“Le changement tant souhaité et réclamé fait face à des résistances”

Face à l’absence d’alternance par les urnes, Mahamat Barh Béchir Kindji qui a regagné la rébellion en 2017 a été captivé au combat d’avril 2021 lors de l’accrochage entre le Fact et les forces gouvernementales. Fait prisonnier, il vient de bénéficier de la grâce présidentielle et se prononce sur son avenir politique.  

  Quels sentiments vous animent actuellement après avoir bénéficié de la grâce présidentielle ?

Au-delà de mes sentiments personnels, c’est-à-dire la joie de retrouver ma famille, mes camarades, les amis, les connaissances et voisins, bref mes compatriotes, notre libération comme celle des tchadiens arrêtés lors des évènements du 20 octobre, est un pas important dans la recherche de la paix, le rapprochement et vise à décrisper la situation politique tendue de notre pays. Si l’acte posé est sincère, il peut dénouer beaucoup de problèmes. Notre pays a besoin de la paix et après tout ce qu’on a vécu, il est grand temps qu’on se retrouve autour d’une table pour poser tous les vrais problèmes du pays, qu’on se parle pour les résoudre et faire avancer notre pays. Il n’est pas du tout normal que notre pays soit connu que par ces méthodes brutales de guerre et de désolation. Je suis là pour y contribuer pour que notre pays retrouve une paix définitive, de braves basée sur la justice, l’égalité et l’État de droit. On ne peut pas faire éternellement la guerre, parce qu’il y a un temps pour la guerre et un autre pour la paix. Et je crois que ce temps pour faire la paix est arrivé et tous les tchadiens de bonne volonté devraient y contribuer afin de construire un Tchad nouveau qui répond aux aspirations de tout un chacun.

  Sur votre page Facebook, vous disiez : “dialoguer, rapprocher, réconcilier, reconstruire, tels sont mes crédos politiques”. Qu’est-ce que nous sommes censés comprendre par ces mots ?

Il faut reconnaître que si moi qui suis un acteur politique, un démocrate convaincu jusque-là, ai fait recours à la lutte armée, ce n’est pas de gaieté de cœur. Je l’ai fait dans un contexte donné où il y a un blocage absolu de la situation du pays. Le dialogue, nous l’avons proposé, et ce qui vient d’être tenu était notre revendication quand nous étions ici à l’intérieur. Mais personne n’a voulu nous écouter. Toutes les discussions ont été bloquées. Et si nous avons fait recours aux armes, c’est parce que nous sommes contraints d’en arriver là, car il n’y a pas d’autres solutions. Prendre les armes est l’ultime recours et là aussi, nous sommes contraints, parce que personne ne veut mourir. Aller au maquis n’est pas chose aisée et ce n’est pas donné à n’importe qui. Nous voulons vivre en paix auprès de nos familles mais cela nous a été refusé et c’est ce qui nous a motivé à prendre une décision radicale qui soit. Aujourd’hui, après tout ce qui s’est passé, je ne peux pas renier mes convictions sur ce principe. Je suis toujours pour le dialogue, le rapprochement, le compromis et je suis pour la paix en un mot. Et tant que cette porte ne sera pas fermée, j’œuvrerai pour que les tchadiens se rapprochent et que les multiples problèmes que nous avons, puissent trouver de solutions de façon pacifique autour d’une table.

  Dans ce cadre-là, si les autorités vous font appel pour y contribuer, seriez-vous partant ?

Je suis partant. A mon niveau, je pense que je peux jouer un rôle important, même avec mes camarades qui sont à l’extérieur pour qu’on puisse revenir autour de la table de négociations et poser les vrais problèmes qui nous divisent pour trouver des solutions. Il n’y a pas de problème sans solution. Et des fois, les points d’éloignement ne sont pas si évidents. Aujourd’hui, je ne vois pas quel serait le problème qui va amener les gens à rompre le dialogue. Actuellement dans le gouvernement j’ai des amis, notamment le Premier ministre actuel qui est un ami politique avec qui on a cheminé ensemble. Et de l’autre côté, j’ai aussi des amis qui sont au maquis que je ne peux pas renier. Donc, c’est facile pour moi d’opérer un rapprochement des deux camps pour qu’ils s’asseyent sur la table et dialoguer. Sur ça, je suis vraiment optimiste. Mais il faut qu’il y ait la volonté de deux côtés. Quant à moi, je suis décidé à aller vers ce chemin-là. Il faut qu’il y ait de vrais pourparlers. Il n’y a pas de problème personnel, ce sont des problèmes politiques et c’est du Tchad qu’il s’agit.

Après ces accrochages en avril 2021 qui ont occasionné plusieurs morts dont celle du président de la République, regrettez-vous d’avoir pris les armes pour revendiquer le changement et l’alternance au Tchad ?

