Avec des retards et des suspensions à répétition, le nombre des participants qui augmente de jour en jour, des discussions et des opinions divergentes, des contestations dans les rues et des attaques rebelles, en une semaine à peine, le dialogue est passé par tous les chemins.
Des empoignades, des attaques interpersonnelles, des frustrations, du zèle des militants du parti au pouvoir d’un régime déchu, de la fougue, … C’est l’ambiance qui prévaut dans la salle du Palais des arts et de la culture où se déroule le dialogue national inclusif et souverain. Il a commencé mais la tension semble et demeure très vive et le Comité d’organisation du dialogue national inclusif (Codni) en prend pour son grade. Le calvaire du Codni commence dès le mercredi 24 août 2022 avec le début des travaux.
Après avoir présenté son rapport, les participants ont réclamé du Codni, le bilan financier et l’évolution des négociations avec ceux qui refusent d’aller au dialogue dans les conditions actuelles. C’est pour s’assurer de l’inclusivité du dialogue. Le président du Codni, Acheikh Ibn Oumar va vite mettre terme aux interventions : “ce n’est qu’un rapport partiel, nous vous avons accordé la parole pour voir s’il y a des compléments d’information”. A la suite du rapport, c’est l’adoption du règlement intérieur toujours sous la direction du Codni. Là encore, le Codni est contesté et accusé de violer la souveraineté du dialogue. “La procédure a été complètement ratée. Une fois que le Codni ait présenté son mini rapport, il est de bon escient qu’un comité ad hoc soit mis en place pour l’adoption du règlement intérieur et l’élection du présidium. Mais le Codni fait de la résistance et reste en place pour faire adopter le règlement intérieur. Depuis sa mise en place, le Comité d’organisation du dialogue est contesté et soupçonné d’avoir un agenda caché. L’intention est de nous faire glisser un présidium de son choix. Si le Codni n’a aucune arrière pensée, il n’a qu’à céder la place”, interprète Brice Mbaïmon Guedmbaye, président du Mptr (Mouvement des patriotes tchadiens pour la république). Le sujet relatif à la légitimité du Codni de diriger l’adoption du règlement intérieur divise et deux camps se forment. Les pros Cmt-Mps demandent au Codni de superviser l’adoption du Règlement intérieur (Ri) et la mise en place du présidium. Par contre, l’opposition insiste que le Codni plie bagage. C’est sous ce climat surchauffé que commence l’examen du Ri car, mandat lui a été accordé au forceps. Au cours des travaux, tous ceux qui prennent la parole doivent se contenter d’apporter des modifications au Règlement intérieur. A ceux qui s’obstinent et insistent à dire que le Codni n’a pas qualité à diriger les travaux de l’adoption du Ri, la parole leur est retirée. Ceux-ci sont considérés comme ceux qui retardent les travaux !
Dans le projet du Règlement intérieur, l’article 37 a donné lieu à des discussions houleuses. Cet article stipule que “les résolutions du Dnis sont prises par consensus, dans le plus grand esprit de persuasion, de compréhension et de conciliation. En cas de non consensus, il peut être procédé au vote. Le présidium décide de la nature du vote chaque fois que de besoin”. Cependant, la plénière était unanime pour dire que la nature du vote soit précisée dans le Ri : soit c’est un vote à main levée ou à bulletin secret. Sur ce point, la salle s’est bipolarisée. La fronde menée par l’actuel président du Conseil national de transition (Cnt), Haroun Kabadi et les disciples du Cmt, Mps et alliés estiment que le vote à main levée est l’expression de la transparence et de la démocratie. Une autre fronde menée par Mahamat Nour Ibedou, défenseur des droits humains et actuel président de la Commission nationale des droits de l’homme (Cndh) est soutenue par la société civile et l’opposition. Une partie des politico-militaires a plaidé pour un vote à bulletin secret. “Le vote à bulletin secret garantit la liberté de choix sans influence, c’est pourquoi le vote se déroule toujours dans l’isoloir lors des élections”, retient-on des propositions de certains participants. Mais les deux jours de discussions sur l’article 37 ont été multipliés par zéro. Le Codni n’a pu décider et a maintenu la proposition du départ sous l’ovation des partisans du vote à main levée. “Le texte initial est la position qui convient à tout le monde”, justifie le président du Codni. Mécontents, certains participants menacent de quitter le dialogue si le Codni continue à ignorer leur opinion. Ils y sont encore selon eux, parce qu’il y a possibilité que le présidium revienne pour définir ensemble avec la plénière, la nature du vote. La mise en place du présidium va être déterminante pour la suite.
Des suspensions et retards
Lancé le samedi 20 août, le début des travaux a été reporté au lundi, puis à mardi pour finalement reprendre le mercredi 24 août à 14 heures. Le retard a commencé dès le premier jour. L’équipe du Codni lance effectivement les travaux ce jour à 15 h 45 mn avec pour horaires de travail : 9 h-13 h et 15 h-18 h tous les jours. Le jeudi 25 août, le Codni arrive en salle à 9 h 30 mn. Saleh Kebzabo, vice-président du Codni demande aux participants d’être disciplinés, d’arriver à l’heure et annonce que 300 casques de traduction ont disparu la veille. Puis les travaux reprennent avec 25 mn de retard dans l’après-midi. A 18 h 35, alors que la journée est sensée prendre fin à 18 h 00, une pause de 10 mn est accordée pour la prière mais les travaux ne reprendront qu’une heure plus tard, à 19 h 35 pour prendre fin à 20 h 45.
Le vendredi 26 août, les travaux reprennent à 11 h 13 mn. Ce retard est justifié par le Codni par un problème logistique parce que le projet de Règlement intérieur n’est pas imprimé au nombre de tous les participants. Les travaux sont suspendus ce jour à 12 h au lieu de 13 h pour permettre aux participants musulmans d’aller prier. Mais, ils reprennent à 16 h 58 et le Règlement intérieur n’est toujours pas au nombre des participants.
Le samedi 27 août, les travaux démarrent à 11 h pour finir à 14 h, puis suspendus pour reprendre le dimanche à 15 h.
Des participants fantômes
“Un proverbe ouest africain dit, avant de fermer la porte, il faut vérifier si un fantôme n’est pas entré”, cite Djimet Younouss, politico-militaire à sa prise de parole. Il a ainsi dénoncé le comportement des participants qui ne sont dans la salle que pour applaudir ou qui n’ont rien à dire. Beaucoup de participants sont souvent passionnés, se perdent quand ils prennent la parole ou font des déclarations hors sujet. Une dame a demandé lors des discussions sur le Règlement intérieur que la dimension genre soit prise en compte dans l’accord de Doha. C’est aussi le cas du ministre de la Jeunesse, des Sports et de la promotion de l’entreprenariat, Mahmoud Ali Seïd qui reproche au Codni de n’avoir pas sanctuariser le Maréchal et son fils dans le préambule du règlement intérieur. Lui qui avait déjà demandé lors du forum de 2020, la déchéance de nationalité à tous ceux qui osent critiquer le président de la République en la personne de Déby. Les participants ont rejeté ses propositions dans un brouhaha et la parole lui a été retirée. Autres fantômes, ce sont les agents des forces de défense et de sécurité qui sont restés muets comme des carpes. Qui a déjà dit la grande muette ?
Lanka Daba Armel