Une restructuration sans arrêts de l’endettement

Le Tchad est l’un des premiers pays à demander la restructuration de sa dette en janvier 2021. Après deux ans de négociations, il est arrivé à un accord avec ses créanciers privés. Mais à quoi profite cette restructuration si le Tchad continue à s’endetter davantage ? Oumar Ali Fadoul, ingénieur en économie des hydrocarbures, analyse.

Pourquoi le Tchad a-t-il autant lutté pour la restructuration sa dette?

Pour mieux comprendre pourquoi le Tchad a voulu restructurer sa dette, il faut remonter à deux ans en arrière. Le Tchad faisait face à la pandémie de Covid-19 et le groupe terroriste Boko Haram, concomitamment à une chute drastique des prix du pétrole. Il s’est retrouvé dans l’incapacité d’honorer ses engagements vis-à-vis de ses créanciers. Sa dette est déclarée insoutenable par le Fonds monétaire international (Fmi). Le Tchad va engager des négociations avec ses créanciers et parvient à trouver un compromis avec la plupart d’entre eux mais se heurte à la résistance de Glencore qui ne voit pas l’urgence de la restructuration de la dette étant donné que les prix du pétrole sont élevés. Chemin faisant, intervint la mort subite du président Idriss Déby Itno qui compliqua davantage la situation politique et géopolitique du pays. Cette situation va contraindre la communauté internationale, le Fmi et la France en particulier, à exercer une forte pression sur Glencore en faveur de la restructuration. Ce dernier finira par céder tout en exigeant de ses partenaires “d’être de bonne foi”. Situation inédite car, les prix du pétrole sont élevés et le pays fait face à une instabilité politique et sécuritaire, une situation peu reluisante en terme de respect des droits humains et à cela s’ajoute une gabegie financière sans précédent, matérialisée par des détournements massifs.

  A combien se chiffre la dette globale ?

La dette globale du Tchad s’élève à peu près à 3 milliards de dollars dont le tiers c’est-à-dire le 1 milliard revient à Glencore. C’est pourquoi la restructuration de la dette globale du Tchad est conditionnée par celle de Glencore.

La dette de Glencore, s’élevait à combien au départ et où en est-on aujourd’hui?

Afin de mieux cerner la dette de Glencore, il faudra décrypter minutieusement les différents contrats qui ont lié le Tchad à cette société pétrolière.

Tout d’abord, Glencore fait son entrée au Tchad en 2011 en rachetant à la société canadienne Griffiths Energy, 25% de sa participation dans les champs de Badila et Mangara pour 300 millions de dollars puis deux ans plus tard, en avril 2014, elle va acquérir la totalité des actions de Griffths Energy devenue Caracal Energy pour un montant 1,3 milliard de dollars. Ensuite, Glencore signera un contrat commercial d’exclusivité avec la Société des hydrocarbures du Tchad (Sht) en septembre 2012 devenant ainsi le trader de la Sht. Les termes du contrat prévoient que l’ensemble des parts du pétrole brut revenant à l’État tchadien dans les différents consortiums sera acheté par Glencore.

Puis s’en suivra en mai 2013, un prêt gagé de 300 millions de dollars qui sera relayé par un avenant qui le porte à 600 millions de dollars qui permettra à Glencore de se rembourser en pétrole brut selon les termes du contrat.

En dernier lieu, nous avons la convention de prépaiement d’un montant de 1,3 milliard de dollars signée en juin 2014 entre Glencore en tant que pourvoyeur, Sht en tant que bénéficiaire et la République du Tchad (représentée par le ministère du Pétrole et de l’énergie et le ministère des Finances et du budget) en tant que garant. Cette somme permettra au Tchad d’acheter les 25% de parts de Chevron dans le projet de Doba y compris des parts dans les sociétés de transport du pétrole brut Totco et Cotco. Une partie de ce prêt ira à la Sht, au ministère des Finances et du budget, à celui du pétrole et de l’énergie et le reste, le gouvernement utilisera comme dépenses dans ses composantes civiles et militaires.

Quant à la question sur le solde à apurer, on pourrait dire en résumé qu’on est passé de 2,05 milliards de dollars de la convention de 2013 à 1,287 milliard de dollars au titre de la convention du 31 décembre 2017 pour se retrouver aujourd’hui à un peu moins de 1 milliard de dollars. Vous pouvez constater par vous-même que pour une histoire de 1,3 milliard de dollars qui devrait être remboursé en quatre ans, on se retrouve huit ans plus tard dans l’incapacité de payer la moitié de la somme.

Dans ce cas de figure, les experts du domaine ont tendance à dire que rembourser un prêt en matière première (pour notre cas avec le pétrole) parallèlement à l’écroulement des prix, c’est assurer une accélération du pillage des ressources naturelles et s’embourber dans des politiques extractives qui ne font qu’aggraver la dette. C’est malheureusement le cas de notre pays.

  Avec la hausse actuelle des prix du pétrole, le Tchad a engrangé beaucoup d’argent mais l’impact n’est pas visible, comment expliquez-vous cela ?

