déclare Dr Djimalngar Madjibaye, Secrétaire général de l’Entente des églises et missions évangéliques au Tchad (Eemet) au cours de cette interview où il aborde la transition, le dialogue national, l’injustice et la pâque chrétienne.
Pasteur, dans quelques jours les chrétiens évangéliques célébreront la fête de la pâque. Quel est le sens de cette célébration et quelle leçon le chrétien doit-il tirer dans le contexte actuel de la transition au Tchad ?
La fête a deux connotations mais le sens est le même. Il y a pâque et pâques. La première est une fête juive commémorée par les enfants d’Israël sortis d’Egypte par Moïse. Et la deuxième est la pâque célébrée par les chrétiens. Dieu a donné à Moïse une stratégie où il devait immoler un agneau et appliquer son sang sur les linteaux des maisons des enfants d’Israël. De cette manière, lorsque l’ange passe et voit le sang, il passe par dessus et ces maisons sont épargnées. Dieu a dit à Moïse que les Israelites doivent se souvenir de tout ce qu’il a fait pour eux. D’où cette commémoration perpétuelle des Juifs. Quand Jésus est venu dans le monde, il a célébré la pâque juive. Ensuite, il a changé en disant qu’il est lui-même pâques. Parce qu’il sait qu’il s’offrirait en sacrifice pour le salut de l’humanité, la libération des hommes du joug du péché. Lui, il est l’agneau immolé. Comme le sang de l’agneau a permis à l’ange d’épargner les enfants d’Israël, alors ceux qui l’accepteront comme Seigneur et sauveur seront sauvés. Ils ne passeront pas par la seconde mort. Comme Christ est mort et ressuscité, les chrétiens ne célèbrent pas la pâque comme les enfants d’Israël.
Par rapport à la situation actuelle de la transition, qu’est-ce que nous chrétiens pouvons tirer comme leçons ? C’est très intéressant parce que nous sommes de pèlerins de passage vers le ciel. Et Jésus nous a sauvés par sa mort et sa résurrection, c’est pourquoi, nous célébrons la victoire sur la mort. Nous célébrons aussi cette fête dans la pensée que Dieu va nous visiter au Tchad. Puisque Dieu a ressuscité notre Seigneur et sauveur Jésus Christ d’entre les morts. Nous nous inscrivons dans la perspective que Dieu nous sauve de la situation actuelle où nous sommes. Si le mot pâques signifie la victoire de la vie sur la mort, que Dieu nous visite au Tchad et nous donne la victoire aussi sur les forces du mal afin que notre pays retrouve la paix. Et qu’elle soit la vraie paix que Dieu donne en envoyant son fils pour bannir l’injustice parce que ce qui tue ce pays, c’est l’injustice. Comme notre Dieu est celui de la justice, qu’il nous rende visite pendant cette fête de pâques afin que la justice règne dans ce pays.
Comme les enfants d’Israël, les Tchadiens ne sont-ils pas à l’attente d’un Sauveur, d’un Moïse en cette période de transition, après 61 ans d’échecs de tous ordres ?
