Les agissements irrévérencieux de Nguilin

Comme bien d’autres dossiers, celui relatif à l’exécution des termes du protocole d’accords entre le Syndicat des magistrats du Tchad (Smt), le Syndicat autonome des magistrats du Tchad (Syamat) et le gouvernement, bute sur les désidératas personnels du ministre des Finances, du budget et des comptes publics.

Vraisemblablement plus investi de pouvoirs que les deux têtes de l’exécutif réunis (Président de transition et Premier ministre), le ministre des Finances, du budget et des comptes publics, Tahir Hamid Nguilin, oppose un refus frontal à l’exécution des termes du protocole d’accords, obtenu le 21 août dernier, entre le gouvernement et les deux syndicats des magistrats, qui en font, pourtant, une condition de reprise de travail. Ce qui n’est pas sans soulever d’interrogations. Tant sur la perception, même de la justice par le gouvernement tchadien que sur le respect établi de la hiérarchie administrative au Tchad. D’autant plus que Nguilin n’en est pas à son premier coup. Conséquence immédiate ? Les magistrats décident, au terme d’une Assemblée générale (Ag) du 5 septembre dernier, au Palais de justice de N’Djaména, d’une simple suspension d’un mois, de leur mouvement d’humeur. Le temps d’une meilleure appréciation du protocole d’accords par le gouvernement et de la preuve de bonne foi des magistrats, qui jugent nécessaire ce temps pour évacuer des dossiers pendants en justice. Au terme d’un mois de reprise, et en fonction de l’évolution dudit protocole, la grève sera définitivement levée ou reprise. Dans la seconde hypothèse, ce sera au péril de la justice tchadienne et partant, des justiciables, qui n’étaient déjà plus admis à faire valoir leurs droits en justice, plus de deux mois durant. Et ce sera au tort exclusif du désormais “tout-puissant” ministre des Finances, Tahir Hamid Nguilin qui en fait depuis bien longtemps à sa tête.

 

Le dangereux pied-de-nez

Or, la constitution de la République du Tchad établit, sans ambages, en son titre III portant attributions du pouvoir exécutif, “chef de l’État’’, le président de la République à qui elle confère des prérogatives précises consistant en “la définition de la politique générale de la nation” et, le Premier ministre, “chef du gouvernement”, recevant, lui, des prérogatives, aussi claires que précises, “d’exécution” de la politique générale de la nation, définie par le président de la République, en “coordonnant et animant l’action gouvernementale”. En clair, la constitution en vigueur en République du Tchad, organise et répartit formellement les attributions du Président de la République et du Premier ministre, qu’elle désigne, par ailleurs, chefs de l’exécutif. La disposition en question, ne souffre d’aucune ambiguïté, aussi bien dans la lettre que dans l’esprit de la constitution. Car, qui dit chef, dit donneur d’ordres. En l’espèce, c’est bel bien le Premier ministre, sous l’autorité duquel, travaillent tous les membres du gouvernement, y compris le ministre des Finances, fut-il, un Nguilin. Mais force est de constater que ce dernier développe une dangereuse rébellion aux textes de la République, en envoyant fréquemment des pieds-de-nez aux actes émanant des deux chefs de l’exécutif, et sur des questions d’importance capitale, comme celle de la justice, gage de la stabilité politique et de la paix sociale. Le fait-il, cette fois, parce qu’il est simplement hostile à la justice conventionnelle comme bien d’autres hauts dirigeants du pays ou parce qu’il demeure toujours ferme à sa logique de mépris légendaire d’une catégorie de Tchadiens ? Rien n’est moins sûr.

Certes, la constitution n’oblige pas Nguilin à aimer une catégorie donnée des Tchadiens, mais elle lui impose, cependant, son respect et celui des personnalités qui l’incarnent à travers les institutions de la République. Cela n’est pas négociable, car, ça va au-delà de son titre de ministre et de sa propre personne. Le refus d’obtempérer aux ordres légaux et légitimes d’un Premier ministre n’est rien d’autre que la mise en cause manifeste des textes et lois de la République en vertu desquels celui-ci agit. Étant entendu que Nguilin, fut-il, ministre des Finances, ne règlera pas de sa poche, les revendications, somme toute, légitimes des magistrats, mais bien plutôt du Trésor public, dont il est dépositaire. En s’accordant sur le protocole d’accords, le Premier ministre et les deux autres membres concernés du gouvernement, à savoir ceux de la Fonction publique et de la Justice, en ont certainement mesuré la portée et parcouru tous les paramètres de son exécution. Un ministre, ça obéit au principe de la solidarité gouvernementale ou ça démissionne. Sinon, le contraire aurait été étonnant. D’autant plus étonnant qu’on en vient à se demander d’où Tahir Hamid Nguilin tire-t-il soudainement sa toute-puissance ou mieux, la force de ses défis impunis ? De sa fortune bâtie autour de son poste de ministre éternel des Finances ? De son appartenance à une influente communauté ethnique ? Peut-être. Sinon, qu’est-ce qui peut bien expliquer une telle attitude ? Sauf erreur d’appréciation, l’on peut en déduire que si Nguilin nourrit, à ce point, une indélicatesse royale, c’est qu’il n’a, non seulement des intentions inavouées, mais il est aussi et surtout sûr de la largesse de ses épaules. Tant, le pouvoir clanique des Itno est sérieusement fragilisé de l’intérieur, depuis le décès d’Idriss Déby Itno, en avril 2021. Pour rappel, en 2021, Nguilin a bloqué sans aucune explication, la bourse d’études de quelques jeunes tchadiens admis à l’Institut africain d’informatique (Iai) de Libreville, au Gabon. Plus récemment, il a simplement refusé le paiement de la dette intérieure, pourtant ordonné par le Président de transition, Mahamat Idriss Déby, ainsi que les arriérés de 10 ans de salaire du Juge Emmanuel Dekeumbé, malgré qu’il a été réhabilité et un décret pris pour le rétablir dans ses droits, enjoignant les ministres en charge de la Justice et des Finances. Ce que le Garde des sceaux a exécuté, mais pas Tahir Hamid Nguilin. L’intégration à la Fonction publique, pourtant budgétisée, des lauréats de grandes écoles publiques professionnelles, qui aurait dû être automatique, ne l’est plus, pour des faits mercantiles conjugués du ministre des Finances, Tahir Hamid Nguilin et de différents Secrétaires généraux du gouvernement (Sgg) qui se succèdent. Et, ceci n’est motivé que par “la mauvaise tête” des lauréats. Aujourd’hui, l’École nationale de formation judiciaire (Enfj), l’École nationale d’administration (Ena), l’École normale supérieure (Ens), l’École nationale supérieure des travaux publics (Enstp), l’École nationale des agents socio-sanitaires (Enass), etc., dont l’entrée se fait sur de critères très rigoureux et sélectifs de concours, ne garantissent plus le droit à l’emploi public. Tant, ce délit de faciès est banalisé, car, n’émouvant plus personne, ni même l’Assemblée nationale.

Thomas Reoukoubou