Regards croisés d’Ibedou et Bongoro sur la  participation à l’organisation du dialogue national

La coordination des actions citoyennes Wakhit Tamma se vide de sa couche politique. Environ 40 partis politiques sur 45 qui la composent l’ont quittée pour accompagner le processus de transition. Erreur, selon Mahamat Nour Ibedou, car pour lui, le Conseil militaire de transition (Cmt) est en train de mettre tout en œuvre pour conserver le pouvoir. Pas question de l’accompagner tant que les exigences préalables de Wakhit Tamma ne sont pas satisfaites. Cependant, Bongoro Théophile rétorque en estimant que les politiques et les associations de la société n’ont pas les mêmes objectifs. Interviews croisées.

“Nous ne voulons pas être noyés par les applaudisseurs”

Mahamat Nour Ibedou, secrétaire général de la Convention tchadienne pour les droits de l’homme (Ctdh) (Photo Lanka)

  La Ltdh et l’Ust, membres de Wakhit Tamma, ont eu de places au comité d’organisation du dialogue mais ont refusé. Ne pensez-vous pas qu’il est temps pour Wakhit Tamma de s’impliquer pour peser de son influence ?

Nous n’avons jamais refusé de participer à un processus. Nous avons simplement posé quelques conditions préalables que nous estimons indispensables, puisqu’il s’agit de discuter du sort d’un peuple. On ne peut pas se permettre de s’impliquer dans un processus qui a été ficelé au départ dans l’intention de faire perdurer ce régime créé par Idriss Déby. C’est le même système qui est encore en place. Après la mort de Déby-père, nous avons estimé que le Tchad dispose d’une opportunité formidable pour partir sur un bon pied. Mais il y a eu un accaparement du pouvoir, l’imposition d’une charte, la volonté réelle de faire perpétrer le règne de Déby Itno par le biais de son fils. La volonté première de ceux qui se sont accaparés du pouvoir, c’est de le conserver et cela se lit dans tous leurs actes.

Dans le décret portant composition des membres du comité d’organisation du dialogue, toute la société civile n’a que 10 places. Cela veut dire que la coordination des actions citoyennes Wakhit Tamma, qui est composée des organisations de la société civile, des syndicats, de la presse privée, des plateformes des jeunes peut avoir simplement 4 ou 5 places. Il y a aussi les organisations de la société civile créées par le pouvoir qui vont également avoir des places. Or, ces organisations fabriquées par le pouvoir n’ont pas la même représentativité que nous.  Nous pensons que nous sommes représentatifs de la société et devons être pris en considération dans les débats qui concernent l’avenir de ce pays. Malheureusement, les quotas ont été fixés de telle sorte qu’on ait le moins des représentants possibles afin que nous ne puissions pas peser sur les débats. Nous ne voulons pas être noyés par les applaudisseurs.  Tant que la révision de la charte, le décret nommant les personnalités qui vont choisir les membres du Conseil national de transition (Cnt) et la question de quota ne sont pas réglés, nous ne participons pas.

  Un comité chargé d’établir les contacts avec les rebelles a été mis en place…

Oui mais il continue à dire que le Fact (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad) ne fera pas partie. Tant que ces conditions ne sont pas réunies, nous ne sommes pas prêts à participer.

  Wakhit Tamma va-t-elle participer au dialogue pour que ses exigences soient une émanation du dialogue national, bien qu’elle refuse déjà de participer à son organisation?

Ça risque d’être trop tard. C’est l’actuel comité qui prépare tout, qui choisit les thèmes, ceux qui doivent participer et se pencher sur un tas de choses susceptibles d’orienter les débats vers ce que le Cmt veut. Le dialogue doit être sérieusement préparé. Maintenant, on nous parle du dialogue au lieu de la conférence. On dit que c’est un simple dialogue, ça ne va pas regrouper beaucoup de monde. Mais pourquoi prendre 70 personnes pour le préparer avec un budget de plusieurs milliards de francs ? Même si nous ne sommes pas dans le comité d’organisation, nous allons examiner ce qui va se passer. Au cas où la norme n’est pas respectée, nous allons toujours continuer à revendiquer par des moyens légaux en allant dans la rue et d’autres actions citoyennes.