Je parlerais de la libération. Il y a une théologie qu’on appelle théologie de la libération. Et cette théologie, c’est pour nous rapprocher de ce que Dieu a fait pour les enfants d’Israël. Le livre d’Exode est le livre de la libération. Nous avons vu comment Dieu lui-même a libéré les enfants d’Israël du joug de Pharaon. Nous développons aujourd’hui cette théologie de la libération pour dire que le plus souvent, Dieu est aux côtés de ceux qui souffrent, des opprimés pour les libérer. Comme il a eu pitié des enfants d’Israël en envoyant Moïse les libérer. Nous croyons que c’est le même Dieu que nous servons, il est le même hier, aujourd’hui et pour l’éternité. S’il a fait grâce aux enfants d’Israël hier, il le fera aussi aujourd’hui pour les Tchadiens. Il faut reconnaître que tous les Tchadiens souffrent depuis l’indépendance. La preuve est que le contexte dans lequel nous sommes, il y a des cas de tuerie à Abéché, à Sandana et bien d’autres cas d’injustice et d’impunité. C’est vrai que Dieu nous donne des autorités mais en tant que religieux, ce que nous demandons aux autorités, c’est de prendre en compte les cris du peuple. Ceux qui étaient en Egypte ont crié et Dieu a entendu. La Bible nous dit que quand le malheureux crie, Dieu l’entend et quand il entend, il vient à son secours, il ne restera pas insensible. De quelle manière il nous libérera ? C’est lui seul qui sait. Il faut être du côté de Dieu et agir bien. Nous voyons beaucoup d’hommes mais nous ne savons pas qui est le Moïse du Tchad. Nous prions que Dieu ait pitié du Tchad, qu’il écoute ses cris. Puisque pâques marque la victoire du bien sur le mal, après les quarante jours de prière organisés par les chrétiens, Dieu va écouter les cris du peuple et le changement viendra dans ce pays.
Depuis quelques semaines, l’actualité est dominée par les tueries qui ont eu lieu à Abéché et à Sandanan à l’origine de votre communiqué de presse dénonçant cette barbarie. Que vous inspirent ces actes de violence ?
Ces actes de violence ne glorifient pas Dieu. J’ai réagi parce que l’homme est créé à l’image de Dieu et à sa ressemblance. C’est Dieu seul qui peut ôter la vie à un homme. Il n’appartient pas à un individu ou des individus de prendre allègrement des fusils et tuer, tuer parce qu’ils ont le pouvoir. Non ! C’est pourquoi nous dénonçons ces comportements. Bien au contraire, celui qui est au pouvoir, son rôle c’est de protéger. C’est ce que doivent faire aussi les militaires. La force ne peut se justifier que contre les agressions venant de l’extérieur. Quand un Tchadien tue un autre, il n’y a pas de justification. Malheureusement, la justice n’arrive pas à nous dire clairement qui a tort. Quand on s’est renseigné, on s’était rendu compte que ce sont des innocents qui ont été tués. Comment peut-on se lever et tendre embuscade et tuer des gens à mains nues à l’exemple de ce qui s’est passé à Sandanan où 12 personnes ont été tuées. Ça c’est de la barbarie, c’est contre la volonté de Dieu. Et ce mal est fait d’abord contre Dieu parce que cet innocent qui est tombé sous les balles est créé par Dieu. L’autorité est censée protéger cet innocent. C’est Dieu qui établit les rois, et ce n’est pas pour qu’ils abusent de ceux dont ils ont la charge. A Abéché, les gens qui ont manifesté leurs mécontentements ont été tués. En tant que chrétiens, nous ne pouvons pas nous taire face à ces choses.
Que peut faire l’Eglise face aux nombreuses injustices dans notre pays ?
C’est vrai que l’injustice est dans notre pays et à différents niveaux, personne ne peut le nier. L’injustice est transversale, quand on favorise une partie et on laisse les autres souffrir, on intègre les uns, on laisse les autres, quand les biens qui doivent profiter à tous les Tchadiens sont mal répartis. Quand il y a un groupe qui est riche, un autre très pauvre, c’est l’injustice. Il y a l’injustice même dans la répartition des infrastructures, notamment les centres de santé, les routes, les écoles et autres. Nous dénonçons cela. Quand Dieu nous donne l’occasion d’être avec ceux qui sont au pouvoir, nous ne manquons pas de le leur dire. Seulement ce que nous disons au président, au premier ministre, aux députés et ministres, nous ne pouvons le divulguer dans un communiqué de presse. Je viens de prendre les rênes de l’Entente il y a moins d’un an, mais j’ai déjà rencontré quatre fois le président. J’ai demandé des audiences, nous avons des temps d’entretien avec lui. Nous avons apporté notre contribution. Il y a des profito-situationnistes qui ne veulent pas que cette situation change. Nous ne manquons pas l’occasion de dénoncer l’injustice. A l’occasion de la célébration de la Noël passée, nous avons dénoncé l’injustice, à la célébration de la journée de prière, nous avons dénoncé l’injustice et avons dit au président ce qui est bon de faire et ce qui est mauvais et qui crée de problèmes dans notre pays. On peut apporter le changement par sa présence tout en évitant de faire ce qui est mal.
