Affaire Ibedou, ‘une heureuse coïncidence’

Convoqué à la brigade criminelle le 3 décembre pour une affaire de diffamation, le secrétaire général de la Convention tchadienne des droits de l’homme (Ctdh), Mahamat Nour Ibedou, est finalement placé sous mandat de dépôt pour meurtre et complicité de meurtre et conduit à la maison d’arrêt d’Amsinéné, le 5 décembre 2019.

Scandale pour les uns, véritable cabale pour les autres. Les avocats assurant la défense de Mahamat Nour Ibedou n’en reviennent plus.

“Contre toute attente, un Officier de police judiciaire (Opj) a appelé Ibedou dans une autre salle pour être auditionné sur une affaire qu’il ignorait totalement. Et à la question de savoir de quelle affaire s’agit-il, l’Opj lui répondait qu’il s’agit d’un crime, sans lui dire en quelle qualité il devait être auditionné. Sur le refus d’Ibedou d’être auditionné sans convocation et sans notification des faits à lui reprochés, le directeur intérimaire de la police judiciaire et les officiers présents se sont livrés à moult tractations durant deux heures. Ensuite, l’Opj revient avec un procès-verbal qu’il demande à Ibedou de signer. Naturellement, Ibedou n’a pas signé le procès-verbal parce qu’il n’en est pas l’auteur”, relate Me Delphine Djiraïbé, membre du collectif d’avocats d’Ibedou. Les choses sont allées très vite en 48 heures seulement. Du bureau du deuxième substitut du procureur, l’affaire est attribuée au juge d’instruction qui notifie simplement à Ibedou les charges retenues contre lui.

Pour le collectif des avocats du secrétaire général de la Ctdh, ce mandat de dépôt comporte plusieurs irrégularités.

Primo, la défense fait observer qu’il n’y a pas de plainte visant Ibedou dans une affaire de meurtre. En effet, Ibedou était convoqué à la brigade criminelle suite à une plainte déposée contre lui par Bokhit Bahar Mahama Itno, neveu de… pour diffamation. Il a été  auditionné sur cette affaire de diffamation sur procès-verbal qu’il a signé à la fin de sa déclaration. La complicité de meurtre est ensuite  tombée comme un cheveu dans la soupe.

Secundo, la défense d’Ibedou trouve que sa garde à vue est illégale et le juge d’instruction a été saisi par un réquisitoire frappé de nullité.

Tertio, “l’email produit par la police judiciaire est capturé sur un écran public et c’est un faux manifeste. Quand vous envoyez un mail, c’est par votre adresse que le destinataire reçoit mais sur cette capture, celui qui a envoyé s’appelle Malick et celui qui a reçu s’appelle Malick23. Cela veut dire qu’on a ajouté quelque chose mais on voit bien que c’est un faux. On n’a pas besoin d’être un grand internaute pour le savoir”, explique Me Jacqueline Moudeina.

L’affaire Ibedou coïncide ainsi avec les assises du 34ème congrès de la Conférence internationale des barreaux (Cib). Les autorités tchadiennes ont choisi ce moment où tous les meilleurs avocats des barreaux francophones se trouvent à N’Djaména, pour lancer la cabale contre un défenseur des droits humains. Le président du barreau international, Me Dominique Tricaud, trouve que c’est une “heureuse coïncidence” pour lui de tomber sur le cas Ibedou, parce que le choix du Tchad pour abriter le congrès de la Cib visait justement à soutenir la société civile tchadienne. “Nous avons été très impressionnés par le degré d’exigence des paroles et idéaux de justice du président de la République quand il ouvrait nos travaux. Mais voir en même temps un grand militant des droits de l’homme comme Ibedou devant un juge d’instruction, nous est incompréhensible. Il s’agit d’un grand décalage entre les paroles du chef de l’Etat et la justice qui ne s’y reconnaît pas. Ibedou n’a rien à voir avec un meurtre ou complicité de meurtre. S’il n’est pas libéré, nous repartirons dans nos  pays pour saisir les ambassades du Tchad et demanderons à nos gouvernements d’intervenir. Parce qu’à nos yeux, ce qui s’est passé est une provocation”, déclare-t-il, furieux.

En attendant, Mahamat Nour Ibedou croupit depuis le 5 décembre à la maison d’arrêt d’Amsinéné, où il attend d’être situé sur la procédure.

Alladoum leh-Ngarhoulem G.