“Tous solidaires pour un Tchad nouveau”

“Marche en ma présence et sois parfait” (Gn 17,1)

Chers frères et sœurs dans le Christ, Hommes et femmes de bonne volonté!

  1. Alors que nous nous approchons des fêtes de Noël et du Nouvel An, nous voudrions nous tourner vers Dieu, source de la vie, afin de mieux apprécier cette année qui s’achève et lui confier la nouvelle qui commencera. Oui, avec foi, nous sommes reconnaissants à Dieu qui s’est fait l’un de nous en son Fils Jésus et ne se lasse pas de manifester sa sollicitude envers notre nation.
  2. Dans notre Message de Noël de cette année, nous ne perdons pas de vue la grave situation due à la Covid-19 qui a failli faire voler en éclats notre espérance. En plus de cette pandémie, nous voudrions aborder les problématiques de la cohabitation pacifique, de l’exclusion de certains de nos concitoyens de la chose publique, pour redonner ainsi espoir au peuple tchadien.

 

  1. DIEU MARCHE AVEC SON PEUPLE

La proximité de Dieu avec son peuple

  1. Dieu a transformé son histoire en une réalité sainte et pleine de grâce. Il continue de marcher aussi avec nous. Dieu n’a pas fait semblant d’entrer dans notre histoire. Il l’a réellement assumée. Il s’est fait l’un de nous en son Fils Jésus pour habiter au milieu de son peuple. Emmanuel, le nom qui était annoncé par Isaïe, signifie bien la présence et la sollicitude de Dieu (cf. Mt 1,23; Is 7,14; 8,8). La venue du Fils de Dieu que nous célébrons à Noël nous procure cette joie de la proximité de Dieu avec toutes les nations et entretient en nous l’espérance des temps nouveaux.
  2. Notre appartenance à l’Eglise n’a de sens que dans cette relation qui nous unit au Christ, et par lui à nos semblables. Jésus Christ nous renouvelle chaque fois que nous le prions et célébrons les sacrements du salut pour manifester au monde le mystère de l’Eglise : membres de son corps, peuple choisi, sacerdoce royal, lumière des nations (cf. LG 1 et 2). Le peuple d’Israël choisi par Dieu a su se tourner vers le Seigneur dans la fidélité à l’alliance.

Appel à la sainteté

  1. Dieu prend l’audace de devenir notre compagnon de route afin qu’à notre tour nous puissions lui faire confiance et grandir tous ensemble sur le chemin de la sainteté. Celui qui marche avec nous est à l’origine de “la mission” par laquelle des frères et des sœurs ont donné leur vie pour que l’Evangile croisse et porte du fruit sur le sol tchadien. La foi qu’ils nous ont transmise exige de nous la fidélité à cet héritage qu’ils nous ont laissé et constitue pour nous une obligation de faire fructifier le message de la Bonne Nouvelle.

Notre pays, le Tchad, ainsi que nos communautés religieuses ne font pas exception. Dieu nous invite sans cesse à scruter les signes des temps pour y découvrir des lueurs d’espérance.

  1. LE PEUPLE TCHADIEN MARCHE-T-IL AVEC SON DIEU?
  2. Frères et sœurs, quelle que soit notre religion, Dieu nous appelle à devenir un peuple qui marche en sa présence et à être gardiens et intendants de notre nation, serviteurs de la vérité, de la justice et de la paix. Le phénomène de l’exclusion, qui devient de plus en plus ordinaire, les conflits intercommunautaires dramatiques entre les éleveurs et les agriculteurs, font obstacle à ce que le peuple tchadien marche ensemble vers le Royaume de Dieu, qui est justice et paix.