En tant que berger, quels regards portez-vous sur les préparatifs du dialogue national inclusif ?
C’est toujours la suite de notre lutte. Je suis les débats sur ce que le gouvernement fait, même ce qui se passe à Doha au Qatar. Quand je suis avec les plus hautes autorités du pays, elles savent que je suis le pasteur. Et le pasteur est appelé à toujours dire la vérité. Nous prions pour que ce rendez-vous aide le Tchad à vivre le pardon. Parce que le dialogue, c’est amener les gens à être conscients de ce qui est mauvais et changer de comportement et il y a beaucoup de choses qui sont mauvaises dans ce pays. Le dialogue a besoin d’humilité. Et je m’inquiète un peu à ce sujet. Je me demande si les gens qui organisent ce dialogue sont conscients de ce danger. Quand on n’est pas humble, on pense que son point de vue prime et là on ne peut pas dialoguer. L’humilité permet d’écouter. Parce que celui qui a subi peut se lever et parler beaucoup ; il faut avoir l’humilité pour l’écouter. Et tant que berger, nous souhaitons que ce dialogue-là ait lieu pour donner l’occasion à ceux qui sont blessés d’ouvrir leurs cœurs pour pardonner. Mais l’homme est ce qu’il est. S’il y a des mauvaises volontés ou des agendas cachés, c’est Dieu qui voit tout dans le secret. Mais nous souhaitons que le dialogue ait lieu.
Quels seront les apports de l’Entente au dialogue national qui s’ouvre dans les semaines à venir pour une paix durable, un État de droit et de justice dans notre pays ?
Il y a deux façons, je peux même dire trois. La première c’est de participer, pour leur montrer notre bonne volonté. C’est ce que nous sommes en train de faire, nous sommes à leurs côtés. L’Entente est représentée dans le comité d’organisation. Nous ne sommes pas là à titre figuratif, nous apportons véritablement nos contributions. Nous leur disons que si vous prenez cette voie, ça marchera. La deuxième, c’est dans la prière. Dieu a dit que le cœur des hommes est dans mes mains, je les incline comme je veux. Partout dans les églises, nous encourageons les chrétiens à prier. A la veille du dialogue, nous allons intensifier les prières, il y aura des chaînes de prière. A partir de ce mois de mars jusqu’au dialogue, nous réfléchirons sur la contribution de l’Entente au dialogue, il y aura une déclaration de l’Eemet à la veille du dialogue pour affirmer notre position, celle des évangéliques au Tchad. A défaut d’une déclaration, nous remettrons au comité d’organisation le document sur les différentes questions de la vie nationale.
Quels commentaires faites-vous du départ de l’ancien président Goukouni Weddeye du Comité technique spécial avant l’ouverture du pré-dialogue ?
C’est un regret parce qu’à la veille d’une rencontre de cette importance, il ne faudrait pas noter une démission. Parce que la démission cache toujours quelque chose de suspect. Ça crée un climat de méfiance. J’aurais souhaité que celui qui a démissionné en donne les raisons. Est-ce que cela ne va pas jouer sur la rencontre en cours à Doha ? Si le pré-dialogue ne réussit pas, cela peut avoir des répercussions sur le dialogue national. Une démission n’est pas bonne dans un processus de dialogue. J’aurais souhaité que le président Goukouni soit au pré-dialogue. On pouvait renforcer le Comité avec d’autres personnes mais l’écarter carrément n’est pas bien. Surtout que c’est une personne âgée et avec plus d’expériences sur tout ce qui s’est passé au Tchad.
Propos recueillis par
Gaspard Boulalédé.