Nous sommes en train de tendre vers le 6ème mois sans percevoir notre pension de retraite, affirme Saradoumngué Yamadjita Mahamat. D’un autre côté, admis à la retraite depuis 2013, il est devenu la sentinelle du musée provincial de Sarh, sans un contrat formel ni une indemnité quelconque. Il va de promesses en promesses de la part du ministère de tutelle.
Même si les propos du doyen des tchadiens conservateurs de musée et par ailleurs créateur du mythique orchestre Sao Junior sont avérés ou non, cela laisse perplexe quand un tel discours est tenu. Pour Saradoumngué qui est entré dans le domaine du patrimoine en 1972 et retraité en 2013, il continue de croire que son parcours exceptionnel devrait plutôt inciter à ce qu’il bénéficie d’une attention particulière de la part de l’Etat tchadien mais hélas! L’Etat tchadien n’est plus ce qu’il était, dit-il. Il se souvient que quand il a été recruté en 1972, il avait été longtemps préparé à l’Institut national des sciences humaines (Insh) par feu Ousmane Touadé chercheur, lui aussi, qui l’a fait travailler sous la direction de tous les docteurs et doctorants, dans divers départements. Lorsque l’Unesco organise un test pour la formation des cadres des musées de l’Afrique au sud du Sahara, il est brillamment admis. Il bénéficie d’une bourse pour la première session à Jos (Nigeria) et finit major de sa promotion. Aussitôt rentré au pays en 1976 sous le régime militaire, ses encadreurs de l’Insh ont tous été redéployés au service de la bourse. Compte tenu de son jeune âge, ils ont jugé indispensable qu’il continue ses études. Une bourse lui est accordée pour poursuivre le cycle supérieur en Belgique. Fièrement, il dit avoir atterri à Bruxelles à la grande école de Therviraine qui abrite le plus grand musée d’Europe et s’inscrit à l’Institut royal du patrimoine artistique (Irpa). Après test, l’Irpa le recommande à nouveau à Therviraine, qui abrite aussi en son sein le musée royal d’Afrique centrale, dirigé par le docteur Mazen. Ce dernier, considéré comme un des grands savants dans le domaine du patrimoine, aménage dans son bureau un espace pour lui, comme assistant. Dès qu’il finit les cours, il le rejoint et lui rend compte régulièrement de ses travaux. Le rapprochement lui donne l’opportunité de rencontrer des chercheurs et spécialistes émérites du domaine, avec lesquels il bénéficie énormément de leur riche expérience, et les fait profiter de ses recherches. De retour au Tchad en 1977, il est nommé directeur adjoint du musée national, juste à 21 ans.
Lorsqu’il rencontre Gouara Lassou, ministre de l’Enseignement, ce dernier l’informe que seul lui pouvait restaurer et créer le musée de Sarh. Gouara avait servi à Sarh comme commandant des commandos avant le coup d’Etat militaire du 13 avril 1975. Avec ses éléments, il avait déplacé les objets d’art dont beaucoup de poterie, collectionnés par un français et exposés au mess des officiers de Sarh, pour les stocker pêle-mêle dans un bâtiment abandonné qui deviendra l’actuel musée de Sarh. Il subit la pression du ministre qui a contacté son père, met sa propre voiture à sa disposition pour le conduire à Sarh et le recommande au préfet de l’époque Mbaiasbé Abdou. Ce dernier lui affecte immédiatement une villa de logement dans les italedil. Le regretté Ousmane Touadé, entretemps devenu ministre de la Justice arrive à Sarh et lui rend visite. Il lui prodigue beaucoup de conseils et l’informe que c’est une mise à l’épreuve par rapport à son jeune âge. Cela le galvanise, surtout que son logement est de haut standing, et se rend compte que beaucoup de cadres du pays le suivent. Ce qui lui donne la force de relever le défi, se rappelle-t-il tout nostalgique. Puis dans un monologue, il lâche : “six ans sans salaire pour conserver mon patrimoine. Depuis 2013, je suis admis à la retraite mais mon salaire était coupé bien avant que je ne reçoive l’arrêté. J’ai attendu deux ans avant d’obtenir mon carnet de retraite. Heureusement, on m’a payé ma prime de départ intégralement. Aucun cadre du ministère dans le domaine du patrimoine ne me dépasse en ancienneté ni en formation. L’inspectrice, Mme Tangar n’a dit que la pure vérité, lors de la rencontre avec le nouveau ministre ici à Sarh (Ndlr…). Je vis des moments difficiles et les gens veulent me laisser mourir de force. J’espère que le ministre tiendra parole en ce qui me concerne, et que ses propos ne seront pas politiques comme ceux toujours tenus par ses prédécesseurs”.
RM