Panique et incertitude du lendemain

Des élections aux forceps, la rébellion et le décès soudain du président de la République ont plongé le Tchad dans une incertitude politique. Sur le plan social, ce n’est pas non plus la quiétude. Beaucoup d’habitants de la capitale essaient de se préparer à toute éventualité et ce, de différentes manières.

Mercredi 21 avril, sous un soleil de plomb, Justine, une ménagère est au marché de poissons Taradona de Chagoua dans le 7ème arrondissement de la capitale. Ordinairement, la ménagère s’approvisionne dans un marché non loin de son domicile, mais ce jour, c’est pour un besoin diffèrent. “Avec la menace des rebelles, la guerre peut déclencher à tout moment. C’est pourquoi je suis obligée de venir ici faire des achats en grande quantité. S’il arrive qu’on ne puisse pas sortir, cela permettra de nourrir les enfants pour un temps”, dit-elle. Visiblement, la dame n’est pas à son premier stock. Déjà, la veille du scrutin du 11 avril, elle a fait pareil pour parer à toute éventualité.

Comme Justine, beaucoup des habitants de la cité capitale vivent avec la peur au ventre. Nombreuses, sont les familles qui ont stocké des produits vivriers tels que riz, farine de maïs, huile, poisson, etc. Leur raison, “on ne sait jamais (…)”.

Si certains tentent d’approvisionner leur grenier, d’autres préfèrent quitter tranquillement la capitale. Koye Clément est de ceux-là. Il a évacué sa famille. “Vu ce qui se passe, avec ce qu’on entend, on est vraiment trop inquiet et on craint revivre les événements de février 2008. En 2008, j’ai fait plus de 8 heures sur le pont avant de traverser vers Kousseri au Cameroun. C’est pourquoi j’ai déjà envoyé mon épouse et le bébé au village. En attendant, je reste ici pour voir la suite”, témoigne-t-il. A défaut d’aller au village ou de traverser la frontière, certains habitants des quartiers du centre de la ville se sont retirés dans les quartiers périphériques comme, Walia, Nguéli, Toukra ou Koundoul par précaution.

Dès les premières attaques rebelles le 11 avril, la panique s’était installée à N’Djaména. Tout a commencé par la sortie des chars de combat de l’armée placés tout autour de la présidence de la République et occupant un peu plus loin des points stratégiques de la capitale. Et à la vue de ces engins de mort, la panique s’en est mêlée et a déclenché une débandade au cœur de la ville. Des rumeurs selon lesquelles les rebelles sont aux portes de N’Djaména ont fait le tour de la ville. Les établissements d’enseignement de tous les ordres (écoles, collèges, lycées, instituts et universités) ont immédiatement libéré élèves et étudiants. Au campus universitaires de Toukra, en banlieue de N’Djaména, les étudiants ont dû crapahuter des kilomètres pour regagner le domicile. L’entrée principale de différents établissements primaires ne pouvaient plus permettre aux élèves d’évacuer rapidement les lieux. Certains d’entre eux ont dû escalader le mur. “Nous étions trois en train de causer. Du coup, nos téléphones ont commencé à sonner les uns après les autres. Mon mari m’a donné l’ordre de rentrer immédiatement. Entretemps, lui a couru pour aller chercher les enfants à l’école. L’établissement dans lequel j’enseigne a aussitôt libéré les enfants et ça courait dans tous les sens”, témoigne une enseignante. Les marchés et la quasi-totalité des boutiques situées au bord des axes bitumées ont baissé les rideaux. Les piétons couraient dans tous les sens. Pendant que d’aucuns regagnaient leurs domiciles, d’autres sortaient à la recherche de leurs enfants. La circulation a été perturbée. Les deux ponts, qui permettent de relier le sud du pays et la ville voisine du Cameroun (Kousséri), sont pleins à craquer. Le mouvement inverse, pratiquement impossible. En moins de deux heures, N’Djaména a changé de visage. Un silence de mort s’y est subitement installé et à durée jusqu’à la tombé de la nuit.

Comme si cela ne suffisait pas, le lendemain mardi 20 avril à 10 h, l’annonce du décès du Maréchal Idriss Déby Itno tombé au front, faite sur les ondes de la radio nationale s’abat sur la tête des N’djaménois comme un coup de massue. La capitale replonge de plus belle dans l’angoisse pendant qu’à coups de communiqués, les nouveaux maîtres de la situation (Conseil militaire de transition) et délégué du gouvernement tentent de tranquilliser les populations en les appelant à vaquer normalement à leurs occupations. Mais depuis lors, cela n’a pas changé grand-chose. Les écoles et universités demeurent fermées, l’administration pratiquement inopérante, les centres hospitaliers tournent au ralenti (service minimum observé), les banques et autres commerces ont modifié leurs horaires de travail, jusqu’au 23 avril, date de l’organisation des obsèques du président Idriss Déby Itno. Mais toujours est-il que la menace des rebelles du Front pour l’alternance et la concorde de marcher sur N’Djaména continue à hanter les esprits.

Lanka Daba Armel