Les prix du pétrole sont restés relativement élevés depuis le début de l’année, ce qui suppose bien évidement que le Tchad, comme bon nombre de pays producteurs ont bénéficié des retombées. C’est vrai que l’impact n’est pas visible en termes d’amélioration des conditions de vie mais l’État en a fait usage pour assurer la stabilité, dit-il, du pays après le décès du Maréchal : organiser les pré-dialogues, les pourparlers avec les politico-militaires à Doha au Qatar puis le Dialogue national inclusif, sans parler des détournements massifs enregistrés durant la même période. C’est ce qui explique à mon avis qu’on n’ait pas senti l’impact de la hausse des prix sur le quotidien du citoyen lambda qui lutte pour sa survie.

  En quoi cette restructuration de la dette sera bénéfique pour le Tchad, si d’un côté, il s’endette davantage ?

Concrètement, restructurer la dette du Tchad consistera à accepter les conditionnalités du Fmi et à renégocier la convention de prépaiement avec Glencore.

Pour rappel, le Tchad n’est pas à sa première tentative de restructuration. Victime de la chute des prix du pétrole et d’une économie trop peu diversifiée, le Tchad s’était déjà tourné vers le Fmi pour faire face à ses difficultés financières. Une première fois en 2014 pour un montant de 122,4 millions de dollars puis une seconde fois en 2017 pour un montant de 312,1 millions de dollars. Ces prêts du Fmi accordés sous forme de Facilité élargie de crédit (Fec) sont accompagnés des traditionnelles conditionnalités. Premièrement, l’application stricte des mesures d’austérité budgétaire (16 mesures) pour garantir le remboursement des prêts ; deuxièmement, la restructuration de la dette de Glencore et en troisième lieu, les Fec s’étendront sur un certain nombre de tranches conditionnées par l’application de deux premiers points. Le Fonds monétaire international avait bien débloqué une première tranche de 48,8 millions de dollars en juillet 2017 et la seconde tranche a été évidemment conditionnée par un accord avec Glencore, ce qui fut fait en juillet 2018 avec comme résultat : une période de grâce de 2 ans ; allongement de la maturité de la dette à 12 ans et une réduction du taux d’intérêt qui est passé de 7,5% à 2%.

Le Tchad, du moins ceux qui ont pris part à cette négociation se sont réjouis d’avoir conclu un bon deal. Force est de constater que quatre ans après, on se retrouve dans une situation pire qu’au départ, malgré une hausse de prix du pétrole, avec à la clé : une dette insoutenable, une situation politique et sécuritaire préoccupante, des conditions de vie précaires, le pays semble être en compétition pour la dernière place en terme d’Indice de développement humain (Idh) au niveau mondial.

Cette énième restructuration suivra le même schéma. D’ores et déjà, le Fmi a mis en jeux 530 millions de dollars de prêt dans le cadre de la Fec assortie des conditionnalités habituelles que le gouvernement du Tchad connaît par cœur : application des mesures d’austérité (16 ; 32 ou 64 mesures ?), renégociations avec Glencore qui exige cette fois-ci que ses partenaires soient de bonne foi, puis déblocage par tranche de 530 millions de dollars en quatre ans à conditions que les conditions précitées soient satisfaisantes.

En ce qui concerne l’endettement qui se poursuit, au vu de ce qu’on vient d’énumérer, je ne parlerais pas en terme de bénéfice pour le Tchad mais plutôt en terme d’opportunité à saisir pour rectifier le tir. On a déjà restructuré à plusieurs reprises notre dette avec le résultat qui est sous nos yeux. On ne peut pas faire la même chose et espérer un résultat différent. J’exhorte le gouvernement à revoir sa politique de la gestion de la dette publique en général et celle de Glencore en particulier.

  Que suggéreriez-vous au gouvernement dans le cadre de cette restructuration ?

Dans l’immédiat, je suggère au gouvernement d’instruire fermement les parties prenantes à la convention de prépaiement en l’occurrence le ministère en charge des Finances et du budget, le ministère en charge des Hydrocarbures ainsi qu’à la Sht de mettre en place une équipe chargée de la renégociation avec Glencore et d’engager un cabinet international ayant une expertise avérée dans le domaine de la finance et du pétrole pour appuyer l’équipe.  Ce point est crucial d’autant plus que lors des précédentes restructurations, l’accent était mis sur les prêts dans le cadre de la Fec plutôt qu’une réelle négociation en vue de se débarrasser des dettes de Glencore. Comme je l’ai dit précédemment, cette restructuration de la dette est une opportunité pour le Tchad pour résoudre définitivement le problème de la dette de Glencore.

A moyen et long terme, il faudra mettre en place des politiques d’envergure pour sortir de l’économie de rente dans laquelle nous sommes, vers une économie diversifiée avec des instruments fiscaux adaptés. Selon les données du dernier rapport sur l’état de la justice fiscale dans le monde, sans l’évasion fiscale des sociétés internationales opérantes, le Tchad aurait remboursé deux fois la dette de Glencore. Je suis convaincu qu’avec une bonne volonté politique on pourra sortir de ce cycle vicieux de la dette et diversifier notre économie pour la rendre plus résiliente.

Interview réalisée par Minnamou Djobsou Ezéchiel