  Certains Tchadiens pensent qu’en procédant par des marches pacifiques autorisées par le Cmt, vous êtes en train de lui donner un vernis démocratique car il se vante d’avoir autorisé toutes les marches …

Quels que soient les actes qu’il va poser, allant dans le sens d’une démocratisation de la vie nationale, cela n’est pas un cadeau, encore moins une faveur. Le fait de marcher ne garantit en rien la démocratie. Comment parler de la démocratie en prenant le fils de l’ancien président pour le mettre à la tête du pays ? De toute façon, quand ils se disent démocrates, ils sont obligés de nous laisser marcher. Nos marches drainent beaucoup de monde et avec ce système, le peuple est en train de prendre conscience. Nous allons marcher pour arriver au bout de nos revendications.

  Vous enregistrez des déceptions dans vos rangs, surtout celle des partis politiques …

Ce que nous regrettons, c’est le fait que ce groupe de partis politiques qui sortent de nos rangs ne nous consultent pas et vont donner des conférences de presse pour accompagner le Cmt. Mais Wakhit Tamma est connu de tout le monde et n’a pas dit qu’elle va accompagner le Cmt. Ça jamais ! Si un membre de Wakhit Tamma décide d’accompagner le Cmt, il est exclu d’office de la coalition. D’ailleurs, certains qui étaient avec nous sont partis mais sont revenus vers nous. Espérons qu’ils vont revenir encore. Nous leur tendons toujours les bras. Nous avons une ligne de conduite.   Celui qui veut n’a qu’à épouser cette dernière.

  Sans être mis en place, le Cnt a déjà ses membres dans le comité d’organisation du dialogue. Votre analyse à cet effet…

Ça me renvoie à l’analyse que j’ai faite sur tous les actes posés par le Cmt. Dans la hâte, le Cmt a voulu mettre rapidement en place les institutions pour prolonger la transition. Parfois, on a même honte que certains pays nous lisent. Comment peut-on comprendre que le Cnt qui n’est pas encore mis en place ait déjà sa place dans le comité d’organisation du dialogue ? Comment une Assemblée qui a été dissoute peut encore faire partie de ce comité qui n’existe pourtant pas en réalité. Je connais des analphabètes qui font partie de ce comité d’organisation.

L’Union africaine ne vous rassure-t-elle pas non plus ?

L’Union africaine est complètement nulle. Elle s’est mise hors-jeu elle-même. C’est un machin comme De Gaulle l’a dit de l’Onu. Non seulement elle dit qu’elle accompagne, elle refuse de sanctionner un coup d’Etat, elle envoie un représentant un peu éclairé, qui a de l’expérience des transitions et de dialogue entre des acteurs politiques mais se voit refuser l’accréditation par une junte militaire complétement illégitime. Elle le remplace par un ambassadeur qui est sur place et qui joue les deux rôles. Alors que les deux rôles sont complètement différents. Soit il est représentant de l’Ua ou envoyé spécial.

L’ennemi du Tchad c’est la France et il faut le dénoncer sans complaisance. Pour elle, les Tchadiens sont des gens bornés à la tête desquels on peut mettre un ignare pourvu que son intérêt soit garanti. C’est carrément la recolonisation.  La France a tout fait d’orienter toutes les missions qui arrivent au Tchad afin qu’elles ne rencontrent pas Wakhit Tamma. Elle contrôle le Cmt avec tout son dispositif militaire, elle contrôle la rébellion armée. Elle a deux cartes en main. La seule carte qu’elle n’a pas c’est celle de Wakhit Tamma. Jean-Yves Le Drian est allé plaider en faveur des financements pour le Cmt. Mais aux dernières nouvelles, nous apprenons que sur la pression des bailleurs, le Cmt était obligé de compter avec Wakhit Tamma.

“On ne va plus rien laisser”

Bongoro Théophile, président du parti Prêt et président de l’Alliance victoire (Photo Lanka)

Vous avez exigé quand vous étiez dans Wakhit Tamma, la modification de la charte de transition, l’annulation des décrets portant création du comité chargé de la sélection des dossiers pour le Cnt et du comité d’organisation du dialogue. Aucune des vos exigences n’est satisfaite mais vous acceptez d’accompagner le processus de transition ?