Comment regretter d’avoir réclamé le changement ? On ne regrette pas. Je ne regrette rien du tout sur mes convictions et sur les motivations qui m’ont poussé à prendre les armes. Et je crois que ces motivations-là sont connues de tous les tchadiens. Au Dnis par exemple, personne ne nous a condamné pour avoir pris les armes, mais les tchadiens ont plutôt relevé tous les problèmes, les maux qui minent le Tchad et ceux qui obligent les gens à aller en rébellion. Si en 2016, on nous avait écouté sur le dialogue sous l’égide des Nations-unies que nous réclamions, cela nous aurait évité tous ces problèmes et toutes ces pertes entre tchadiens.

  Tout de même, ne regrettez-vous pas le fait que des tchadiens s’entretuent ?

Ce qu’il faut regretter, c’est l’extrémisme de certains et surtout de ceux qui sont au pouvoir. Lorsqu’on est au pouvoir, il ne faut pas croire que c’est une affaire personnelle, et il ne faut pas s’enfermer dans sa bulle pour rejeter et mépriser les autres. Ce n’est pas normal. Ce qu’il faut regretter c’est le fait de rejeter, mépriser et faire du Tchad un butin personnel. Et si on persiste dans cette voie, il va y avoir encore d’autres morts. Même si Barh est là, il y aura d’autres tchadiens qui prendront le chemin du maquis. Il faut revenir sur terre et permettre à ce que chacun prenne ses responsabilités pour reconstruire ce pays en mettant l’intérêt général au-devant.

  Par votre libération, peut-on dire que vous rejoigniez désormais la légalité ? Le Fact est-il désormais une ancienne aventure pour vous ?

Le Fact est un cadre de lutte et n’était pas ma première option politique. J’ai d’abord un parti politique ici et j’ai mené la lutte politique de manière pacifique. Aujourd’hui, je suis au pays et après tout ce qui s’est passé, mon objectif est désormais de contribuer à ce que tous les tchadiens deviennent des légalistes, que ce soit le Fact ou les autres, tous rentrent au pays et que le Tchad devienne un État démocratique et après, chacun peut faire ce qu’il veut.  L’urgence aujourd’hui est de mettre fin à cette crise politique. Et pour y arriver, il faut la volonté et surtout il ne faut pas que les gens s’arcboutent sur des idées reçus qui ne tiennent pas. Il y a des gens qui font de cette situation un business, ils profitent de cela, et rejettent les autres, même si ceux-ci affichent une volonté de dialoguer de façon sincère.

  Quelle sera votre relation avec vos chefs du mouvement rebelle ? Rupture désormais ?

Ceux qui se trouvent actuellement en rébellion sont mes compagnons de lutte. Certains sont rentrés et d’autres hésitent encore. Et comme je l’ai dit tantôt, mon objectif consistera à contribuer pour qu’il y ait un rapprochement et des pourparlers pour permettre à tout le monde de rentrer au bercail. L’image qu’on attribue souvent aux rebelles, aux résistants, est aussi erronée parfois. On pense que ce sont des va-t-en guerre, or certains chefs rebelles sont plus pacifiques que certains acteurs politiques de l’intérieur. Il faut savoir que faire la guerre ce n’est pas un luxe lorsqu’on sait que dans un seul combat on peut perdre tous ses camarades, ses amis, des êtres chers qui vous ont rejoint parce qu’ils ont cru en vous. Celui qui est en rébellion connaît vraiment le prix de la guerre et c’est pour cela qu’il est prêt à payer le prix de la paix.

  Après votre départ au maquis, le Rassemblement patriotique du renouveau, parti politique que vous dirigiez, a disparu de la scène politique. Est-ce avec tous vos camarades militants que vous aviez décidé de rejoindre la lutte armée ?

Le Rpr est un parti politique légal. Après mon départ, les camarades ont assumé leur responsabilité, même s’il n’est pas audible comme avant. Ils ont fait de leur mieux et ce n’est pas facile d’animer un parti politique lorsque le leader est parti en rébellion. Le Rpr n’a pas quitté les anciens regroupements au sein desquels il a lutté. Mais je vous annonce que la lutte politique va continuer parce que le Rpr va reprendre ses lettres de noblesse et poursuivre ses objectifs politiques démocratiques. Aller en rébellion est un objectif personnel et les textes du Rpr ne mentionnent pas cela. Je crois que cette page-là est désormais tournée, mais la lutte démocratique avec mon parti va continuer.

  Pensez-vous que l’alternance par les urnes qui a d’ailleurs motivé votre choix de rejoindre la lutte armée est désormais possible, surtout avec les autorités actuelles ?

