“Nous utilisons les forces de la loi et non la loi de la force physique”,

répond le coordonnateur de la Police sanitaire, Hissein Palet Baimokreo, face à la prolifération des produits pharmaceutiques et traditionnels contrefaits, vendus à la sauvette et de tout autre produit susceptible de menacer la santé des tchadiens.

Quelles sont les prérogatives de la Police sanitaire ?

La Police sanitaire est une institution de l’état, créée par décret n°1611/PR/MSP/2019 du 3 octobre 2019 et placée sous la tutelle du ministère de la Santé publique et de la prévention. Elle est chargée de promouvoir l’information, la sensibilisation, la communication sociale ; de constater les infractions en matière d’hygiène et d’assainissement et les réprimer conformément à la législation en vigueur. Dotée d’un pouvoir pluridisciplinaire, elle engage plusieurs ministères sectoriels. Fort de ce pouvoir, elle a pour mission de lutter contre la non application des textes inhérents à la règlementation.

Elle lutte également contre les problèmes liés à l’hygiène, les médicaments de la rue, les produits alimentaires malsains et les produits périmés, la destruction de l’environnement, les boissons frelatées, la consommation du tabac et de la drogue.

Comment est-elle structurée et fonctionne-t-elle ?

Comme toute institution de l’état, elle fonctionne avec les moyens humains, financiers et matériels de l’état et de ses partenaires techniques et financiers en impliquant les acteurs sectoriels. Au niveau central, elle est dirigée par un coordonnateur assisté d’un adjoint, d’une équipe technique.

Dans les provinces, il est prévu la mise en place des brigades provinciales et départementales dans les jours à venir.

Des produits pharmaceutiques et traditionnels d’origine douteuse sont mises sur le marché.

Ces produits sont vendus comme de petits pains dans les lieux de service et dans les quartiers. Comment nous sommes-nous retrouvés dans une telle situation et comment ces produits entrent-ils au Tchad ?

C’est vrai que des produits pharmaceutiques et traditionnels sont vendus partout autour de nous.

Cette situation est survenue du fait de la porosité de nos frontières d’une part et de l’insuffisance du contrôle à la frontière, d’autre part. Consciente de la situation, la Coordination de la police sanitaire a effectué une mission mixte dans plusieurs provinces du pays pour sensibiliser et informer la population du danger que présentent ces produits pharmaceutiques et traditionnels d’origine douteuse sur la santé des populations.

Pour le moment, je vous informe que nous avons commencé par la vulgarisation des textes règlementaires en vigueur dans le but de lutter contre l’introduction illégale, la vente et la distribution de tout produit contrefait et illégal sur l’étendue du territoire, avant de passer à l’étape dévolue à la Police sanitaire qu’est la répression.

Les différentes entités promotrices de ces produits qui pullulent les rues sont-elles autorisées par la Direction de la pharmacie, des médicaments et des laboratoires ?

Non, et je sais de quoi je parle. Tous ceux qui s’adonnent à cette pratique l’exercent de manière informelle. Et ils savent pourtant très bien les conséquences immédiates et à long terme de leurs produits.

Quel est l’impact de la prise de tels produits sur la santé des populations quand on entend leurs promoteurs vanter leur efficacité en disant qu’ils traitent plus de 10, 20 ou 30 maladies ?

Les médicaments de la rue tuent. Ils sont très dangereux pour la population et cela n’est un secret pour personne. Nous travaillons à ce que cette pratique d’un autre âge connaisse un jour une fin pour que nos concitoyens se tournent résolument et de manière définitive vers les structures sanitaires dotées des plateaux techniques adéquats.

Ce n’est un secret pour personne que la plupart des vendeurs de ces produits font des publicités mensongères. Nous sommes conscients que dans les jours à venir, la Police sanitaire mettra fin à ces pratiques.

Etes-vous saisis par la population pour dénoncer les médicaments contrefaits ou suspects ?

Pas vraiment ! Mais il faut reconnaître que la population est au centre de nos préoccupations. La Police sanitaire cherche à se faire connaître par le public tchadien.

De ce fait, elle a mis un accent assez particulier sur la sensibilisation, la vulgarisation des textes. Cette étape sera suivie d’une large campagne à travers laquelle toute la population tchadienne se familiarisera à nous et pourra à tout moment nous contacter en venant à notre siège situé à Moursal non loin du rond-point Aigle pour plus de renseignements.

