Boycott et amateurisme organisationnel

La révision du fichier électoral biométrique a été lancée du 1er au 20 octobre. Mais  10 jours après le lancement, l’on constate un manque d’engouement autour des bureaux mobiles. Sans oublier des problèmes logistiques.

Il est rare de voir des potentiels électeurs se bousculer dans les centres d’enrôlement. De tous les points implantés en majorité dans les concessions des chefs de carré, il est  difficile de trouver plus de 5 personnes au tour des agents recenseurs. 9 octobre,  l’horloge affiche 8h 30 dans le carré n°15 du quartier Amkoundjara dans le 7ème arrondissement municipal. Ici, 5 personnes se sont regroupées au tour des agents recenseurs alors que l’équipe n’est pas encore au complet. Mais chacun rempli déjà la fiche de recensement. “Je suis venu me faire recenser pour pouvoir accomplir mon devoir civique. Je ne voudrais pas rater ma première fois”,  nous lance un nouveau majeur. Pendant que ce jeune attend, un homme plus âgé retire son acte de naissance et s’en va. Il refuse d’attendre l’installation de l’équipe et son dispositif d’enrôlement.

L’agent recenseur suppléante dudit bureau témoigne de la timidité avec laquelle l’opération se poursuit. “Au premier jour, nous n’avons enregistré que 33 personnes. Avec le temps, le chiffre croit mais lentement. Nous réalisons entre 40 à 50 enrôlements par jour. Il y a même de gens qui viennent remplir les fiches mais ne reviennent plus se faire enrôler”, raconte-t-elle, montrant les copies d’actes de naissance et des cartes nationales d’identité abandonnées ou oubliées depuis plusieurs jours. Dans le 6ème arrondissement, le superviseur, Oumar Ngarandi vient d’installer une équipe au carré 2 du quartier Moursal. L’agent s’inquiète du manque d’engouement des électeurs. L’équipe du carré 2 est installée vers 8 h. Mais pour une seconde visite vers 15 h, seul l’agent de la police municipale, adossé sur la chaise et bras croisés derrière la nuque, garde le kit d’enrôlement. Celui-ci nous renseigne que les agents recenseurs sont allés prier à la mosquée, et rentreront chez eux par la suite pour revenir le lendemain faute des gens à recenser. Une situation pareille s’observe auprès d’une autre équipe installée au bord de l’avenue Goukouni Weddeye, devant la maison du chef de carré 7 du même quartier. “Nous sommes à 30 personnes enrôlées depuis le matin. C’est pas mal ici pour notre premier jour. Dans les carrés précédents, il nous arrive de passer toute une journée sans enrôler quelqu’un. C’est la première fois que nous avons enregistré un aussi grand nombre”, témoigne l’agent recenseur.

Mobilités et caprices des machines

Les agents recenseurs sont mobiles. A N’Djamena, ils passent 2 à 4 jours surplace selon le planning et ce, en fonction des arrondissements. Ils ne sont pas faciles à retrouver. Pour les retrouver, ce sont les motos taximen qui nous servent de boussole. Et c’est dans ces croisades que  nous rencontrons un clandoman, Robert, au rond-point Hamama dans le 7ème arrondissement. Il dit n’avoir pas vu des agents recenseurs dans les alentours. Alors qu’il a déjà perdu sa carte d’électeur de 2015, celui-ci ne souhaite pas avoir une autre pour les prochains scrutins. “Ça ne m’intéresse plus, ils n’ont qu’à faire leur chose. Je ne peux pas aller perdre mon temps là-bas alors que je peux bien glaner de jetons ici”,  affirme le jeune chômeur sorti il y a un an du campus universitaire de Toukra.

A Diguel Angabo I dans le 8ème arrondissement, l’équipe de Moussa Adam dit avoir passé la première journée, rien qu’à installer les appareils et les jours suivants ont permis de s’adapter. Ici, le nombre des recensés est légèrement en hausse en comparaison aux autres quartiers et arrondissements. De 20 personnes au début, Moussa dit avoir enregistré ces derniers temps 60 à 80 personnes par jour. Mais son technicien déplore un mauvais repérage. Pour bien filmer, les tapis du chef de carré servent de rideaux. Malgré cela, certains appareils se plantent souvent. L’enrôlement se fait sur présentation de l’acte de naissance, de la carte nationale d’identité ou de la carte d’étudiant. Celui qui n’en a pas peut se faire enrôler en se présentant avec 2 témoins. “Il était prévu que les agents municipaux devraient être avec nous pour délivrer les actes de naissance surplace, mais ils ne sont pas encore là”, nous informe un agent recenseur.

Pour la plupart d’agents recenseurs, c’est un manque d’information ou de sensibilisation qui explique la faible mobilisation des potentiels électeurs. Dans certains cas, les messages de sensibilisation ayant précédé l’opération n’ont pas précisé quand exactement les agents recenseurs vont passer dans tel ou tel carré et en tel jour. Ce qui fait que certains, une fois informés de l’opération partent chez leur chef de carré mais trouvent que l’équipe a déjà changé de carré ou n’est pas encore arrivée dans le carré. D’autres sont même surpris d’entendre parler de recensement.

Désordre dans les provinces

Dans les provinces, que  des plaintes! “Les kits ont été déployés sur le terrain avec 4 jours de retard. En plus, ils sont en nombre insuffisant. Pour la ville de Doba par exemple, seulement 6 sur 29 kits fonctionnent. Dans les autres départements, parfois ce sont seulement 4 des 10 kits qui fonctionnent. En plus, avec les dernières pluies et plusieurs localités sont inaccessibles. Il y aussi moins d’engouement. Les gens se disent fatigués de voter pour le même résultat. Nous sommes en train de passer les messages de sensibilisation à la radio pour qu’il y ait plus d’engouement”, renseigne le président provincial du Cap-Sur au Logone oriental, Méshac Ngarsouledé. Les mêmes difficultés sont aussi rapportées dans le Mayo-Kebbi Ouest (Mko). Les localités comme la sous-préfecture de Lamé ou le département du Mayo Binder ont accueilli les agents recenseurs avec 5 jours de retard. Pour le président du parti Union des démocrates pour le développement et le progrès (Udp), Max Kemkoye, le Mko tout comme les communes du 6ème, 7ème et 9ème arrondissements de la ville de N’Djamena font partie des zones cibles du Mps. “Les équipes de la Céni ont reçu des instructions comme quoi, il faut commencer tard la révision du fichier électoral dans ces zones-là et simuler des pannes des machines ou des groupes électrogènes pour retarder les recensements s’il y a de l’affluence”, révèle Max Kemkoye, qui dénonce une révision sélective en faveur des militants du Mps. Il accuse aussi le Mps de déborder les limites en demandant à chaque membre de son Bureau politique national (Bpn), avec l’appui des cellules locales, de “coordonner les opérations de révision du fichier électoral dans les départements et transmettre les résultats quotidiennement au conseil provincial”, selon les termes d’une feuille de route relative à l’implication du parti dans l’opération de révision du fichier électoral signée du Secrétaire général, Mahamat Zen Bada le 14 septembre dernier.

Lanka Daba Armel et

Mitan Maxime, stagiaire