La situation sanitaire due à la Covid-19

  1. L’année 2020 est particulièrement éprouvante pour toute l’humanité à cause de la pandémie à Coronavirus et ses corollaires. Qui aurait prévu ou imaginé l’arrivée de cette pandémie dans notre pays? Alors que nous la pensions loin de nous, elle a vite atterri au Tchad. Nous sommes reconnaissants aux autorités publiques et sanitaires pour les mesures prises à temps afin de permettre au Tchad d’éviter le pire. Au-delà de chez nous, cette pandémie a mis en évidence les faiblesses de notre humanité. Les pays avec les structures sanitaires les plus performantes ont été durement secoués et continuent d’en subir les effets. Des chaînes de générosité mondiale et locale ont permis d’épargner la mort à beaucoup de nos concitoyens. C’est avec compassion que nous pensons à tous ceux qui ont été emportés par cette maladie ou laissés orphelins.
  2. Aujourd’hui, la Covid-19 semble être passée du statut d’urgence temporaire à celui de maladie chronique. Elle est devenue partie intégrante d’une crise plus importante provoquée par des problèmes tels que le chômage, le changement climatique, les guerres ou encore les déplacements forcés. En plus de cela, nous constatons que certains de nos concitoyens profitent du malheur des uns pour s’enrichir impunément.

L’espoir brisé de la jeunesse

  1. L’enthousiasme suscité par la déclaration du Chef de l’État de recruter 20 000 jeunes à la fonction publique a beaucoup diminué. Beaucoup de jeunes se sont sentis exclus et même frustrés à cause du manque de transparence dans le traitement des dossiers. Pendant que certains recomposaient leurs dossiers, d’autres étaient intégrés sans dossiers. Nous constatons que la même exclusion s’observe dans le traitement des retraités et la nomination aux postes de responsabilité au détriment des critères objectifs de mérite et de compétence.

L’épreuve de la cohabitation pacifique

  1. Les conflits intercommunautaires continuent à endeuiller les familles et à détruire les biens économiques. Dans le contexte actuel du Tchad, ces conflits tuent plus que la Covid-19. Nous ne croyons plus que la solution soit seulement dans les arrangements entre les parties en conflit étant donné l’absence de l’autorité de l’État, de l’arbitraire appliqué dans la gestion de ces conflits, de l’auto-justice grandissante et de l’ingérence du politico-militaire dans le système judiciaire.
  2. Nous nous demandons d’où viennent les armes de guerre dans les mains des civils qui n’ont pas le droit de les posséder? Nous portons ce souci aux plus hautes autorités de notre pays. Que fait la Justice lorsque des vies humaines sont supprimées sans qu’aucune conscience ne soit gênée de l’avoir fait? Pourquoi les forces de l’ordre, dont la noble mission est de garantir l’ordre public, se servent-elles de ces conflits pour piller davantage la population déjà affaiblie par ces mêmes conflits?
  3. Nous constatons que la cohabitation pacifique tant clamée et recherchée par tous les acteurs continue à être compromise par les comportements violents produits au quotidien. Faut-il réduire la question de la cohabitation pacifique et de la concorde nationale au silence des armes? Lorsque le soleil se couche sur la crainte d’un lendemain incertain, quand dans nos villes et villages circulent des armes de guerre, ou encore lorsque les expressions de revendication publique des droits et libertés fondamentales sont interdites et réprimées, ne sommes-nous pas en train de contribuer à attiser le sentiment de haine dans les cœurs?

