En dépit de sa fulgurante ascension au sommet de la diplomatie tchadienne, Mahamat Zène Cherif, l’actuel ministre de la Communication, traîne avec lui une tare dont il se départit difficilement, celle de sa mauvaise gestion des Ressources humaines, du népotisme et de l’injustice. Témoignage d’un diplomate.
L’ambassadeur Mahamat Zene Cherif est un haut cadre du Ministère des affaires étrangères, de l’intégration africaine et des tchadiens de l’étranger (Maeiate). Et ce n’est pas fortuit qu’il a été élevé à la dignité d’ambassadeur. Cette élévation découle logiquement de “bons et loyaux services rendus” à l’Etat à l’issue de son passage, d’abord à Addis-Abeba comme ambassadeur, représentant permanent auprès de l’Union africaine (Ua) et la Commission économique pour l’Afrique (Cea), puis ambassadeur, représentant permanent auprès des Nations Unies à New York. Ce cumul d’expériences professionnelles diplomatiques africaine et mondiale lui a valu d’être rappelé à Addis lors du mandat à la présidence de l’Ua assuré par le Chef de l’Etat en 2016. De ce parcours, ne lui reste que le poste d’ambassadeur, représentant permanent auprès de l’Union européenne à Bruxelles pour boucler son cursus diplomatique. Néanmoins, il est passé à une vitesse supérieure, celle d’être nommé ministre et d’avoir exercé à la tête du ministère des Affaires étrangères, de l’intégration africaine et des tchadiens de l’étranger pendant deux années.
Cependant, son péché originel est celui qui revient de manière récurrente: l’amalgame entre ses sentiments personnels et la gestion administrative du personnel.
Injustice, népotisme
En globalement 8 années d’exercice à la tête de l’ambassade du Tchad en Ethiopie, il a fait rapatrier de force 4 diplomates, ses collaborateurs, pour des broutilles pour la plupart, soit en moyenne 1 diplomate tous les 2 ans. J’ai été personnellement témoin oculaire et auriculaire de violences verbales, d’insanités proférées et d’agression presque physique (n’eut-été mon interposition) entre lui et l’attaché de défense de l’ambassade. Naturellement et comme à l’accoutumée, c’est l’attaché de défense qui en a payé les pots cassés du fait des pouvoirs “démesurés” accordés aux ambassadeurs en général, lesquels en usent et en abusent à leur guise, faisant ainsi des ambassades leur propriété privée, pour ne pas dire familiale. La cause de cette incartade ayant coûté le départ précipité dudit attaché est une histoire de quartier qui a été transposée à la chancellerie, entre la secrétaire de l’ambassade et le fils de celui-là. Rien à voir avec la collaboration professionnelle entre Chef et subordonnée. Tout simplement parce que la famille de l’ambassadeur s’en est mêlée. Mais je vous fais l’économie des faits et gestes débordants de l’ambassadeur Cherif avec les membres du personnel de l’ambassade, pour ne retenir que le dernier cas me concernant (Dieu sait s’il y en a eu plusieurs). Alors que, de mon état de 1er conseiller à l’ambassade d’Addis, je fus appelé a d’autres fonctions, notamment en qualité de 1er Conseiller à l’ambassade à Pretoria en janvier 2017, et dans l’attente de mes frais de départ, l’ambassadeur Cherif fait venir à Addis Abeba mon remplaçant, lui notifie une prise de service et à moi une cessation de service, en mai 2017. Ceci, en totale violation flagrante de la règle en vigueur régissant les ambassades en matière de mutation ou de rappel des membres du personnel. Cette règle stipule que le diplomate ou l’agent rappelé ou appelé a d’autres fonctions reste en poste jusqu’à la réception effective de ses frais de transport, de ceux des membres de sa famille et de leurs bagages. Le motif avancé est que j’ai refusé de travailler. Faux.
