Après trois mois à la tête de la Haute autorité des media et de l’audiovisuel (Hama), Abderaman Barka Doningar et son équipe s’attèlent, à imposer l’exercice professionnel et respectueux des règles qui encadrent le métier du journalisme. Il aborde ici, les questions spécifiques au secteur des médias et celles liées à l’actualité.
Monsieur le président, que peut-on retenir de la rencontre du Président du conseil militaire de transition (Pcmt) avec les responsables des organisations faitières des médias la semaine dernière ?
Pour nous à la Hama, c’est un rappel à notre rôle, mission et aussi un engagement pour nous accompagner dans l’accomplissement de cette mission. La Hama doit prendre toutes ses responsabilités face à tous les dérapages observés dans le secteur des médias, ses responsabilités dans la régulation de l’information et de la communication tout simplement pour que le public ne soit pas tout le temps victime de nos errements, pour que le pays ne se retrouve pas basculé dans une situation d’insécurité, parce qu’il y a juste une pression économique qui s’exerce sur certains journalistes. Donc, il ne faut pas, par la faiblesse de certains, que le pays se retrouve en danger tout simplement. Ceux qui marchandent les articles, qui sabotent expressément les règles de pratique du métier seront rappelés à l’ordre et à défaut, seront sanctionnés pour leur faire comprendre la nécessité de leurs propres responsabilités sociales. Voilà un peu ce que nous avons reçu comme message de cette rencontre avec le Pcmt, et ce message s’adresse avant tout aux journalistes qui doivent accompagner cette transition à sa réussite, ensuite à la Hama qui doit elle aussi veiller au respect des règles de pratique du métier.
Comment avez-vous trouvé la Hama à votre prise de service et quelles sont vos premières actions ?
La situation peut remonter à quelques années, due peut-être essentiellement à la crise économique. En effet, la Hama est en difficultés de fonctionnement pour assurer le suivi des médias. Difficultés financières, matérielles et humaines. Nous n’avons pas actuellement des équipements de monitoring qu’il faut. La Hama ne peut suivre et enregistrer régulièrement qu’une dizaine de radios sur la vingtaine à N’Djaména. En provinces, n’en parlons pas car nous n’avons pas de dispositif nécessaire de suivi. Nous sommes obligés de travailler de façon mécanique aussi bien pour le suivi des médias que des débats du dialogue qui se passent actuellement au Palais des arts et de la culture. Et dans ce contexte du dialogue qui exige en même temps le suivi du contenu des médias et des débats, nous avons aussi fait appel à des ressources humaines qui ne sont pas toujours suffisantes. Nous voulons donc profiter de ce contexte pour combler certains vides à la Hama. Le chef de l’Etat a réactivé pour la Hama, un projet de construction de son siège qui avait été estompé à cause de la crise économique que traversait le pays. L’actuel siège qui est partagé avec certains services des Impôts n’est pas au niveau de la Hama qui est la première institution de l’Etat à être créée à l’ère démocratique avant toutes les autres institutions de la République. Et en tant que quatrième pouvoir, le secteur s’étend, nous devons être à un standing qui répond aux exigences actuelles. Ce qui reste, c’est un appui financier pour la circonstance de la part du Comité d’organisation du dialogue et qui n’arrive pas. Nous avons des avis de crédits pour lesquels nous avons de bonnes intentions de nos autorités financières et avec l’appui du chef de l’Etat pour nous permettre d’accomplir cette mission aussi bien pendant le dialogue, après pour le reste de la transition et poursuivre la mission avec un niveau de plus en plus élevé.
Vous venez de relever les difficultés de fonctionnement de la Hama, quelles sont les missions que vous vous êtes assigné pour pouvoir améliorer la qualité du travail ?
