L’annonce de la date du 20 août pour la tenue du Dialogue national inclusif et souverain, ainsi que l’actualité sociopolitique sont au cœur de cet entretien exclusif que le président du parti Les Démocrates, le Pr Avocksouma Djona Atchénémou a accordé à NDJH.
Le manque de sérieux caractérise tous ceux à qui on confie de si lourdes tâches. Ceux que j’appelle les mains peu sûres avec les conséquences qu’on devine à l’avance pour le malheur de notre patrie.
Quelle analyse faites-vous des événements de l’heure, notamment les scandales financiers à répétition ?
A dire vrai, je ne suis pas étonné parce que c’est une vieille pratique et non une récente. Il y a moins de trois ans, on avait appris qu’un proche parent du défunt président avait détourné plus de 40 milliards de francs CFA. Qu’en est-il devenu ? On n’en sait rien. On a l’impression que c’est une équipe de gens qui sont arrivés aux affaires, rien que pour spolier le Tchad. Autrement, on ne comprendrait pas que d’un côté on crie famine en tendant la main à l’extérieur, pour recevoir tantôt des biscuits, dattes ou carcasses de moutons, et en même temps, on permet à quelques individus de s’emparer autant d’argent. Et puis on ne sait pas quelle suite est donnée à toutes ces affaires rocambolesques de détournements. Je n’ai pas entendu dire que quelqu’un est allé en prison pour cela, et personne ne nous a jamais dit que cet argent récupéré a été utilisé dans tel ou tel autre domaine.
Sur le plan purement technique, nous savons que nous vendons le pétrole à l’international, mais personne ne nous paye avec de l’argent comptant. Comment se fait-il que des individus se retrouvent avec des milliards et des milliards en devise étrangère, qui ne sont pas sorties des banques ? Or, nous savons tous comment fonctionne une banque. Toutes les banques commerciales de la place travaillent en symbiose avec la banque centrale. Une fois par semaine toutes ces banques se retrouvent dans une opération qu’on appelle la compensation. On passe au peigne fin toutes les opérations réalisées par jour, pour chacune des banques. Combien elles doivent, combien elles ont reçu et comme chaque banque a dans son compte qui est logé à la banque centrale, manifestement, on doit savoir ce qui s’est passé. S’il y a eu une défaillance ou un dysfonctionnement, ça ne peut être que voulu et organisé. Pour moi, c’est un crime économique. Je ne peux même pas comprendre autrement, comment dans un pays comme le nôtre où tous les indicateurs sociaux sont au rouge et tout est à refaire, qu’une poignée de tchadiens s’arroge le droit de faire ce qu’ils veulent, alors que la grande majorité de la population est en train de mourir de faim.
Ces pillages des ressources publiques ont tendance à éclipser les préoccupations actuelles à savoir le pré-dialogue de Doha et le dialogue national qui doit suivre. Y voyez-vous un lien ?
Absolument, il y a un lien. C’est ce qu’on appelle la mal gouvernance. Et la mal gouvernance n’est pas quelque chose qui tombe du ciel. Ce sont des mécanismes qui ont été mis en place volontairement, par des gens que nous connaissons pour pouvoir faire en sorte que le pays reste dans la situation qui est la nôtre. Le pré-dialogue de Doha ou le dialogue lui-même est devenu un serpent de mer. On ne sait pas où est sa queue ni sa tête. Ce ne sont pas des évènements qui tombent comme ça sans raison. Pour quelles raisons voulez-vous qu’on aille au dialogue et que jusqu’aujourd’hui, on ne se pose pas la question de le savoir. Nous sommes en train de passer en perte et profit le décès de quelqu’un qui nous a gouverné pendant 30 ans, on ne sait toujours pas ce qui s’est passé et on fait comme s’il n’y a pas de problème. Or, justement il y a un problème. Nous sommes dans un pays qui est complètement désarticulé depuis 40 ans, ou la cohésion sociale ne marche pas, les Tchadiens s’étripent et se tuent chaque jour que Dieu fait, l’insécurité est totale, pas de médicaments dans les hôpitaux qui sont pratiquement par terre, tout comme les écoles. Nous en sommes là parce que des gens ont voulu mettre à la tête de ce pays une équipe qui ne peut faire en sorte que le Tchad aille vers des conflits qui ne finiront jamais. Ces histoires de pillage à ciel ouvert ou de dialogue dont on ne sait même pas où on va sont liées. Et ça tient au simple fait qu’il n’y a pas de sérieux. Si c’est quelque chose de sérieusement organisée, on n’en serait pas là. Et vous ne pourrez pas avoir un résultat probant avec quelque chose qui n’est pas bien préparée.
