Plaidoyer contre le bradage de l’hippodrome de N’Djaména

Une opération effectuée le lundi 4 mai 2020 sous les caméras de la télé Tchad, en présence de l’ambassadeur de Turquie. Elle témoigne, semble-t-il, de l’excellence des relations de coopération, entre ce pays et le Tchad. Sur ce terrain sera construite, dans un délai de dix mois, une école agricole par l’agence de développement Tika. Un don de la Turquie.

Le journal en ligne Tchad Info, a alerté déjà l’opinion par deux articles publiés, l’un le 11 janvier intitulé “fermeture de l’hippodrome: les sportifs sont pénalisés”, et l’autre le 1er février titré “manque de terrains de sport: des élèves exposés à toutes sortes de risques”. Le 1er rapporte que “bientôt un complexe scolaire sera érigé sur ce lieu”, “semble-t-il que c’est un don de la Turquie”, “c’est l’Etat tchadien qui a attribué ce terrain aux turcs”. Quant au 2ème, il s’inquiète que “des élèves de certains établissements d’enseignements privés de N’Djaména, sont exposés à de grands dangers dans l’exploitation des espaces publics, pour les cours d’éducation physique et sportive (Eps)”.

Héritage légué à la commune de Fort Lamy par l’administration coloniale avant l’indépendance, le terrain de l’hippodrome appelé aussi champ de course, disposerait même d’un titre foncier légalement établi en son nom. La Ville l’a cédée  au tout début de l’indépendance en 1960, à l’Association pour l’encouragement et l’amélioration de la race des chevaux au Tchad (Aearct) pour un franc symbolique. Mais sa situation au centre  de la ville a amené  le président Tombalbaye à attribuer un autre terrain à cette association en 1974, au quartier Diguel. Ce qui a amené la commune à récupérer son terrain depuis cette date. Mais n’ayant pu occuper ce terrain de Diguel en raison de divers événements qui ont secoué le pays, l’Aearct a continué d’utiliser l’hippodrome pour les courses des chevaux. Toujours propriété de la ville de N’Djaména, l’hippodrome reste un des rares symboles connus que celle-ci devrait inscrire dans son patrimoine.

Des idées généreuses de transformer ce site situé à Ardep Djoumal, vieux quartier de N’Djaména, en un grand parc communal, destiné aux activités culturelles, sportives et artistiques, n’ont pas manqué. Le secrétaire général de la mairie de l’époque, M. Ismaïl Ben Chérif qui voyait déjà loin, a envisagé d’en faire “un poumon écologique boisée”, pour atténuer la pollution qui commence à envahir la ville. Une idée qu’il a soumise dans un cadre partenarial avec la ville de Paris qui, après examen, a dépêché une équipe d’experts à N’Djaména pour une étude de faisabilité. Mais les changements au niveau de la commune n’ont pas permis son aboutissement.

Aujourd’hui, la réalité des images montre une photo du portail de l’hippodrome fermé, avec des drapeaux du Tchad et de la Turquie hissés à l’intérieur d’une part, et de l’autre, une photo des élèves participant à un cours d’Eps en pleine rue. La fermeture de l’enceinte de l’hippodrome à tout public, a eu comme conséquences: le déguerpissement de l’Aearct, chère à certains dignitaires et hommes politiques, à l’exemple du défunt ministre Abdoulaye Lamana; des clubs de football qui ne disposent plus d’autres terrains d’entraînement; des plateaux des cours d’éducation physique et sportive des établissements scolaires, universitaires et professionnels, situés tout autour. Ce qui se traduit, pour les clubs de football, par un engorgement inattendu, du seul terrain du stade Idriss Mahamat Ouya, dont la pelouse est déjà dans un état apparent de délabrement.

Quant aux cours d’Eps des établissements privés qui se pratiquent dans les voies publiques, par manque des espaces appropriés, ils présentent un risque évident pour les élèves. Car, c’est dans ces larges voies que se côtoient, les autos écoles et les terrains de football où se jouent les compétitions des jeunes des quartiers. Le constat quotidien de tous ces mouvements sur des artères publiques, doit interpeller d’abord les autorités communales, pour leur dangerosité, et celles des ministères en charge de l’Education nationale et de la promotion des sports.

La cession de cet espace de l’hippodrome, pour l’installation d’un complexe scolaire agricole qui aurait pu se construire ailleurs, sur un site plus approprié et plus adapté, est certes, une bonne chose pour notre pays dont c’est aussi la vocation. Mais elle représente, a contrario, une perte d’égale valeur pour le sport tchadien qui en a bien besoin pour son développement. Surtout que, la distribution aux personnes privées, des terrains de sport de la Gendarmerie, de Kilep-Mat, de Moursal, etc., est encore vivace dans les esprits. De plus, la réduction, voire la disparition des terrains de jeux, dans les cours des écoles et collèges publics, suffit pour comprendre la situation. Et, à ce rythme, il y a lieu de s’inquiéter pour ce qui reste des espaces publics et réserves boisées, de Farcha et Milézi.

Faut-il rappeler que, c’est sur ce terrain de l’hippodrome que fut organisée, le 3 mai 1998, jour marquant le 1er vendredi  du nouvel an musulman, une grande prière regroupant des chefs d’Etat africains notamment de la Gambie, du Gabon, de la Libye, du Nigeria et du Tchad. Elle était dirigée par le Guide de la révolution libyenne, investi “imam du jour”. C’est suite à cet événement que, la Jamahiriya aurait demandé et obtenu, dit-on, la cession de cet espace, sur lequel était envisagée la construction d’un complexe comprenant un grand centre commercial. Mais apparemment, la chute et la disparition du Guide, ont dû changer la donne. C’est ainsi que l’espace a été proposé à d’autres investisseurs dont le dernier en date, est le gouvernement de la République de Turquie.

Face à cette situation qui ne semble préoccuper, ni les autorités de la commune, ni celles du ministère de l’Aménagement du territoire, moins encore celles des ministères de la Jeunesse, de l’emploi et des sports, ainsi que celles de l’Education nationale, il ne reste que la mobilisation des acteurs du mouvement sportif (Cost, fédérations et autres amoureux du sport), culturel et de jeunesse, pour réveiller les consciences et faire bouger les choses. Il ne s’agit pas de faire barrage à ce qui est actuellement déjà en cours, mais attirer l’attention des plus hautes autorités, sur cet état de fait qui portera gravement atteinte au développement de la pratique sportive au Tchad.

Le nouveau stade moderne omnisport en construction à Mandjafa, constituera sans nul doute, une infrastructure de standing international. Il permettra au Tchad d’accueillir des compétitions de haut niveau. Mais en attendant, il faut préserver les rares espaces publics encore existants, pour une meilleure pratique sportive, des clubs et des jeunes qui sont contraints aujourd’hui,  de jouer sur les voies publiques. Par ailleurs, il est aussi impérieux de relancer les chantiers des infrastructures sportives annoncées en grande pompe, actuellement à l’arrêt, afin de donner un cadre approprié d’expression à nos sportifs. Autrement, la remontée de la pente sera difficile pour le sport tchadien.

BANGALI  DAOUDA  Boukar

Bureau d’Etude et Conseils en Sport

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