La situation politique

  1. Au niveau du climat politique, nous déplorons la précipitation dans la prise de certaines décisions politiques qui, au lieu de mettre en avant les droits des citoyens, les réduisent à n’être que de simples voix-électorales. La pérennisation de cette façon de concevoir la chose politique ne fait qu’engendrer la méfiance et la suspicion dans les rapports intercommunautaires. Une partie importante de la population est ainsi contrainte à bâtir sa vie sans se sentir concernée par la politique du pays. Comment imprégner les générations à venir du sens noble de leur participation à la vie politique si certains font de la politique un moyen d’enrichissement illicite et de mensonge structurés et structurels (cf. Message de Noël 2018)? Nous nous interrogeons sur les récentes consultations à la va-vite autour de la révision du fichier électoral et du Forum national inclusif sans tenir compte du contexte et de la saison. Ces assises suffisent-elles pour remettre en question les textes et pratiques acquis dans la confiance et la souveraineté?
  2. Nous avons constaté que beaucoup de nos concitoyens n’ont pas été enrôlés dans le fichier électoral et cela pour diverses raisons: incompétence des agents, machines défaillantes, insuffisance de sensibilisation, impraticabilité des pistes, etc. Malgré les demandes de prolongation de la période d’enrôlement, l’intransigeance de la CENI est encore incompréhensible. Comment alors permettre aux citoyens non enrôlés d’exercer leur droit de vote ou bien cela fait-il aussi partie de mécanismes d’exclusion dont sont déjà victimes certains concitoyens? Nous osons aussi exprimer notre inquiétude quant aux forums inclusifs qui sont en train de remplacer la consultation du peuple par referendum pour ce qui regarde le changement de la Constitution qui est la Loi fondamentale de notre pays.

La situation sociale

  1. Les pluies de cette année sont désastreuses. La ville de N’Djaména et d’autres villes sont victimes d’inondations répétitives. Ces inondations tout en démontrant la faiblesse de notre système d’urbanisation, n’ont fait qu’accentuer les fractures de la vie sociale. Chaque année, certaines de nos grandes villes sont ainsi sous l’eau comme si elles n’avaient aucun plan d’urbanisation et de mécanisme de secours d’urgences. En plus, dans beaucoup d’endroits, des champs sont inondés, des maisons s’écroulent, des familles sont sans domicile, des enfants sont exposés à diverses maladies. Que ferions-nous si des catastrophes plus lourdes comme celles connues ailleurs arrivaient chez nous?

La situation religieuse

  1. Dans le contexte des crises aigües où notre société est plongée, beaucoup d’hommes et de femmes ont retrouvé le chemin de la fraternité et de la solidarité. Nous avons été témoins dans les différents lieux de culte des expressions de foi en Dieu qui seul a le dernier mot pour toutes les situations humaines. Cette conviction de foi se caractérise aussi par des initiatives de solidarité entre croyants prises çà et là pour faire face à la pandémie et aux inondations. Dieu peut-il nous tourner le dos dans la mesure où toutes les confessions religieuses ont les yeux tournés vers lui dans une prière unanime? N’oublions pas de le remercier pour nous avoir protégés contre les forces du mal.
  2. Les formes de mutation de notre société demandent une forte affirmation de la foi et de la conviction qui nous habitent. Face à certains de nos comportements, nous nous demandons si la fidélité religieuse est réellement la fondation sur laquelle nous voulons construire une société juste dans laquelle tous sont frères. L’appartenance à une religion révélée ne doit jamais être une exclusion des autres. Bien au contraire, elle doit éclairer et féconder les autres relations vitales que chaque croyant est appelé à tisser avec les autres croyants.
  3. Aussi, nous remarquons que dans beaucoup de situations, certains croyants sont prompts à rechercher des miracles et à recourir au maraboutage alors que leur foi en Dieu devrait les pousser à assumer leur environnement social et aider à un enracinement culturel d’hommes et de femmes responsables.

III MARCHONS ENSEMBLE VERS UNE NOUVELLE ESPERANCE AU TCHAD

“Rien n’est impossible à Dieu”

(Lc, 1,37)