Malgré l’interdiction de la vente illégale des médicaments contrefaits, les vendeurs à la sauvette installent leurs étals au vu et su de tous dans différents marchés à l’exemple de ceux de Dembé et marché à mil.

Pourquoi laisse-t-on faire ?

Il faut noter que la lutte contre ces produits illicites est multisectorielle et nécessite la participation de toutes les entités y compris la population elle-même.

Unissons-nous pour que cette lutte porte des fruits. Toutefois, malgré la jeunesse de la Police sanitaire qui est encore à ses débuts, elle a déjà effectué une mission au cours de laquelle des vendeurs des produits pharmaceutiques d’origine douteuse qui sont autour des établissements sanitaires ont été délogés avant qu’ils ne réinvestissent les lieux. C’est vrai, à Dembé et ailleurs, ils sont là. Cela n’est un secret pour personne. Nous sommes en train de réfléchir sur des stratégies de lutte concertée pour un meilleur avenir. Un plan de contingence est en cours d’élaboration pour corriger ces failles et permettre à la population de vivre une vie saine et sans conséquence. Il faut ajouter que les acteurs impliqués sont tous conscients et que nul ne peut et ne saura être au-dessus de la loi. J’insiste en disant que nous privilégions toujours la sensibilisation afin que la population s’approprie elle-même les objectifs que nous nous sommes fixés pour elle et avec elle.

Quelles ont été vos plus grandes réalisations ?

A ce jour, la Police sanitaire a effectué plusieurs missions sur le terrain pour contrôler, inspecter et conscientiser. C’est son rôle préventif.

A notre prise de fonction, et pour une raison fondamentale, nous avons initié des séries de rencontres de vulgarisation et de plaidoyer avec les responsables des services déconcentrés de l’état, les directeurs généraux des grandes institutions de la République (Police nationale, Gendarmerie nationale, Direction générale des renseignements généraux et des investigations, la Gnnt, l’onama, la société civile à travers l’Association des consommateurs (Adc) et la Coordination des associations de la société civile et de défense des droits de l’homme (Cascidho), les leaders religieux, la Mairie centrale ainsi que celles des arrondissements, …). L’objectif est de leur faire connaitre la mission de la Coordination de la police sanitaire.

Ces séries de rencontres nous ont permis d’expliquer aux différents responsables qui jouent chacun un rôle assez important dans la mission de la coordination et par la suite solliciter leur adhésion et bénéficier de leur appui.

Sans le concours des uns et des autres, nous allons mettre assez du temps pour y arriver et d’ailleurs, ce n’est pas possible puisqu’il s’agit du service de l’état et que nous tous avons un ennemi commun, un challenge commun. Nous avons effectué des missions de vérification et d’inspection dans plusieurs endroits notamment les boulangeries ; la fabrication des glaces et jus de fruits ; les installations des moulins “Andouria” pour voir dans quelles conditions et de quoi est faite l’huile que nous consommons.

Les résultats ont été mis à notre disposition et l’équipe est à pied d’œuvre pour restituer la mission à la hiérarchie et des corrections sont proposées pour accompagner les opérateurs économiques à mieux servir la population. Nous sommes en train de travailler à leur donner des notions d’hygiène afin que le processus de fabrication soit sain.

Nous avons effectué une autre mission à Moundou dans le Logone occidental pour contrôler les installations d’une usine qui fabrique de l’alcool frelaté. Nous avons mis à profit notre séjour pour rencontrer les autorités administratives pour leur demander de fermer cette usine. C’est déjà fait. C’est aussi le cas de l’usine de fabrication d’alcool frelaté de Doba qui a été fermée. Nous avons émis des conditions pour sa réouverture et le promoteur a abdiqué. Il a commencé à exécuter nos conditions conformément aux recommandations de l’Oms, notamment l’embouteillage des boissons en lieu et place des sachets qui sont à la portée de tout le monde donc cause beaucoup de dégâts dans nos communautés.