Nous avons trouvé à bon droit de nous prononcer sur le processus devant conduire à l’organisation effective du dialogue national inclusif. Nous avons agi en tant que politiques. Parce que bien avant notre sortie, on a écrit au Cmt il y a deux mois pour dire que nous, partis politiques de Wakhit Tamma avons une exigence autre que celle des associations de la société civile et celle des syndicats. Ces associations de défense des droits de l’homme sont des lanceurs d’alerte, les objecteurs de conscience, les syndicats sont voués à la défense des intérêts des travailleurs. Alors que les partis politiques ont pour ambition d’accéder au pouvoir suprême. Donc c’est un alliage entre un bois et un métal, si ça peut nous conduire à obtenir une victoire, nous ne cracherons pas dessus. Vous savez bien que nous ne pouvons pas mettre ensemble nos exigences avec les associations de la société civile. Nous allons continuer à marcher avec quelles perspectives ? On leur a donné l’exemple du Mali. Quand Mahmoud Dicko a fait tomber le pouvoir malien, il a regagné sa mosquée. Ainsi sera le cas de la Ligue tchadienne des droits de l’homme (Ltdh), et l’Union des syndicats du Tchad (Ust). Quand le pouvoir va tomber, ils vont regagner la bourse du travail ou leur siège. Et regardez ce que les politiques maliens sont devenus après. Comme ils ont voulu mettre leur lutte ensemble avec les non politiques, ils se sont mis dans une situation où ils ne savent sur quel pied danser et les militaires sont revenus faire un 2ème coup d’Etat. On ne va pas encore faire cette erreur-là ici.

En tant que politiques, qu’est-ce qui vous satisfait du Cmt ?

Rien ne nous satisfait. Mais quand on exploite le décret 101, il est dit que le comité d’organisation va définir le format du dialogue national. En politique c’est une question d’opportunité, on n’est pas en religion-là ! On a dit : au lieu de rester à distance pour que les gens décident à nos places, il faut y entrer, tenter d’infléchir les rigidités sur place. Je l’ai toujours dit, ce qui nous concerne, qui va être décidé sans nous, se fera contre nous. L’exigence à court terme, c’est d’aller aux élections, c’est la mise en place de la Commission électorale nationale indépendante (Céni) prochaine, du Cadre national de dialogue politique (Cndp) (c’est la forme qu’on voudra), d’un Bureau politique électoral (Bpe) qui va être retoqué parce que ce serait au goût maintenant des acteurs politiques. Nous n’acceptons pas d’aller aux élections avec des règles qui ont été faites sans nous.

  Les associations de la société civile estiment que les choses seront ficelées d’avance comme aux deux précédents fora organisés sous le règne de Déby…

Elles sont en train de commettre les mêmes erreurs qu’avaient commises les candidats siégeant à la Céni. Quand nous marchions contre le 6ème mandat, j’ai proposé à ceux qui siègent à la Céni au nom de l’opposition de suspendre leur participation et le règlement intérieur va être mis en difficulté. La majorité permettant à la Céni de prendre des décisions va être mise en mal et paralysera par voie de conséquence la Céni. La politique c’est aussi le rapport de force. On a marché, on a eu sur la conscience 17 morts. Cela a donné quoi ?

En politique, on ne peut tout obtenir en un moment. Notre objectif c’est investir massivement le comité d’organisation du dialogue, y prendre notre place et mener une bataille à ce niveau. Si on est sûr qu’on va échouer, on attire l’attention de la communauté internationale qui est en train d’accompagner le Cmt que nous n’allons pas continuer. On va commencer par suspendre notre participation et si cela n’emmène pas les gens à se plier, on va purement et simplement se retirer. Ce qui aura pour effet de retoquer l’arrêté du premier ministre qui a institué l’équipe. C’est comme ça la politique, on grappille quelques victoires et on avance. Parce qu’en face, il y a un système qui a fait plus de 30 ans. On ne peut pas remettre en place, ce que les gens ont construit en 30 ans sur la base des marches. On soutient le processus de transition et non le Cmt. Il faut que cela soit plus clair. Ce qui nous intéresse, c’est l’après transition, pas la période actuelle.

  Le Cnt qui n’est pas encore mis en place est représenté au comité d’organisation du dialogue. Qu’en dites-vous ?

Voilà notre première bataille. Ils sont allés sur la base de ce qui est prévu dans charte de transition, une loi scélérate en disant que jusqu’à la mise en place du Cnt, l’Assemblée nationale qui a été dissoute supplée. Nous sommes sur quel territoire ? Peut-on se prévaloir d’un suffrage fait en 2011 sur la base duquel on va calquer la représentativité en 2021 ? C’est malsain ! Toutefois, nous comptons faire partie du prochain Conseil national de transition. Parce qu’en tant que politique, nous n’allons plus rien laisser.

Nous trouvons anormal que la présidence du Cmt et la primature soient représentées au comité d’organisation du dialogue. Nous allons leur dire ça aussi là-bas parce que ça, c’est une supercherie politique.

Interview réalisée par

Lanka Daba Armel