Après tout ce qui s’est passé, je crois que le pays est en transition et lorsque nous sommes en période de transition, les tchadiens devraient se battre pour arracher leurs droits fondamentaux, notamment ceux liés à l’alternance politique. Si pendant cette période, on persiste sur les anciennes méthodes de confiscation du pouvoir, je crois ce sera un fait de l’ancien régime mais aussi cela va être une culpabilité des tchadiens dans leur ensemble. Si on laisse certaines catégories de personnes confisquer le pouvoir et faire à leur guise, je crois qu’il ne faudrait plus en vouloir à quelqu’un d’autre, mais les tchadiens doivent s’assumer pour aller en quête de la vraie démocratie, de justice, de l’égalité et surtout de l’État de droit. Je crois que c’est faisable et les conditions dans lesquelles on se retrouve sont beaucoup plus favorables que celles d’hier malgré qu’il y a des difficultés.

Et pourtant, c’est en ce moment que certains acteurs politiques et ceux de la société civile sont contraints de se retrouver en exil…

Les évènements du 20 octobre sont quelque chose de tragique, jamais connue de toute l’histoire de notre pays. Il faut le regretter. Même les évènements de 1963 n’ont pas connu l’horreur du 20 octobre 2022. Les forces de l’ordre ne devraient pas tirer avec une telle violence sur des manifestants. J’étais en prison, mais au regard des informations que j’ai reçues, de part et d’autre, il y a eu de manquement. Mais la responsabilité la plus grande revient aux forces de l’ordre. Les manifestations qui étaient interdites et qui étaient aussi une source de motivation pour nous qui étions en rébellion ont été autorisées. Il n’y a plus de raison qu’on revienne encore sur ces méthodes de tyrannie et de dictature pour brimer la population dans le sang parce qu’elle a réclamé une certaine manière de gouverner. Il faut maintenant se poser la question est-ce que c’est dans notre intérêt de nous faire la guerre. Et est-ce que c’est dans l’intérêt de ceux qui dirigent la transition de pousser le pays vers cet engrenage. Je crois qu’il est de l’intérêt de tous de revenir sur terre pour dialoguer sincèrement pour préparer le pays à de vraies élections, et seules des élections libres, transparentes et crédibles peuvent donner la légitimité au futur gouvernement élu de satisfaire les aspirations du peuple. Il faut aller vers ceux qui ont été contraints de quitter le pays avec un dialogue sincère pour qu’ils rentrent.

Aujourd’hui, de plus en plus, un système de confiscation de pouvoir se met en place, et pire, la dynastie se dessine, alors que les gens veulent passer à autre chose, à un véritable changement. Pensez-vous dans ces conditions que les choses peuvent s’arranger ?

Ce qui est important, c’est de faire en sorte que ce pays ne retombe pas dans le travers du passé. Le changement tant souhaité et réclamé par le peuple tchadien fait face à des résistances. Les anciennes méthodes de l’ancien régime sont là et font tout pour garder le statuquo non avantageux du tout pour le peuple tchadien encore moins pour le Tchad. Il est de la responsabilité de tous les tchadiens de se battre, mais si on se résigne et laisse faire, ces gens de leur propre gré ne feront pas de concession. Il est de la responsabilité du peuple tchadien dans son ensemble d’exiger de ceux qui dirigent la transition de respecter leurs aspirations. Le peuple veut le changement et l’alternance, surtout, une autre manière de gouverner. Au dialogue national inclusif, ceux qui se sont réunis ont parlé de la refondation. Et on ne peut pas faire la refondation avec les anciennes méthodes. Si on veut refonder, aller vers un Tchad nouveau, il faut gouverner autrement. On ne peut reprendre les gens qui ont mis le pays à terre pendant des décennies, et espérer apporter du nouveau. La refondation n’est pas un slogan mais un acte. C’est vrai dans la transition actuelle, il n’y a pas que les gens de l’ancien système qui sont là. Je ne dis pas aussi que tous ces gens devraient être bannis. Mais ils n’ont aucun droit et ne devraient pas être dans la transition. Ils devraient se rendre à l’évidence que le problème que connaît aujourd’hui notre pays, c’était de leur faute. Nous tous, sommes victimes de leur gouvernance. C’est aux tchadiens dans leur ensemble de mettre des garde-fous pour qu’on ne puisse pas retomber dans les mêmes méthodes de gouvernance.

  S’il y a un conseil à donner à vos camarades du Fact et d’autres mouvements rebelles qui continuent la lutte armée, ce sera quoi ?

Ceux qui sont à l’extérieur ce sont des gens qui ont fui leur pays et vivent dans des conditions difficiles. Tous les mouvements rebelles se sont réunis à Rome et ont produit un communiqué qui est une offre de paix sans conditions. C’est une occasion pour les autorités de transition d’aller vers eux.

Pour mes amis du maquis avec qui nous avons évolué ensemble, ce sont des gens qui sont plus pacifiques que moi, et s’il y a une offre de paix sincère, je crois qu’ils vont tous la saisir et rentrer. Que ce soient les Transformateurs, Wakit Tamma et autres qui sont en dehors du pays, nous devrons tous nous retrouver autour de la table.

Propos recueillis par  Nadjidoumdé D. Florent