L’impunité constitue le carburant par excellence de la récidive; car, tout ce qui en société n’est point réprimandé demeure considéré comme tacitement licite. Or, que d’individus dans le commun des mortels n’épousent davantage la conduite vertueuse que par obéissance aux règles prescrites par la collectivité que par propre conviction morale. Dès lors, seul le poids de la sanction des déviances reste susceptible d’aider à dompter, à apprivoiser les esprits retors et scélérats.
À la lumière de nos répétitifs festivals de sang versé qui semble ne guère nous émouvoir outre mesure, une question objectivement se pose : sommes-nous, nous autres tchadiens un peuple particulièrement possédé par l’instinct barbare en comparaison à d’autres ? Et si la barbarie semble avoir ici droit de cité, c’est pour la même et simple raison que nous la banalisons à outrance ; laquelle banalisation naît simplement de notre conscience approximative, rudimentaire, embryonnaire quant à la valeur de la vie et de la dignité humaine. Sans cynisme aucun, l’on peut sérieusement s’interroger : au nom de quelle magnanimité, de quelle générosité un individu violent doit s’abstenir de laver ses affronts par un frugal assassinat lorsque cet acte n’est factuellement pas prohibé ? La dernière répression policière sur la marche de protestation contre les tueries intercommunautaires apporte une preuve des plus éloquentes quant à la dégringolade de notre société ; une société forcée manu militari à embrasser une dynamique d’inversion des valeurs. En des termes plus explicites, au-delà du vieux silence de complaisance vis-à-vis des criminels ; complaisance qui ne nous est malheureusement pas étrangère, nos gouvernants interdisent l’indignation, le recueillement, la compassion. Ils s’évertuent à vouloir mettre tabou la dévotion due à la mémoire des défunts, un précepte s’il en est aussi sacré que transversal à nos diverses cultures. Alors entendons-nous entreprendre l’illusoire et absurde défi de bâtir une société sans culture ni dignité humaine ? Le drame qui dans ce pays diaboliquement se joue, aura tant été appréhendé par le prisme du droit positif sans doute point à tort. Cependant, nous serons allègrement passés outre l’essentiel si nous ne réalisons pas que notre péril demeure d’abord moral. Celles et ceux qui paraissent viscéralement obsédés par le sournois projet d’anéantir chez nous l’état de droit afin d’y substituer une jungle sont avant tout des suppôts de l’immoralité. En effet, contrairement à ce que nous sommes enclins à considérer comme une vérité dogmatique, l’éducation n’est pas tributaire de l’instruction ou de l’alphabétisation. Les tenants de la philosophie frelatée qui veut nous convaincre de ce que la violence des criminels émane de leur seul analphabétisme peuvent aller se rhabiller. En réalité leur thèse n’est ni plus ni moins qu’une prothèse intellectuellement qui ouvre un boulevard à la tolérance de l’intolérance. Si en dépit de son instruction carante ou même inexistante l’on est en mesure d’éprouver de la révolte lorsque sa dignité est atteinte, l’on peut tout autant assimiler l’évidence qu’Autrui est son semblable. Autrement dit, l’expérience de notre humanité n’exige pas nécessairement la théorisation de concepts philosophiques, même si au travers de la conceptualisation cette expérience devient plus profonde, plus consciente, plus performative…
Comment des dirigeants peuvent-ils en venir à punir davantage la victime que le bourreau, comme si les plaintes de celle-ci dérangeaient plus la conscience que les horreurs perpétrées par ce dernier? Voilà un questionnement qui vient mettre à nu la sordide invite du système régnant à banaliser la violence et la barbarie. Hélas, ce dont nos gouvernants ne se rendent vraisemblablement pas à l’évidence, c’est que cette entreprise d’inversion des valeurs induit deux paradoxes aussi délétères l’un que l’autre. Premièrement, la banalisation de l’horreur par le truchement des frustrations sédimentées et des velléités vindicatives ne conduit qu’à l’amplification, à la généralisation de l’horreur. Cette métastase est le mortifère engrenage que résume à merveille le dicton selon lequel “Le sang appelle le sang”. En second lieu, fût-on élite ou dernier des sans-grades, l’on ne profite jamais proprement, sereinement, durablement de la violence.
Tout compte fait, celles et ceux qui dans ce pays, misent sur l’inepte dichotomie qui veut que les uns usent aisément de la violence pour résoudre leurs différends, et que les autres s’avachissent éternellement dans la tolérance se risque à un pari cataclysmique. Car, quelle que soit la compréhension ou l’inertie des victimes tolérantes, viendra un jour la mort de trop, la guerre de sang de trop. Hélas, ce ne seront pas nos religions pétries de tant d’hypocrisie percluses de tant d’interprétations fallacieuses qui nous seront d’un bien grand secours…
En définitive, nos gouvernants semblent avoir définitivement perdu toute boussole morale, aussi, pour fait de réponse conjoncturelle à tout problème, dilapident-ils l’argent public pour espérer acheter les cœurs et les esprits. Mais fait-il le bonheur?
Béral Mbaïkoubou, Député