Je n’ai pas une mission particulière, par contre, je peux avoir une méthode de travail. Et dès ma prise de fonction, nous nous sommes engagés avec les autres conseillers et les chefs de départements de la Hama, le secrétariat général, en bref, tout le monde, à répertorier tous les médias. Parce que, vous pouvez créer un média aujourd’hui et un mois après vous vous retrouvez en difficultés de fonctionner et ces difficultés vous conduisent au non-respect des règles professionnelles par exemple avoir un directeur de publication et un rédacteur en chef ayant au minimum une licence en journalisme. Cela peut se ressentir parce que celui qui a été formé a, sauf intentionnellement, peur de violer les règles, mais il peut toujours y avoir des exceptions. Celui qui n’a pas appris les règles peut exposer, non seulement le métier à des dangers mais lui-même, sans le vouloir parfois, en véhiculant des informations nuisibles. Ma méthode a consisté à engager tout le monde à la Hama dans ce travail-là et tous s’y trouvent heureusement et on est en train de recenser ces médias pour que nous ayons une masse critique de médias légaux sur lesquels on peut s’appuyer et former. Car, dans la situation actuelle, vous allez trouver des médias qui se disent médias en ligne mais qui n’ont pas de site, publient seulement sur les réseaux sociaux. Il y en a qui se déclarent média sans se référer à la Hama, sans obtenir le récépissé de déclaration de publication, ils ne publient même pas et c’est quand il y a un évènement que vous allez les voir. Il y a des journaux qui ne paraissent que lorsqu’ils peuvent alors qu’ils ont l’obligation de respecter la régularité de parution et de renouveler leur déclaration de parution lorsqu’ils ne paraissent pas depuis un an. Il y a aussi des sites qui n’ont pas de repère même humains au Tchad, ne serait-ce qu’un correspondant, etc. Donc, il y a tout ce remue-ménage qui constitue un danger pour le pays et pour le métier et que nous voulons clarifier. Et c’est pour cela que nous avons adressé des formulaires pour les télévisions, radios, journaux et médias en ligne aussi du privé que du public, afin de pouvoir récapituler leurs données existantes pour vérifier et reconstituer un nouveau répertoire des médias auquel le public accédera et connaîtra quel est le média légalement reconnu et qui fonctionne normalement.
Mais les formulaires adressés ont-ils eu des échos favorables ?
Il y a des médias qui répondent favorablement à ces formulaires. Ils le remplissent et nous les renvoient. Ceux qui ne répondent pas ou qui rejettent ce formulaire savent d’avance qu’ils ne remplissent pas les critères. Et nous, nous allons travailler avec ceux qui répondent effectivement aux critères. Nous n’allons pas courir après les gens, faire le gendarme pour collecter leurs données. Etre un média ne veut pas dire être seul et se promener partout et dire que je suis tel journal, telle radio, etc., mais avoir d’abord une structure de base, avoir un personnel qualifié qu’exige la loi, avoir de ressources propres provenant de la vente et de ses activités, etc. et surtout se baser sur l’information générale : politique, économie, sociale, culturelle, divers, suivant les genres rédactionnels. Il faut tout simplement respecter les règles établies de l’exercice du métier. Si on ne remplit pas ces critères-là, c’est qu’on est en marge de la profession et on doit se redresser soi-même au risque de subir des sanctions prévues par les textes régissant l’exercice de la profession.
Vous arrivez à la tête de la Hama au moment où des questions brûlantes ne cessent de faire couler encre et salive. Parmi celles-ci, l’aide à la presse reconnue par la loi, qui n’est pas versée aux médias pendant plusieurs années. Avez-vous cherché à comprendre ce qui bloque le versement de cette subvention aux bénéficiaires ?
Celui qui donne l’aide à la presse c’est le gouvernement. La Hama repartit cette aide aux médias suivant des critères bien connus. L’aide à la presse est une subvention qui a été suspendue parmi tant d’autres, à cause de la crise. Mais qui périodiquement au niveau indirect a continué à exister parce qu’il y a eu des formations, des subventions en période électorale, il y a des aides qui sont données à la présidence, etc.
