La ville de Pala, chef-lieu de la province du Mayo-Kebbi ouest (Mko) a encore du chemin à faire pour ressembler à un centre urbain. Des rues insalubres et dégradées, les difficultés d’accès à l’eau potable sont récurrentes, l’électricité inexistante.
Ancienne préfecture de la région du Mayo-Kebbi, Pala s’est détachée en 2002 pour devenir chef-lieu de la région du Mko. Mais depuis bientôt 20 ans, le paysage de la ville n’a connu aucun changement notoire. L’implantation de la cimenterie de Baoré dans la province en 2012, n’a pas non plus aidé à améliorer le visage de la ville. Un millimètre de route bitumée ne traverse la ville. A cause du mauvais état de la route, les agences de voyage refusent de s’implanter à Pala et dans d’autres villes de la province. Une seule agence de voyage dessert la province grâce à des bus dont la vétusté est avancée. Si on emprunte un de ces bus, il faut mettre deux à trois jours, voire plus pour arriver à N’Djaména ou inversement à cause des pannes récurrentes. Du coup, d’autres véhicules sont sollicités à partir de Kélo pour les voyages. Mais là encore, il faut s’attendre à voir ses cheveux, ses yeux et tout le corps enduits de poussière à couleur rougeâtre.
Sur cette unique voie qui mène de Pala à Kélo, les contrôles des pièces d’identité par les forces de l’ordre ont repris de plus belle. C’est au moins trois postes de contrôle qui passent les voyageurs au tamis. Ceux qui ne disposent pas de pièce d’identité doivent systématiquement payer aux agents 500 ou 1000 francs pour poursuivre leur voyage. Le 9 avril 2021, un voyageur sans pièce d’identité, après avoir payé 500 francs a signifié aux forces de l’ordre que cette pratique est déjà levée par les députés. Mais sans le savoir, il vient de commettre un crime de lèse-majesté. Très remontés, les éléments des forces de l’ordre le retiennent au point de contrôle de Pont-Carol et l’empêchent de poursuivre son voyage alors qu’il était à 70 km de sa destination (Pala).
Manque d’eau
Le quartier Badadji dans le 3ème arrondissement de la ville de Pala est l’un des quartiers de la ville situés dans des endroits exondés. L’eau potable y est très rare. Un habitant du quartier, Taidandi Tinkreo, explique les difficultés qu’éprouve sa famille pour s’approvisionner en eau. “Parfois, on envoie les enfants chercher de l’eau à un ou deux kilomètres à la ronde. Les porteurs d’eau refusent de venir dans notre quartier parce que, disent-ils, c’est loin et en plus il faut gravir la montagne. Et quand ils arrivent ici, ils vendent cher un bidon de 20 litres pour lequel il faut débourser 100 francs CFA alors que dans d’autres quartiers, il coûte seulement 25 francs. Pour le besoin journalier de la famille, il faut trois pousse-pousse d’eau, ce qui revient à 800 francs chacun”, explique l’enseignant. Pourtant à côté de sa maison, une fontaine de la Ste (Société tchadienne des eaux) est implantée, mais l’eau y a coulé une fois depuis 7 mois, informe-t-il. Derrière la concession, c’est un puits à ciel ouvert de plus 10 mètres de profondeur, qui est creusé. Mais en ce mois de canicule, le puits est sec. “Le puits tarit en février et il faut attendre juin ou juillet pour qu’il y ait de l’eau’’, poursuit Taidandi. Conséquence de la rareté de l’eau potable, beaucoup d’habitants de Pala boivent de l’eau du puits à ciel ouvert. Mais là encore, les puits tarissent en période de canicule. Les femmes et leurs enfants sont obligés de sortir à 4 h du matin pour avoir le minimum d’eau pour la consommation journalière de la famille.
Le maire de Pala indique que la gestion du réseau d’eau est désormais confiée à la Ste. Il couvre 15 des 20 quartiers de la ville. Mais la Ste a du mal à servir l’eau en permanence. La mauvaise gestion du réseau s’explique par plusieurs facteurs. Si ce n’est pas le gasoil qui manque, c’est le groupe électrogène qui tombe en panne. Il arrive que la société passe des mois sans fournir une seule goutte d’eau. Il a fallu que le gouverneur initie une quête pour acheter du carburant. A côté, un comité de crise est mis également en place pour recouvrer les factures impayées mais tout cela n’est qu’une solution éphémère. “Il faut que le siège (Ste) nous envoie du carburant. Les recettes locales ne peuvent pas faire fonctionner la Ste de Pala. Pour le carburant, il nous faut deux fûts par jour. Cela équivaut à une dépense journalière de 240 000 francs, sans compter les autres dépenses de maintenance, la main d’œuvre, etc.”, explique le chef de centre d’exploitation de la Ste de Pala, Modale N.T. Achaz. A tous ces problèmes, vient se greffer un autre d’ordre technique. En effet, “le système est conçu de manière à fonctionner avec un réservoir enterré dans lequel cinq forages y pompent l’eau. A côté, il y a également le château. Il y a un problème de différentielle de pression qui se pose. Pour que l’eau puisse arriver dans la ville avec une bonne pression, il faut les faire fonctionner différemment. Et même si on réussit à surmonter ce premier obstacle, il y a la chambre de reprise qui joue le rôle de freinage. Elle remet la pression de l’eau au départ à zéro. C’est un système conçu pour une petite population. Comme la consommation n’est pas abondante, si l’eau venait avec une forte pression, ça risque d’endommager les circuits. Maintenant, la population est plus importante. Il y a même des gens qui sont installés sur des zones élevées. Il faut que l’eau arrive avec une forte pression”, poursuit le chef de centre. Ces problèmes techniques font que l’eau met des heures, de Pala-Koro où est installé le château d’eau (situé à 8 km), pour arriver en ville. Tous ces problèmes font que la Ste a du mal à servir ses 1 600 clients qui ont besoin quotidiennement de quelque 2 500 m3 d’eau.
