Les avocats, huissiers et notaires sont en colère. Ils ont organisé une marche pacifique le lundi 21 février pour exiger le respect des droits humains et la justice.
Itinéraire de la marche : Cour suprême au ministère de la Justice. “Nous avocats, huissiers de justice et notaires exigeons le respect des droits humains et la justice au Tchad”, peut-on lire sur l’une des banderoles brandies par les marcheurs.
Sous des regards étonnés, les passants et riverains du tronçon emprunté par les manifestants, manquent de mots face à l’évidence. Mais à travers leurs visages effarés beaucoup de questions se posent. Les plus courageux qu’enquièrent de ce qui se passe, car voir toute une foule (femmes et hommes) tout de noir vêtue en train de marcher de la sorte appelle tout de même à s’interroger. Pourquoi les toges qu’on a que de coutume à voir au Palais de Thémis se baladent dans la rue ?
“Si les auxiliaires de justice qui sont proches de la justice réclament la justice, c’est que le pays va très mal. Si les avocats qui ont l’art de plaider innocenter ou alléger la peine des plus grands criminels crient injustice, nous autres vraiment sommes foutus”, hoche sa tête un curieux qui s’est arrêté au bord de la voie bitumée pour observer la marche.
Tous en toges, les manifestants ont investi dès 8 heures leur lieu de rassemblement d’où doit tantôt s’ébranler la marche. Les pancartes en main parlent d’elles-mêmes. “La personne humaine est sacrée et inviolable ! Non à l’impunité ! Justice aux victimes d’Abéché ! Justice aux victimes de Sandanan ! Justice aux différentes victimes des marches réprimées ! Halte à la violence institutionnelle ! Non aux bavures et brutalités policières ! Non à la restriction des libertés ! Non à la traite des personnes !”, etc. Venues de la part des professions libérales judiciaires, ces inscriptions en disent long. Pour les manifestants, l’heure est grave. Personne ne peut se taire face à toutes les violations des droits humains et l’injustice qui sévissent au Tchad.
C’est dans un silence total, sans obstruction et encadrés par les forces de sécurité que les avocats, huissiers et notaires ont terminé leur marche à la devanture du ministère de la Justice, chargé des droits humains. L’un après l’autre, les présidents de différents corps constituant les professions libérales judiciaires ont pris la parole. Pour exprimer leur ras-le-bol face aux massacres et tueries enregistrés post Déby Itno qui ont tout l’air de se perpétuer.
“Nous nous inclinons devant la mémoire de nombreux tchadiens qui ont trouvé une mort gratuite. Peut-on contribuer à acheter des armes pour qu’elles se tournent contre nous?” Non ! répond le président de la Chambre des huissiers, Me Eldjimbaye Mbaïhoudou Elysée, expliquant le sens de leur manifestation qui est l’expression d’un total désaccord avec la posture du gouvernement qui a mis la justice de côté par son refus d’exécuter certaines décisions de justice. L’État doit se soumettre à la justice, car dit-il, il n’y a que la justice qui élève une nation. C’est pourquoi, le Tchad doit se réinventer et non continuer à être premier en insécurité et dernier en indice de développement humain, ajoute le président de la Chambre nationale des huissiers.
“Nous prenons à témoin l’opinion que ni les avocats ni les huissiers moins encore les notaires, munis de leurs toges noires n’ont jamais organisé une marche. Mais si nous sommes sortis aujourd’hui, c’est parce que nous sommes excédés. Excédés par la recrudescence des barbaries de tueries humaines et de massacres des paisibles citoyens dans ce pays censé être démocratique. Excédés par la violation du droit à l’intégrité physique, le droit à la vie humaine et à la sécurité et par l’absence de l’État dont les conséquences immédiates sont l’injustice, l’impunité, l’inégalité, le népotisme…”, fustige à son tour président de la Chambre nationale des notaires, Me Djomian Germain. La couleur noire de leur toge, est-il, symbolise les cruels assassinats des concitoyens tchadiens. Il demande aux autorités de protéger la vie des citoyens, mais au cas où cette vie est menacée, l’État a le devoir de rendre justice aux citoyens. Pour lui, tout ce qui se fait à la justice est une couche de vernis dont le but est de la faire briller aux yeux de l’opinion. “Que cesse définitivement la barbarie humaine débouchant sur les tueries et les massacres valant ainsi le sacre des conflits communautaires et conflits agriculteurs-éleveurs”, exige-t-il.
“Nous sommes en deuil comme tous les concitoyens qui vivent dans le deuil. Notamment ceux de Faya, Abéché et Sandanan. Trop c’est trop ! Le sang a assez coulé ! Les autorités sont interpellées à assumer leur responsabilité et ce n’est pas une demande ni une prière, mais une exigence”, tonne le président de l’Ordre des avocats, le Bâtonnier Me Djérandi Laguerre Dionro. Pour lui, l’état de droit ne se mesure qu’à l’aune de la justice. Malheureusement, constate-t-il, tel n’est pas le cas au Tchad. “Il y a justice lorsque tous les tchadiens sans exception ont accès à la justice sans qu’elle ne soit manipulée. La justice est aussi sociale. Il faudrait que les ressources soient distribuées de manière équitable car, en justice, personne n’a de droit plus qu’un autre, le droit est dit de la même manière et en faveur de tous. Il n’y a pas de raison que certains tchadiens se croient plus importants que les autres. Nous ne sommes pas à l’état de nature où certaines personnes pensent avoir le droit de vie et de mort sur les autres. Au nom de quoi, ces tchadiens croient être au-dessus des lois ? C’est l’absence de l’injustice, c’est l’échec des autorités qui confondent tout. Le plus grave, les mêmes autorités qui sont les garants de la justice distribuent des armes à des personnes qui tuent à volonté parce qu’ils ont ces autorités analphabètes et semi-analphabètes derrières elles. Nous n’en voulons plus. Trop c’est trop” !, s’offusque le Bâtonnier. “Il ne suffit pas que l’État tienne des discours sur l’Etat de droit mais il faut qu’il agisse. Il faut qu’il arrête tous ceux qui sont contre l’Etat de droit au Tchad et faire respecter les lois de la République. Que la justice arrête de créer l’injustice et l’insécurité car, si les magistrats ont peur de rendre les décisions de justice, c’est la faute de la justice”, oriente-t-il en remettant une lettre ouverte de six pages au secrétaire général du ministère de la Justice, chargé des droits humains, représentant son ministre de tutelle.
Minnamou Djobsou Ezéchiel