Et au fur et à mesure que le pays se relève de cette crise, cette aide est ramenée cette fois-ci au montant de 150 000 000 francs CFA avec pour objectif de promouvoir l’excellence professionnelle. Elle est différente des aides événementielles à l’exemple de l’élection de 2021 et de ce dialogue qui sont octroyées aussi bien aux médias réguliers qu’irréguliers. Mais l’aide à la presse est destinée aux médias légaux. Les médias qui ne paient pas les impôts ne peuvent pas être éligibles à l’aide à la presse. Pour vous dire en résumé, l’aide à la presse de cette année est là. Maintenant, ce sont ces critères-là qui pourront nous permettre de la repartir entre les médias éligibles. Les critères sont basés sur les données que la Hama est en train de collecter à travers le formulaire adressé aux responsables des médias. Parce que tout le monde s’est réveillé et s’est retrouvé étant média parce qu’il y a de subventions en cours. S’il faut favoriser ceux qui viennent de manière événementielle ou qui se réveillent après plusieurs années de disparition et leur faire bénéficier aussi, je crois que cette aide n’aura pas son sens qui est de promouvoir l’excellence professionnelle. Même les médias qui n’ont pas une année d’existence, n’ont pas droit à cette aide.
150 millions alloués aux médias. Est-ce suffisant au regard du nombre croissant des médias, même s’il y a des critères d’éligibilité ?
Suffire, je dirai que c’est faux et c’est pour cela que nous sommes en train de mener un plaidoyer pour augmenter cette aide de façon substantielle et progressive parce que cette aide est un grand moyen de régulation des médias. Et c’est uniquement les professionnels qui peuvent en bénéficier. Si chaque fois on trouve les moyens pour encourager ceux qui sont professionnels, ceux qui ne le sont pas seront obligés de se mettre en ordre et pouvoir bénéficier de cette aide. Et beaucoup vont faire d’efforts avec notre orientation et accompagnement pour être progressivement professionnels. En ce qui concerne la répartition de cette aide, par exemple les journaux qui payent fortement l’imprimerie et qui sont réguliers dans leur parution, ne peuvent pas être dans la même catégorie que ceux qui ne paraissent pas régulièrement, et ne peuvent pas être dans la même sélection que ceux qui sont exclus par les critères.
Monsieur le président, vous connaissez les difficultés profondes des médias, surtout ceux du privé. A la Hama et particulièrement en ce qui concerne le monde des médias, quelles sont les questions essentielles qui méritent d’être soumises aux débats lors du Dialogue national en cours ?
J’ai été le porteur de ce message-là au nom de la presse nationale au Pcmt lors des échanges de vœux en début de cette année. Il est question, parmi les différentes difficultés relevées par les médias, que soient prises en compte les réformes des textes proposées par les organisations des médias. Il était question également de faire sanctionner ceux qui brutalisent les journalistes dans leurs activités ou qui bloquent l’accès à l’information. Dans ce cas-là, il faut que le journaliste soit porteur de sa carte professionnelle délivrée par la Hama pour attester qu’il est journaliste. Au niveau de l’accès aux sources d’information, il y a également des propositions qui sont faites. Il faut donner un délai à l’interlocuteur vers qui le journaliste sollicite l’information, afin qu’il donne suite à la sollicitation, même s’il n’est pas disponible. Ceci, dans le cadre du droit au public à l’information, reconnu par notre constitution et repris dans les lois sur la communication au Tchad. Il est demandé aussi que le procureur soit obligé de répondre à la demande de parution dans les 15 jours qui suivent et en cas de rejet, de le motiver. Les journalistes ne veulent pas l’avis de conformité de la Hama qui devrait pourtant faciliter la tâche au procureur. On comprend mais lorsqu’ils vont là-bas, vont négocier même faussement de déclaration, et qu’il va y avoir de problème par la suite, les demandeurs assumeront eux-mêmes. Au niveau de la composition de la Hama, au lieu de trois représentants, les journalistes demandent que soit ajouté un quatrième qui doit représenter les médias en ligne en supprimant le surplus de l’Assemblée nationale. En ce qui concerne le président de la Hama, les journalistes demandent qu’il soit élu et non désigné par le président de la République, celui-ci entérinera la décision par un décret. Il y a bien d’autres points en plus de ceux que je viens de relever, qui pourraient faire l’objet de plaidoyer en vue d’améliorer le secteur des médias.
Propos recueillis par Nadjidoumdé D. Florent