Les déboires judiciaires de Mariam Ibet

L’ancienne maire de la capitale croupit en prison depuis plus de deux mois, sur la base des accusations notamment d’abus de fonction et de concussion, faites par l’Inspection générale d’Etat (IGE) qui bâcle délibérément la procédure et change frauduleusement les plaintes.

Tout commence le 31 juillet 2019 lorsque l’IGE décide de diligenter une mission de contrôle et de vérification des ressources financières et humaines de la commune de N’Djaména pour les exercices 2016 à 2018. Au cours de ses investigations et après analyse des recettes, dépenses et inventaire physique des matériels de trois derniers exercices de l’institution, la mission décèle, selon le rapport, beaucoup d’irrégularités ayant entraîné des déperditions des recettes de la commune et partant de l’Etat.

Le 26 août 2019, l’Inspecteur général d’Etat, Ahmat Mahamat Zagalo, adresse au ministre de l’Administration du territoire une correspondance ayant pour objet la mise en œuvre du rapport de mission. Le rapport contient une quarantaine des “recommandations validées et dont la mise en œuvre [est] instruite urgemment par Son Excellence Monsieur le Président de la République”. Trente-cinq de ces recommandations concernent le volet financier et matériel et vont de la réduction des comptes bancaires de la commune à deux au maximum à la mise en place d’une commission placée sous la présidence de l’IGE chargée d’élaborer un manuel de procédures administrative, financière et de gestion du personnel. Dix-sept autres touchent le personnel: licenciement pour motif économique des 257 agents recrutés entre 2016 et 2018 sans avis du conseil municipal, suspension du recrutement des agents par contrat à durée déterminée, suspension de tout remplacement numérique pour motif de départ à la retraite ou décès, etc. Il n’y est fait nullement mention de poursuite judiciaire.

Le 14 octobre, l’IGE dépose une plainte en justice contre Mariam Djimet Ibet et trois de ses anciens collaborateurs: Attidjani Abdraman Nourène, son ex 1er adjoint, Abakar Adoum Ali, ex-directeur administratif, financier et des matériels et Abdoulaye Yacouba, ex SG de la commune. Griefs retenus: abus de fonctions, concussion et autres infractions connexes. Le même jour, l’ancienne maire est auditionnée par la police judiciaire, présentée quatre jours après au juge d’instruction qui décide de la placer sous mandat de dépôt. Elle est immédiatement conduite à la maison d’arrêt d’Amsinéné où elle est détenue jusqu’à ce jour.

 Jeu des plaintes

La plainte sur la base de laquelle la procédure a été enclenchée contre Mariam Ibet date du 14 octobre 2019. Curieusement, elle sera remplacement par une nouvelle plainte arrivée au cabinet du juge d’instruction le 11 novembre, mais antidatée au 14 octobre, comme la première plainte. Sur la nouvelle plainte on peut lire: “Mariam Djimet Ibet et Attidjani Abdraman Nourène doivent être poursuivis pour avoir violé les dispositions du code des marchés publics en favorisant leurs propres entreprises. Monsieur le Procureur de la République, la plainte contre les susnommés se justifie par les faits ci-haut relatés afin qu’ils soient traduits devant les juridictions compétentes pour répondre de leurs actes conformément à la loi et l’IGE se réserve le droit de chiffrer ultérieurement ses réclamations civiles au cours de la procédure”. Un exploit de Me Djounfoune Golbassia Félix, huissier de justice, établi le 2 janvier 2020, met à nu ce jeu de plaintes. L’IGE commet même l’imprudence de mettre la même date que la première plainte qui a été contredite par la date de la décharge, postérieure à la date figurant sur la plainte.

Les avocats de Mariam Ibet montent au créneau et accusent l’IGE d’avoir frauduleusement posé des actes illégaux. “Elle (l’IGE, Ndlr) a commis en effet un faux et usage de faux en introduisant une nouvelle plainte à l’insu du juge d’instruction, du parquet des conseils, en faisant signer la décharge au greffe du cabinet d’instruction et en retirant incognito la première plainte. Ces agissements sont contraires à la loi”, précisent-ils.

En plus de ce remplacement frauduleux de plainte, la procédure utilisée par l’IGE et les charges formulées laissent perplexe. L’IGE a choisi de notifier son rapport directement au ministre de l’Administration du territoire le 27 août 2019. Pourtant, l’article 52 de la loi organique n°002 portant régime des collectivités territoriales décentralisées dispose qu’une copie du rapport de contrôle doit être transmis au conseil municipal qui l’examine et délibère sur les mesures éventuelles à prendre.

 Fautes administratives

Par ailleurs, le rapport transmis au ministère de tutelle, ne recommande aucune poursuite judiciaire. Les fautes relevées sont purement administratives, leur conséquence aurait été de relever l’ancienne équipe de ses fonctions. Ce qui a été fait le 4 octobre 2019: après vingt-trois mois à la tête de la commune, la maire de la capitale et ses deux adjoints ont été démis de leurs fonctions et remplacés par un nouvel exécutif dirigé par Saleh Abdelaziz Damane.

C’est à la surprise générale que l’IGE va déposer une plainte auprès du tribunal de grande instance de N’Djaména le 14 octobre 2019. Cette plainte, qui était à la base de l’interpellation de Mariam Ibet et de ses anciens collaborateurs, soulève essentiellement trois infractions: abus de confiance, concussion et autres infractions connexes. Mais la police judiciaire va s’intéresser à la réforme de certains véhicules, menée par une délibération du conseil communal, conformément aux dispositions de la loi n°002 précitée.

Elle se penche aussi à la redevance sur les panneaux publicitaires payée par la société de téléphonie mobile Airtel Tchad. Cette redevance était de 27,5 millions de francs CFA par an, entre 2014 et 2016. Après de longues et âpres négociations, l’équipe de Mariam Ibet avait réussi à la porter à 150 millions de francs CFA en 2017.

Elle évoque également tantôt un détournement de fonds publics, tantôt un blanchiment de capitaux dont on ne connait pas les montants exacts.

Elle accuse enfin Mariam Ibet d’avoir attribué des contrats de curage des caniveaux à une entreprise gérée par son frère cadet. “Ces attributions sont faites dans les mêmes termes que les autres adjudicataires, sans régime préférentiels”, rétorquent les avocats de la maire. “Par ailleurs, l’intéressé a exécuté les contrats conformément aux termes de référence fixés par le cahier de charges et dispose des attestations de bonne exécution des travaux. En conséquence, la mairie n’a subi aucun préjudice financier”, ajoutent-ils. Ils affirment même que le code des marchés publics n’a jamais été appliqué au sein de la mairie depuis sa création et qu’il a fallu attendre février 2019 pour que le Secrétaire général de la présidence de la République notifie à la mairie le respect des dispositions dudit code.

Ghislain Djimra