Pour surmonter ces difficultés d’accès à l’eau, la mairie a promis des forages à la population dans son plan de développement de 2021. Même si quatre mois après, rien n’est fait, les responsables municipaux rassurent que les forages seront réalisés.
Faute d’énergie, les banques ferment
L’alerte est donnée par la banque Sgt (Société générale Tchad). En 2019, la banque française ferme son agence de Pala. Les recettes seraient moins satisfaisantes. Les clients, surtout les fonctionnaires, qui percevaient leurs salaires par le biais de cette banque ont couru dans tous les sens. Certains, pour percevoir leurs salaires, partaient à Moundou, d’autres ont ouvert des comptes à Orabank ou à Ecobank. Mais deux ans plus tard, c’est Ecobank qui emboîte les pas à la Sgt. La banque au sein de laquelle est abonnée la grande partie des fonctionnaires du Mko a fermé son agence de Pala le 31 décembre 2020. Son argument principal : les difficultés liées à l’énergie. Pour faire fonctionner son guichet automatique 24 h/24, l’agence investit la majeure partie de ses recettes dans le fonctionnement du groupe électrogène, qui consomme quatre fûts de carburant par jour. Rares sont les clients qui déposent l’argent sur leur compte. Cette fermeture de l’agence a donné du fil à retordre à ses abonnés au point que les fonctionnaires ont formé un comité de crise et menacé de saisir un cabinet d’avocat. “Les fonctionnaires éprouvaient d’énormes difficultés à percevoir leurs salaires. Il faut aller à Moundou ou N’Djaména. Un seul fonctionnaire se retrouve en train d’aller chercher le salaire de plusieurs personnes avec le risque de se faire braquer en route. Et là, il y a les frais de séjour et aussi l’abandon de poste pour plusieurs jours. Imaginez quelqu’un qui quitte du fond de Léré ou Binder pour aller gagner à Moundou. D’ailleurs dans cette période, deux fonctionnaires de Léré ont perdu leur vie dans un accident à Moundou”, témoigne Tchoubou, porte-parole des clients d’Ecobank de Pala. La menace et le plaidoyer ont payé. Ecobank signe un partenariat avec le Club d’épargne et de crédit (Cec). Cela permet aux fonctionnaires de gagner leurs salaires au Cec par un système mobile, même si certains fonctionnaires un peu dubitatifs, continuent à aller à Moundou chercher leur argent. Mais le système est moins rapide. Au jour de pointe par exemple, un fonctionnaire peut passer toute une journée avant de percevoir son salaire. Le Cec prélève également 1% du montant retiré. Pour avoir du crédit, le circuit est également long. D’une semaine de procédure comme c’était à Ecobank, il faut attendre parfois plus d’un mois avant d’en bénéficier. Mais à défaut du cheval, on monte l’âne, dit-on. Gagner son salaire au Cec est moins fluide mais cela évite des déplacements sur de longues distances et des absences prolongées. D’autres fonctionnaires ont rouvert des comptes à Orabank, espérant que celle-ci ne suive plus les autres.
Des rues sales et dégradées
Une ville accidentée, de surcroît arrosée de grosses pluies, donne des rues dégradées par l’érosion ou ensablées. A cela s’ajoute une question laborieuse, celle de la gestion des ordures ménagères dans une ville où de nombreux habitants ont des comportements ruraux, alors que la mairie ne dispose pas de moyens pour poser des bacs à ordure ou des bennes pour dégager les ordures hors de la ville. “Il faut des bennes pour bien gérer les ordures ménagères et aussi des engins lourds pour réhabiliter les rues”, estime le maire de la ville, Tao Hindabo. Mais il est difficile d’obtenir ces moyens tant que les recettes sont loin de couvrir les besoins basiques et que la contribution de l’Etat se fait aussi rare que l’eau dans le désert. Les budgets annuels de la mairie sont exécutés à peine à 60%. “Nous n’avons que notre recette de marché. Le vrai budget d’investissement, c’est ce que l’Etat nous accorde. L’Etat nous a transféré les compétences mais ne nous a pas transféré les ressources. Les transferts de compétence ont coïncidé avec la crise financière. C’est devenu difficile”, se plaint Tao Hindabo. La manne sûre de la mairie de Pala, c’était les impôts versés par la Coton-Tchad. Mais avec l’accord signé entre le gouvernement et la société Olam, les impôts sont suspendus. Il va falloir attendre, peut-être sept années, pour qu’ils nous versent les impôts, renseigne le maire.
La ville est également loin de voir ses rues éclairées de nuit. Le ministère des Infrastructures a envoyé une mission à Pala inspecter les lieux en vue d’implantation d’une station photovoltaïque. Les 10 hectares de terrain demandés à la mairie sont déjà disponibles, mais rien ne filtre encore sur le démarrage des travaux.
Lanka Daba Armel, de retour de Pala