Au peuple tchadien

  1. Le continent africain entier continue à ressembler au voyageur tombé dans les mains des brigands, torturé, blessé et laissé pour mort au bord de la route (Cf. Lc 10, 25-37). L’Afrique a ses brigands, ceux du dehors comme ceux de l’intérieur qui l’oppriment, même de manière voilée. Notre pays n’y fait pas exception. Le classement du Tchad dans l’échiquier international en matière de développement, de bonne gouvernance, de politique de la santé, d’éducation et de sécurité n’honore personne, mais la vie n’est pas pour autant anéantie. Ensemble, nous pouvons relever le défi en concevant d’une manière positive et responsable la gestion efficace et efficiente des ressources que la Providence a mises à notre disposition.
  2. Nous savons que vous n’avez pas eu accès à une grande partie de votre part de richesses qui sont un bien commun que Dieu nous a donné gratuitement. Mais nous vous invitons à ne pas vous décourager et à consacrer vos énergies pour mener une vie descente et à lutter pour une meilleure répartition des ressources communes de notre pays.
  3. Et vous jeunes, qui êtes souvent tentés par le découragement et l’envie de fuir vers d’autres horizons, nous vous demandons d’être forts et de ne pas perdre espoir car notre nation a besoin de vous.

Aux croyants tchadiens

  1. Vous qui croyez en Dieu, l’espérance fait partie de votre identité et de votre mission. Si vous ne vivez pas de l’espérance, vous entrainerez à la résignation ceux qui vivent sans espérance comme si Dieu n’existait pas. Gardez l’espérance en Dieu car il ne vous a pas abandonnés.
  2. Vous, nos frères et sœurs chrétiens, “Soyez toujours prêts à rendre compte de l’espérance qui est en vous. Mais faites-le avec douceur et respect” comme nous le recommande l’Apôtre Pierre (1P 3,15-16). C’est par votre façon d’agir que vous provoquerez chez les autres le désir de vivre l’espérance qui vous habite.
  3. Vous, nos frères musulmans, agissez selon le commandement de Dieu le Tout-Puissant et Miséricordieux qui voit et juge les actes de chaque homme comme vous le prescrit le Coran: “Vous-formez la meilleure communauté suscitée pour les hommes: vous ordonnez ce qui est convenable, vous interdisez ce qui est blâmable, vous croyez en Dieu” (Sourate 3, 110).

Aux acteurs politiques

  1. Notre pays regorge d’atouts et de ressources humaines riches, capables de permettre son émergence. Une meilleure gestion de ces ressources avec la volonté de les exploiter ensemble nous conduirait à un développement humain intégral qui respecterait l’homme dans sa dignité.

Nous vous invitons à opérer avec courage des choix politiques sans compromission et sans esprit partisan. Que la diversité de vos opinions enrichisse le débat politique en vue de la construction de la nation !

Aux gouvernants et aux législateurs

  1. Nous reconnaissons que vous assumez une noble mission au nom de la Nation. Nous mesurons avec vous la délicatesse de votre responsabilité et apprécions les efforts déployés dans le sens de garantir la cohésion sociale et promouvoir le bien-être de la population. C’est pourquoi, nous en appelons à votre conscience patriotique pour gérer le bien commun dans un esprit de liberté, de vérité, de justice, de solidarité et d’amour du prochain. Nous vous exhortons à donner l’espoir au peuple tchadien, non plus avec des discours mais en donnant l’exemple de l’honnêteté et de la responsabilité.

Au Chef de l’État

  1. Nous saluons votre courage lors de vos récentes déclarations que nous citons “Comment comprendre que les agriculteurs et les éleveurs qui sont condamnés à se compléter n’arrivent pas à s’entendre? Que cela cesse!”.

Nous en appelons à votre responsabilité et à votre autorité pour vous investir personnellement afin de faire cesser ces conflits qui n’ont que trop duré et causé du désordre dans notre pays. Nous croyons que seule votre implication, comme vous l’avez démontré ailleurs, pourrait décanter la situation puisque toutes les autres solutions ont déjà montré leurs limites.

A l’écoute de tes enfants, Marie notre Mère!

  1. Lors de sa visite au Tchad, le pape Jean-Paul II a consacré notre pays à Marie, Notre Dame de la Paix. Dans son cœur maternel, nous venons déposer les joies et les peines, l’espérance, ainsi que les peurs et les angoisses de tous les fils et filles du Tchad. Que la venue de Jésus, Prince de la paix, procure à chacune et chacun de vous la paix qui vient de Dieu.

Bonnes fêtes de Noël et du Nouvel An 2021