Comment voulez-vous aller dans un pays lointain possible, discuter entre vous sans critère de participation ni agenda ? De quoi vont-ils parler exactement, quelle est la nature du conflit qui nous amène vers un dialogue. Dès qu’on dit dialogue, il y plusieurs personnes qui ont des points de vue différents, qui se retrouvent ensemble pour traiter des problèmes particuliers. Notre problème, à mon point de vue, ne porte que sur la refondation de l’Etat. Parce qu’on ne va pas avoir un pays qui va tout le temps être le dernier du monde. Normalement, nous avons cinq regroupements des politico-militaires. Mais quand on se retrouve à 52 groupes à Doha, ça veut dire qu’il y a des gens qui sont là-bas qui n’y ont pas leur place et vont discuter des choses qui ne les concernent pas. Et dès lors que vous discutez des choses qui ne vous concernent pas, à la fin vous jouez au pingpong. C’est ce qui est en train de se passer. Normalement, nous avons deux groupes : le gouvernement et les politico-militaires. Dans une négociation, il faut se retrouver face à face et traiter point par point les différends. A ma connaissance, ils ne se sont jamais retrouvés, puisque ce sont les qataris qui sont au milieu en train de gérer. Vous ne pouvez pas réconcilier les gens qui ne sont pas réconciliables. Du coup, le manque de sérieux, l’absence de préparation rationnellement possible, politiquement acceptable ne sont pas réunis. Tous ces évènements réunis m’amènent toujours à dire que le Cmt, tel qu’il est mis en place, veut rester et non partir. C’est pour cela qu’ils sont en train d’amuser la galerie, abuser de la confiance et jouer sur le moral du peuple tchadien.
A trois mois de la fin de la transition, doit-on encore croire à cette nouvelle date du dialogue national inclusif et souverain ?
Ce n’est même pas nous qui avons fixé les échéances. Quand ils ont fait leur coup d’Etat, eux-mêmes ont déclaré “notre transition est de 18 mois”. Dès lors qu’elle est de 18 mois, on doit s’organiser en conséquence. Aujourd’hui, nous sommes à 15 mois durant lesquels ils n’ont résolu aucun problème, même pas celui du pré-dialogue puisque cela dure depuis 4 mois, et il ne reste que 3 mois. Pendant 15 mois, ils n’ont rien fait, et c’est eux-mêmes qui ont dit nous allons organiser le dialogue en fixant la date de janvier, puis mai et maintenant le 20 août prochain. On continue à sortir des arguments qui ne tiennent pas la route : on met en garde ceux qui veulent boycotter le dialogue ou ceux qui veulent faire la politique de la chaise vide. C’est quand finalement ce fameux dialogue, va-t-il se passer ? Ça concerne qui et c’est pour traiter de quoi ? Je n’entends même pas le ministre d’Etat chargé de la Réconciliation nationale, dont la place devrait être à Doha, mais c’est quelqu’un d’autre qui est là-bas. Ça veut dire que le Cmt a son agenda caché. S’ils étaient courageux, ils auraient déjà dit au peuple ça fait 15 mois et nous n’avons pas été capables de résoudre les problèmes, dont celui du pré-dialogue. Nous n’avons pas manifestement assez du temps pour préparer tout ça, donc nous demandons une prorogation. Il faut être responsable. Pourquoi ne le disent-ils pas ? Ils savent bien que matériellement parlant, ce n’est pas possible. Et de toutes les manières, tel que je les connais, même si on leur donne 10 ans, ils ne seront pas capables. Et quand on n’est pas capable, on baisse les bras et on laisse la place à quelqu’un d’autre. Ils ne sont pas capables de résoudre quoi que ce soit qui concerne le peuple tchadien. Ils sont là, simplement pour que Doha leur ponde des ralliements : c’est-à-dire la reddition.
Vers quel scénario s’achemine-t-on ?
Sincèrement, de la partie gouvernementale, on s’achemine vers rien. Parce que la chose la plus importante dans la gouverne d’un pays c’est le quitus: c’est-à-dire la confiance et nous ne l’avons pas. Le gouvernement n’a pas la confiance de la population, parce qu’on continue de la tuer ; la classe politique, tout ce qu’elle cherche c’est de diviser les uns les autres. La population en a assez et les jeunes ne vont pas patienter très longtemps. Le scénario c’est ce qu’ils croient que ça va être, parce qu’ils ont les armes et la France au-dessus et ils vont pouvoir écraser comme d’habitude. Ce n’est pas la réconciliation, le dialogue, la bonne gouvernance, une véritable transition ni l’après qu’on cherche, mais c’est plutôt la même monarchisation qu’on est en train de rechercher.
Les conflits entre agriculteurs et éleveurs continuent d’endeuiller les familles. Le dernier en date a fait plus de 13 morts dans la Kabbia. Quelle est, à votre avis la thérapie à appliquer pour éradiquer ce fléau qui anéantit la production dans les zones à vocation agricole ?
C’est ce qu’on dit se prévaloir de sa propre turpitude. Lorsque vous criez famine en disant que si les Ukrainiens ne nous envoient pas du blé, nous allons crever de faim, alors que nous sommes dans un pays à vocation agricole et pastorale, et faisons tout pour faire en sorte que l’agriculture ne puisse pas se développer. A une période où les gens sont aux champs, c’est là où on envoie des bœufs détruire les récoltes. C’est de l’idiotie ! Je veux que quelqu’un me cite dans ce pays s’il n’a pas sur sa table à manger les produits de l’agriculture et de l’élevage. Lorsqu’on crée des conditions de destructions des produits agricoles de la sorte, ça pose problème.