Aussi, nous avons récemment constitué une équipe multisectorielle qui a séjourné dans cinq des provinces pour faire des prélèvements, d’analyser les cas de poissons qui ont présenté des plaies. Des analyses ont été effectuées et d’autres paramètres d’analyses sont en cours pour des résultats approfondis afin de situer de manière claire et définitive les populations sur ces plaies. Pour l’heure, les premiers résultats obtenus des analyses ne montrent pas de danger quant à la santé de l’homme.

Dans l’exercice des activités dévolues à la Police sanitaire, quelles difficultés rencontrez-vous?

La Police sanitaire comme tout autre institution a rencontré plusieurs difficultés dans l’exercice de ses fonctions. Cependant, nous avons fait de ces difficultés une force, raison pour laquelle nous avançons pour mieux exercer nos activités. Parmi tant de difficultés, nous pouvons par exemple citer le récidivisme dans la vente des boissons frelatées qui nuit considérablement sur la santé de la population, ce, malgré son interdiction. Le soutien constant et permanent du ministère de la Santé publique et de la prévention et de ses partenaires techniques et financiers nous galvanise dans nos activités. Les textes sont en train d’être élaborés et nous arriverons à surmonter toutes nos difficultés. La volonté de bien faire les choses nous anime et c’est une force.

Qu’entendez-vous mettre en œuvre pour avoir le contrôle sur l’entrée des produits pharmaceutiques et traditionnels d’origine douteuse ?

Notre lutte mérite d’être soutenue par tous les acteurs y compris la population qui doit comprendre que c’est pour elle que l’état tchadien combat cette pratique d’un autre âge. Nous mettons l’accent sur la sensibilisation avant d’utiliser nos armes que sont les textes.

C’est pour cette raison que nous disons qu’à la Police sanitaire, nous utilisons les forces de la loi et non la loi de la force physique.

A cet effet, le concours de tous est sollicité tant dans la surveillance de ces produits de part leur entrée au Tchad que leur contrôle à l’intérieur du pays.

Des voix se sont élevées pour dénoncer la Loi interdisant la vente de l’alcool frelaté estimant qu’il constitue une activité génératrice de revenus pour principalement beaucoup de ménages. Qu’en dites-vous?

S’agissant de l’alcool frelatée, retenons une bonne fois pour toute qu’il n’existe aucun impact positif, même s’il y a un aspect économique. Pour préserver la jeunesse du danger qui la décime à grands pas, la lutte doit être sans merci, comme c’est le cas de la lutte contre Boko haram, car les boissons frelatées tuent autant si ce n’est pas plus. L’alcool frelaté aurait tué dans chaque famille un bras valide laissant des orphelins à leur triste sort. Cette mesure interdisant toute activité autour de l’alcool frelaté doit être suivie par toutes les forces vives de la nation. Vous constaterez qu’après la publication de ladite loi, nous sommes descendus sur le terrain pour sensibiliser et encourager les personnes se livrant à la vente des boissons frelatées à abandonner ledit commerce. Bon nombre a compris et a changé de secteur d’activité. Mais il y a des brebis galeuses qui persistent et continuent à les vendre encore sur les différentes artères des villes. Nous sommes conscients que cette lutte requiert du temps et des moyens. Mais puisque le gouvernement est en train d’octroyer des crédits aux jeunes pour qu’ils s’autonomisent, nous, à notre niveau, poursuivrons nos efforts de sensibilisation.

Quels conseils donneriez-vous à la population ?

Nous devons aider le Tchad en respectant les grandes décisions prises par les autorités, en assurant autour de nous le minimum d’hygiène et en respectant les textes mis en place quant à la vente des produits prohibés pour préserver la santé de la population.

Soyons jaloux du devenir de notre pays en changeant de comportement. Personne ne veut céder le Tchad à la génération future dans un état lamentable. Faisons de sorte que nos enfants soient fiers de nous, simplement parce qu’on a essayé de rendre ce pays vivable, beau et respecté de tous. Le combat de la Police sanitaire doit être un combat qui intéresse tout le monde pour qu’il n’y ait aucun perdant. Nous sommes, à cet effet, appelés à être tous Police sanitaire pour un Tchad débarrassé des comportements déviants, des maux identifiés et évitables par l’action de l’homme et enfin, réussir à prôner un Tchad saint pour une population saine dans un environnement sain.

Propos recueillis par Minnamou Djobsou Ezéchiel