A sa prise de pouvoir il y a un an, le Conseil militaire de transition (Cmt) avait promis préserver l’intégrité du Tchad, assurer la sécurité aux citoyens, organiser la réconciliation nationale et les élections libres et transparentes dans un délai de 18 mois. Après 12 mois d’exercice du pouvoir sur les 18, le bilan ne donne pas le sourire.
Ceux qui habitaient N’Djaména se souviennent encore de cette journée du 19 avril 2021. Informés que les rebelles du Fact (Front pour l’alternance et la concorde au Tchad) avaient lancé une offensive sur la capitale tchadienne depuis le 11 avril (jour de l’élection présidentielle de 2021), les N’djaménois se préparaient aux conséquences d’une éventuelle énième attaque rebelle. Pour déclencher la panique générale en pleine capitale, le pouvoir d’alors n’avait pas hésité de déployer des chars de combat devant la présidence de la République et à d’autres points névralgiques. La vue de ces engins de la mort avait mis les gens en émoi et provoqué une débande généralisée. Ce jour-là, le ciel était chargé de poussière créée par la débandade des gens qui fuyaient l’enfer de N’Djaména. Tels ont été les signes précurseurs du séisme du 20 avril.
Le 19 avril, le Mouvement patriotique du salut (Mps), parti au pouvoir, célèbre en grande pompe, son “uppercut” à la Place de la nation. La Commission électorale nationale indépendante vient de proclamer le Maréchal du Tchad, vainqueur de la présidentielle du 11 avril 2021 raflant 79,32% des suffrages exprimés. Mais la joie des militants du Mps exprimée à l’occasion de cette “victoire” ne durera que le temps d’un feu de paille.
20 avril 2021. La Radiodiffusion nationale et la télévision suspendent momentanément leurs programmes. Un groupe de 15 hauts gradés de l’armée annonce le décès du Maréchal du Tchad sur les champs de bataille. Tel un couperet, la nouvelle surprend tout le monde. Le président fraichement élu n’est plus. Dans la foulée, le Conseil militaire de transition (Cmt) composé de 15 généraux suspend l’Assemblée nationale. La Constitution en vigueur est remplacée juste 24 heures par la charte de transition. Ces premiers actes que pose le Cmt partage le Tchad entre ceux qui optent pour et d’autres qui crient à la dévolution monarchique du pouvoir. Bien entendu, c’est Mahamat Idriss Déby qui n’a pas tardé à ajouter le patronyme Itno pour faire plus complet, jouera le rôle du président du Cmt, chef de l’Etat. Donc, de père en fils.
Du coup, l’opposition s’illustre à travers la Coordination des actions citoyennes Wakhit Tamma. Celle-ci s’opposait déjà contre le 6ème mandat d’Idriss Déby Itno. Le 27 avril, soit juste une semaine après la prise des commandes par le Cmt, Wakhit Tamma organise une marche pacifique mahousse contre le Cmt. Celle-ci est violemment réprimée par les forces de défense et de sécurité parmi lesquelles se compte nombre de bérets rouges, la force de 3ème degré. Bilan : dizaine de morts et une centaine de blessés, sans compter de nombreuses arrestations. Les analystes de la scène politique tchadienne estiment que ceux qui ont pris le pouvoir pour assurer la sécurité des tchadiens se sont finalement transformés en leurs bourreaux. Mais au fil du temps, la répression des manifestants s’est intensifiée. Face au durcissement du pouvoir en place, certains membres de l’opposition farouche au Cmt au départ ont rangé leur queue entre les jambes. Seuls quelques rares opposants tiennent encore aujourd’hui, le même discours d’il y a un an. Parmi ceux-ci, le leader des Transformateurs Masra Succès, Yaya Dillo, Max Loalngar, etc.
Pour le reste, Saleh Kebzabo et son parti politique l’Union nationale pour le développement et le renouveau (Undr) ont décidé d’accompagner la transition. Aujourd’hui, l’Undr se retrouve avec deux postes ministériels et plusieurs autres dans les institutions publiques. Ont suivi, Bongoro Théophile, Mahamat Ahmat Alhabo, Jacqueline Moudeïna, Mamahat Nour Ibedou, les deux derniers sont des défenseurs des droits de l’homme. Mamahat Nour Ibedou est aujourd’hui nommé commissaire à la Commission nationale des droits de l’homme. Cette liste n’est pas exhaustive.
L’Union européenne qui, à travers son parlement, a demandé le retour à l’ordre constitutionnel est devenue aujourd’hui un grand soutien financier au Cmt avec l’aide de la France. L’Union africaine a aussi décidé d’accompagner la transition, mais sous certaines conditions : la modification de la charte de transition pour respecter les 18 mois de transition, l’inéligibilité des dirigeants de la transition aux futures élections, l’enquête sur la mort de Déby, l’organisation du dialogue, le cessez le feu, etc. C’est dire que le Cmt est finalement accepté, soutenu même si c’est au bénéfice du doute; quel sera le résultat ?
Un scepticisme grandissant
Personne aujourd’hui n’est en mesure de dire que Mahamat Idriss Déby respectera ses engagements. Ses faits et gestes cachent bien d’autres intentions inavouées. En voici quelques-unes.