Mais j’ai quelque chose de beaucoup plus choquant : je ne crois pas à cette histoire de conflit entre agriculteurs/éleveurs. Si cela est vrai, ça veut dire que dans leur nature, tous les agriculteurs vont combattre les éleveurs et vice versa. Tous les pays autour de nous sont également à vocation agricole et pastorale, mais ne vivent pas de telle situation. Pourquoi chez nous c’est de façon systématique ? En 2019 chez nous, il y a eu 400 morts rien que pour les conflits agriculteurs/éleveurs et plus de 3 000 déplacés. Mais le système est toujours là et cela a continué avec les tueries de Sandanan, d’Abéché, deux fois dans la Kabbia, notamment à Bérem et actuellement à Léo dans mon canton. Quelque part, je suis convaincu et je pèse mes mots, que les auteurs de ces conflits sont les gens qui nous gouvernent. Je le dis parce que la personne qui a reconnu ce caractère, c’est l’ancien président Idriss Déby lui-même, quand le 20 novembre 2020 à Koumra, il avait fait venir tous les gouverneurs et généraux. Il leur avait dit : “vous arrêtez l’élevage ou vous laissez tomber la tenue !” Donc, ceux qui nous gouvernent aujourd’hui sont les généraux, propriétaires des bœufs. Et ce sont les mêmes qui donnent des armes à ceux que j’appelle des bouviers, qui n’ont rien, même pas une tête de bête. Ça veut dire que le gouvernement organise le massacre d’une partie de sa propre population. Voilà ce que moi je pense, parce que si ce n’est pas le cas, pourquoi dès lors qu’il y a un conflit de ce genre, immédiatement les autorités administratives et gouvernementales débarquent dans le village pour payer les uns et les autres. C’est avec l’argent de qui ? Qui a été mis en prison par rapport à ces massacres ? Où en est-on par rapport aux deux massacres perpétrés à Sandanan ? Personne n’est allé en prison. Ceux qui tirent ce sont les mêmes, qui leur donne ces armes ? Ceux qui possèdent les armes les ont reçues des mains de véritables propriétaires éleveurs qui sont des généraux et au pouvoir aujourd’hui. Allez poser la question à chaque général du Cmt combien de tête de bétail il a. Ils vous répondront que ce sont des milliers de têtes. C’est parce que le système qui gouverne le pays est bâti sur la violence et l’intimidation. Que vous êtes d’accord ou non, c’est tant pis pour vous. Certains vont jusqu’à écrire sur les toiles “si vous n’êtes pas d’accord faites comme nous, prenez des armes !” Mais ce n’est pas possible et ce n’est pas un pays. Cela va continuer pendant combien de temps ? Nous allons continuer à dénoncer. Mes parents ont été tué à Léo et vous verrez que dans quelques jours, ils iront demander la réconciliation, alors que des maisons ont été détruites, des gens tués, etc. pour résoudre quel problème à la fin et attendre le prochain, alors que ce n’est pas encore fini avec Bérem. Nous ne pouvons pas avancer dans ce sens.
Sur le champ politique, la tendance des autres partis à collaborer avec le Cmt semble prendre le pas sur la résistance. A l’allure où l’on va, le Cmt n’est-il pas en train de rallier tous les opposants à sa cause ?
C’est cela l’évolution d’une société. Vous avez des gens qui ont lutté et sont aujourd’hui fatigués, je pense. Ils ont baissé les bras et se laissent corrompre. Certains ont pensé entrer pour changer les choses de l’intérieur. Tout cela les engage. Mais on sait très bien qu’il n’y a absolument rien qui avance. Il ne faut jamais désespérer par rapport à un pays. Aux uns et aux autres qui sont convaincus que le peuple tchadien est spécial et qui chantent souvent : Le Tchad c’est le Tchad. Nous on vient de loin, etc. j’avais eu l’occasion de leur dire que si vous venez de loin ça ne veut pas dire que vous ne voulez pas aller loin. Vous pensez que tout est nickel, parce que vous êtes restés au pouvoir pendant 30 ans sans rien faire et qu’on va continuer comme ça, ce n’est pas possible. Il y a une nouvelle génération d’hommes politiques qui vont émerger et arriver. Quoi qu’il arrive, vous allez trouver dans ce Tchad, deux camps : ceux qui sont avec le Pcmt et les militaires, et puis le peuple. Et le peuple c’est ce que nous faisons autour de Wakhit Tamma et d’un certain nombre de partis politiques. Beaucoup de jeunes qui pensent qu’ils sont des laissés pour compte ne vont pas se laisser conter le Tchad de demain. Tout le monde n’est pas alimentaire dans ce pays. Même en France aujourd’hui, ceux qui gouvernent sont désavoués. Ça veut dire qu’il arrivera un moment ou le peuple tchadien sera debout. Et je suis convaincu que ce moment est arrivé. C’est cela Wakhit Tamma !
Interview réalisée par
Roy Moussa