Abus de pouvoir
Il a cessé de lui-même de m’orienter les tâches et de me donner des instructions. En fait, il m’est fait le reproche de ne m’être pas pleinement investi dans un rôle de protocole lors d’une fête organisée à l’ambassade, rôle d’ailleurs ne relevant pas de mes attributions. Avant la notification de cessation de service, et par l’entremise du 2ème conseiller de l’ambassade, il me demande de libérer la résidence de l’Etat où je logeais avec ma famille. Ce à quoi je n’ai pas obtempéré. Et pourtant, il a maintenu dans cette même résidence de l’Etat la famille du conseiller économique lequel a été appelé il y avait belle lurette à d’autres fonctions non étatiques en dehors d’Ethiopie. Deux poids deux mesures. Suite à cette injuste notification, je lui ai adressé une lettre de rappel avec copie au secrétariat général, mettant à nu sa gestion calamiteuse du personnel basée sur les émotions. J’ai donc dû payer de ma poche ces frais pour rentrer à N’Djaména, ne pouvant aller directement à Pretoria où mon prédécesseur attendait justement ses frais de rapatriement. Le comble, ces frais supportés par moi-même ne m’ont jamais été remboursés, au motif bancal que je n’étais pas rappelé mais appelé à d’autres fonctions. Le choix m’avait-il été offert pour faire autrement que de rentrer au Tchad? Dans l’attente de mes frais de transport pour Pretoria et de ceux de rapatriement de celui que j’y remplace, l’ambassadeur Cherif fut nommé fin 2017 ministre des Affaires étrangères. Je me rappelle avoir dit au directeur administratif et financier du ministère que Dieu m’a abandonné. Automatiquement, celui-ci fait suspendre en février 2018 mon salaire de diplomate d’Addis qui courait toujours. Le secrétariat général ayant fait de mon cas une entorse au principe pour ne pas couper ce salaire. Trois mois plus tard, en mai 2018, comme pour me donner le coup de grâce, le poste de 1er conseiller à Pretoria est purement et simplement supprimé, dans la foulée de la suppression d’une dizaine d’autres. Suite à cela, j’introduis une demande de reprise de service au ministère et c’est en août 2018 qu’il me met à la disposition de la direction générale, nouvelle version du Secrétariat général, sans fonction précise et donc sans bureau, dédaignant royalement ainsi mon grade de ministre plénipotentiaire et mes six années d’expériences diplomatiques acquises à Addis. Parallèlement, il fait nommer des incompétents directeurs de service. Et même un Dg qui s’est révélé incompétent et défaillant et qu’il a tôt fait de relever de ses fonctions et de muter, paradoxalement, à un autre poste stratégique. Dieu sait si pendant mon séjour à Addis j’ai contribué à bien faire fonctionner l’ambassade. Bilingue de mon état (français-anglais), j’étais au four et au moulin, presque le seul à abattre dans les deux langues la masse des tâches à accomplir dans nos relations bilatérales (Ethiopie et pays sous juridiction) et multilatérales (Ua et Cea), outre les réunions à Addis et missions à l’extérieur plus leurs comptes rendus et autres rapports. Je voudrais prendre ici à témoin le personnel de l’ambassade et une personnalité et non des moindres, l’ambassadeur Ahmat Awad Sakine, ancien ministre des Finances, ancien ambassadeur, représentant permanent à Addis, actuellement représentant permanent de l’Ua auprès de l’Ue.
Je suis d’une nature résiliente
En six années d’exercice à Addis, c’est à la fin de mon service que l’on me trouve subitement des poux sur la tête. Qui veut noyer son chien…, dit l’adage. La réalité, la triste, est que l’ambassadeur Cherif a assouvi sa rancœur voire sa haine à mon encontre et ce, gratuitement. Il n’a pas pu me décamper de l’ambassade d’Addis comme à son habitude. Dieu sait combien de fois il m’a poussé à bout pour pouvoir découdre avec moi, mais je ne lui ai jamais prêté le flanc, mais ai souffert atrocement dans mon for intérieur de sa collaboration. Mortel comme moi, il s’est employé à couper mon “lougouma” divin et retarder ainsi mon cursus. Mais Dieu est clément et miséricordieux car je suis d’une nature résiliente. Mon lougouma, comme le sien d’ailleurs, passera via la voix et le bras d’une tierce personne, inchallah! Comment l’homme politique qu’il est devenu aujourd’hui, susceptible de diriger le Tchad de demain, n’arrive pas à se défaire de la subjectivité latente, persistante et manifeste qui transparaît toujours dans ses prises de décision en matière de gestion des Rh? Je fais abstraction des déboires qu’ont connus les membres du bureau du syndicat du ministère, pourtant partenaire social constructif et légalement reconnu par la loi fondamentale. En fait, et pour finir, la suppression des postes et la création de d’autres dans les ambassades entreprises par lui, loin de toute rationalité susceptible de bénéfice au ministère, et partant au pays, ne sont que pure supercherie. Dans les nouveaux postes créés, il distille savamment ses proches. Dans ceux supprimés, sporadiquement, il restitue un poste et y place un sien. Insensiblement et dans la durée, les ambassades vont se retrouver truffées de ses parents, amis et autres proches, au détriment de beaucoup d’agents du ministère qui n’ont jamais expérimenté la vie d’ambassade et qui finiront la carrière de façon incomplète. Et pourtant, le principe de rotation leur en donne droit. Heureusement que son départ du ministère, intervenu ni très tôt ni trop tard, libère tout de même.
Kettong Doradji, diplomate
Le titre et le chapeau sont de la Rédaction