans de la localité de Goundi, qui avait été vendue à Amdjarass et qu’on a récupérée. C’est avec l’enfant en main que j’avais dénoncé cette pratique, malgré cela on m’a coffré. Et curieusement, nous avons récupéré aussi un enfant camerounais vendu par un officier tchadien au Soudan. Aujourd’hui, nous avons établi une cartographie de la situation. Il y à les zones de recrutement et les zones d’exploitation. La situation est très alarmante. Faites un tour dans les agences de voyage ici, vous allez trouver des victimes en train d’être embarquées au vu et au su de tout le monde y compris les gouvernants. Même si des actions de sensibilisation et de plaidoyers ont été menées, personne n’ose lever le petit doigt. Officiellement, on vous dira que des mesures seront prises, mais rien. Il y a également un silence radio du côté de la justice, malgré l’existence de la loi 12 portant lutte contre la traite des personnes en République du Tchad, promulguée en 2018”.
L’Ared, en effet, a établi une typologie de 13 catégories de la traite des personnes et des enfants en particulier. Notamment les enfants bouviers, le mariage des enfants, la question de la domesticité, de l’exploitation dans les mines d’or à l’Est, les enfants chameliers, aussi une autre forme appelée “la mise en gage pour dette”, etc. Il est également relevé des cas de crime rituel avec enlèvement des organes, enlèvements des personnes contre rançons qui est beaucoup plus développé dans le Mayo-Kebbi et les deux Logone. Ces cas sont aussi enregistrés au Mandoul, dans les localités de Bédaya, Goundi et Gon à la frontière centrafricaine. Sans oublier la sempiternelle question des enfants soldats, qui est aussi une forme de la traite des personnes reconnue par les nations unies.
La gouverneure du Mandoul, Diamra Bétolngar, qui est à la tête de la province depuis 10 mois, affirme que le Mandoul est réputé bastion de la perpétuation des mutilations génitales féminines, notamment l’excision. “Je dirais que le Mandoul constitue le berceau même de l’excision, parce que les gens l’ont pris dans le contexte de la tradition, quand bien même elle n’est pas la nôtre. C’est un combat de longue haleine contre cette tradition importée et épousée par les communautés, qui s’est ancrée. On parle de tradition en arguant que si elle n’est pas pratiquée, il y aura mort d’hommes. Pour beaucoup, c’est une source de recettes en tant qu’activité génératrice de revenus. Nous travaillons beaucoup avec les différentes couches de la population, que ce soit les autorités traditionnelles, coutumières ou les exciseuses elles-mêmes. Ces parties prenantes demandent à trouver d’autres activités de substitutions, afin de se libérer de cette pratique très ancrée, qu’il faut progressivement laisser tomber. Beaucoup de chefs coutumiers ont demandé à l’Etat de leur verser des compensations mensuelles, pour se prendre en charge et laisser tomber les revenus issus des excisions. Nous avons commencé ce travail à la base, d’abord avec les exciseuses. Si elles-mêmes sont conscientisées, je ne crois pas qu’elles puissent encore exciser les petites filles. Nous nous battons avec les partenaires, pour leur trouver des activités de substitution ou d’autres palliatifs. Il faut trouver des activités génératrices de revenus, qui puissent les occuper à temps plein. Nous sommes en train de mettre des dispositifs en place, afin de pouvoir arrêter cette pratique néfaste. Cela, avec le ministère de la Femme et de la protection de la petite enfance, pour accéder à certains points de leur demande, et occuper ces femmes afin qu’elles abandonnent cette pratique néfaste, qui détruit la petite fille, voire la femme en général. C’est un combat de longue haleine que nous menons avec les partenaires, à la recherche d’autres palliatifs.
En tant que femme, beaucoup ont pensé que j’allais rencontrer des difficultés dans l’exercice de mes fonctions. Dieu merci, je ne suis pas rejetée quant à la collaboration avec les autorités traditionnelles. Jusque-là, nous n’avons pas rencontré une difficulté majeure, qui a nécessité une descente de terrain. Bien avant moi, les conflits agriculteurs-éleveurs étaient récurrents. Depuis mon arrivée, j’ai appelé chacun à tous les niveaux à sa responsabilité. Je crois qu’on n’a pas enregistré un conflit agriculteur-éleveur qui a causé mort d’hommes dans toute la province du Mandoul. Ma collaboration avec la population est pour le moment parfaite. Si cette confiance continue de prévaloir, nous allons développer la province sans problème”.
Selon les statistiques publiées dans le rapport de la Cndh rendu public au mois de mars 2021, en ce qui concerne les mutilations génitales féminines, durant la période allant de 2018 à fin 2020 (données collectées par l’Ared), la situation se présente comme suit. 11 487 filles et femmes dont l’âge varie entre 8 et 35 ans sont excisées dans les 15 cantons sur les 33 que compte la province du Mandoul. 5 cas de décès sont enregistrés, 21 cas d’hémorragie, 48 femmes en grossesse, 36 femmes allaitantes et 17 cas d’avortement.
Roy Moussa