Pas du tout facile de rendre visite aux détenus de la maison d’arrêt d’Amsinéné. Beaucoup de ceux dont les proches en sont locataires s’en plaignent. Pour cause, tout accès au parloir est payant.
Tout visiteur est tenu de débourser 600 francs CFA aux gendarmes en poste avant d’accéder au parloir. Cet argent est exigé au poste de gendarmerie, situé à une vingtaine de mètres de l’entrée de la prison. Le plus souvent, deux gendarmes et un civil y sont en faction. Cette formalité consiste à donner le nom de la personne détenue pour qui la visite est sollicitée et 600 francs, une caution obligatoire non remboursable. En contrepartie, le gendarme tend un bout de papier sur lequel est inscrit le nom du prisonnier. Un autre effectue la fouille. Les smartphones sont interdits, ils seront gardés au poste jusqu’au retour du visiteur.
Deux jeunes gens grommellent. Nourriture dans un panier en main, ils n’ont pas réussi à voir leur ami fait prisonnier. Les gendarmes leur ont exigé de verser les fameux 600 francs qu’ils n’en ont pas.
La pratique est courante. Personne ne peut passer outre. Car les 600 francs sont érigés en frais, en taxe normale de service. Et c’est muni de ce bout de papier présenté et remis au délégué que le détenu sera autorisé à voir son visiteur. Les délégués sont choisis parmi les plus anciens prisonniers. C’est à eux que revient la tâche d’aller chercher le détenu à visiter.
Un marché juteux
“Chaque semaine, j’apporte de la nourriture, du savon et quelques effets à mon frère à la prison. Toutefois, il me faut 600 francs pour pouvoir accéder au parloir avec lui. Les gendarmes prennent 500 francs et les 100 francs reviennent aux délégués. Comme je suis régulier, parfois les gendarmes me laissent passer quand je les supplie parce que je n’ai pas d’argent. Mais je rembourserai à la prochaine visite, comme une dette”, explique un visiteur.
Le 14 février 2020, le même visiteur est tombé sur un mauvais gendarme. Ce dernier n’a voulu rien comprendre. Avec de la nourriture, du savon et des produits pharmaceutiques en main, l’accès lui a été refusé par le gendarme en poste. Deux autres jeunes, à leur baptême de feu, sont obligés de retourner chez eux sans s’entretenir avec leur parent détenu. Deux autres jeunes femmes arrivent à quelques mètres du poste. Mal leur en prend, parce qu’elles signalent n’avoir sur elles que 500 francs CFA comme frais de visite pour deux. “Payez 1200 francs, exige le gendarme. Sinon repartez!”, “Un instant”, leur demande un autre gendarme. Un instant? Le temps de prendre les 500 francs d’une autre main, sans que les autres visiteurs ne s’en aperçoivent. Rapidement, l’argent se dissimule dans une poche…
“Au parloir, ces gendarmes vous tiennent à l’œil pendant la conversation. Dès qu’ils observent que ton visiteur te tend de l’argent, ils revendiquent aussi leur part. En cas de refus, le récalcitrant subit des corrections. Il peut être enfermé pendant que les autres sont dehors, il est maltraité, etc. De toutes les façons, nous n’avons pas de choix. On leur donne pour nous sauver la peau”, confie un détenu.
C’est généralement à la descente des services, dans l’après-midi que les visites aux détenus s’effectuent massivement. C’est à ces heures plus précisément que les affaires sont florissantes pour les gendarmes. Telle une logique qui s’impose, les nantis paient les exigences des gendarmes sans se poser de questions. Ceux qui possèdent la moitié de la somme exigée, négocient énergiquement pour accéder au parloir dont l’état de salubrité laisse vraiment à désirer. C’est un couloir insalubre aux relents insupportables.
Pour de nombreux visiteurs, donner 600 francs pour être autorisé à rendre visite aux proches détenus est une arnaque. Rien ne peut justifier que des gendarmes, employés de l’Etat, déployés à la maison d’arrêt dans le cadre régulier de leur service, puissent se remplir ainsi les poches sur le dos de leurs concitoyens.
Nadjidoumdé D. Florent
Pas d’autorisation de visite
“Toute personne détenue peut recevoir des visites à certaines heures au parloir de la prison. Il faut néanmoins dans tous les cas que le visiteur obtienne un permis de visite. Les règles varient selon que la personne détenue, prévenue ou définitivement condamnée mais également selon que le visiteur est ou non un membre de la famille, à laquelle le droit de visite est facilement accordé”, explique un agent pénitentiaire.
Mais à la maison d’arrêt d’Amsinéné, les visiteurs ne se présentent pas avec une autorisation de visite. Les gendarmes ne la leur demandent pas non plus. A la place de cette autorisation de visite, ils se délectent des 600 francs des visiteurs. Un secrétaire du régisseur souligne qu’en principe, tout visiteur doit se munir d’une autorisation de visite pour accéder au parloir. Mais déplore-t-il, beaucoup de gens ignorent ou négligent royalement cette procédure.
NDF