Le refus de modifier la charte : modifier la charte de transition pour préciser que Mahamat Déby ne sera pas candidat à sa propre succession ; que les 18 mois de transition seront respectés est l’une des principales exigences de l’opposition et même de la communauté internationale. Le désormais général 5 étoiles fait plutôt tout ce qui porte à croire qu’il veut rester au pouvoir. Il l’a déjà annoncé dans une interview que le pouvoir c’est Dieu qui donne, en d’autres termes, c’est Dieu qui lui a donné le pouvoir, Il peut lui redonner même après la transition. Donc, la voie lui est libre pour se présenter aux futures élections.
Kabadi, Zène Bada et le Mps : le chef de la junte ne s’éloigne jamais de ceux qui ont aidé son père à conserver plus d’une trentaine d’années le pouvoir. Tous les proches de papa sont soit ministres, soit conseillers à la présidence de la République. Haroun Kabadi qui a simulé une maladie pour permettre à Mahamat Kaka d’être président est récompensé. Tout a été mis en œuvre pour qu’il soit président du Conseil national de transition (Cnt). Il est aussi fait secrétaire général du Mouvement patriotique du salut à l’issue d’un congrès extraordinaire qui n’avait qu’un but, évincer Zène Bada de la tête du Mps. Car ce dernier n’était pas docile comme Kabadi. Zène Bada est forcé de rester quelques mois en France pour méditer sur son sort. Il en est revenu, et sitôt nommé conseiller à la présidence de la République. Proche du fils, il peut l’aider à conserver le pouvoir comme il l’avait fait avec papa. D’ailleurs, aux obsèques du Maréchal, Zène Bada avait demandé “aux enfants de na pas oublier leur oncle” qu’il est.
“Celui qui n’est pas avec moi est contre moi”. Mahamat Kaka et le Cmt appliquent cet extrait tiré de la Bible dans Mathieu 12 : 30. Pour entrer dans le gouvernement ou participer à la gestion du pays pendant cette période de transition, il faut absolument dire le mot magique “accepter d’accompagner le Cmt dans la transition”. Sinon vous êtes contre la paix. La preuve, toutes les manifestions contre le Cmt ont été réprimées par des tirs à balles réelles. Le président du Cmt évite d’entendre la vérité. Il n’écoute pas ceux qui disent le droit et devient sensible aux laudateurs, qui font semblant de mobiliser les gens pour soutenir le Cmt. On retombe dans la case départ.
Préparation de la guerre : au lieu de dialoguer sérieusement avec les politico-militaires, le Cmt prépare plutôt la guerre. Mahamat Déby a d’abord organisé une tournée au Soudan, au Niger et en Libye pour demander à ces pays voisins de réactiver un accord signé depuis 2018 pour le déploiement d’une force conjointe aux frontières. Ainsi, le président du Cmt se mettra à l’abri des rebelles qui traînent dans ces zones. Ce n’est pas pour rien que depuis son accession au pouvoir, il ne cesse d’acheter de nouvelles armes de combat, de recruter de nombreux jeunes dans l’armée et de promettre aux militaires des meilleures conditions de vie sociale (augmentation de salaire, construction des hôpitaux de référence pour les militaires, etc.). En plus de cela, il a aussi curé en fin 2021, la tranchée creusée par son père au pourtour de N’Djaména en 2008 pour contrecarrer toute incursion rebelle. Il ne cesse de resserrer ses relations avec la France, sa force protectrice.
Les promesses et les tournées : Mahamat Déby Itno veut charmer les tchadiens en se comportant comme un bon président. Ses tournées à l’intérieur du pays sont teintées de promesses (construction des routes, des hôpitaux, des écoles, etc.) alors qu’il sait que ce sont des choses qui ne se feront pas dans les 18 mois impartis à la transition. S’il prétexte assurer la continuité de l’Etat, améliorer la vie des citoyens, il pouvait juste se contenter de réaliser les promesses de son père : des dizaines d’hôpitaux, des écoles et de lycées aux tchadiens en 2021. Déby père a aussi promis intégrer 20 000 jeunes en 2020 à la Fonction publique. Déby père n’a pas entièrement tenu cette promesse. Mahamat Déby, lui, vient de promettre l’intégration de 5 000 jeunes à la fonction alors que son père avait intégré moins de 7 000 sur les 20 000 promis. Pour quel intérêt le président du Cmt fait aussi des promesses?
Révocation d’Ibrahima Fall : le Sénégalais nommé représentant spécial de l’Ua pour suivre la transition a été récusé par le Cmt qui craignait que celui-ci ne soit plus regardant en termes d’exécution du cahier de charges. Il a préféré le Congolais Basile Ikouébé qui laisse le Cmt faire à sa guise.
Dialogue biaisé : le Cmt fonce tête baissée et organise un dialogue fermé. Le Codni a organisé des pré-dialogues qui ne contenaient rien d’autre des Qcm (questions à choix multiples) où tous les sujets à débattre et réponses sont proposées par le Codni. Tout est cerné pour avoir le contrôle. Même chose avec les politico-militaires qui sont à un nombre surprenant de 52. Pendant que le dialogue se passe, on déstabilise l’interlocuteur en piochant ses membres. Le Fact, le Commandement militaire pour le salut de la république (Ccmsr) et Wakhit Tamma en savent quelque chose. Même l’amnistie est faite à la tête du client.
Tout est simulacre, comme du temps du Maréchal du Tchad, Idriss Déby Itno. Mahamat Idriss Déby Itno est sur les traces de son père. N’a-t-il pas dit lui-même que “mon père serait fier de moi”. Après un an, est-ce feu président Déby Itno nous manque ? A part sa voix, son remplaçant fait tout à sa place.
Lanka Daba Armel
