“Je ne suis pas un politicien du bar Mamira”

C’est un Félix Romadoumngar Nialbé très défensif qui reçoit NDJH dans ses bureaux de président national de l’Union pour le renouveau et la démocratie (Urd), au quartier Moursal dans le 6ème arrondissement. Le chef de file de l’opposition démocratique, par ailleurs président du Cadre national de dialogue politique (Cndp) fait le tour de l’actualité politique. Interview.

Dans la soirée du 4 nombre 2019, la garde rapprochée de votre collègue, le député Haroun Kabadi, président de l’Assemblée nationale, a administré deux balles mortelles au jeune Matéyan Bonheur, diplômé sans emploi. Comment réagissez-vous face à cet évènement macabre?

Je tiens à présenter, avant tout, mes sincères condoléances à la famille du défunt qui, après tant d’années de souffrance, a perdu la vie suite à un comportement barbare. C’est déplorable qu’un élu sensé être proche de la population se comporte de la sorte. Tout ceci est arrivé à cause du niveau de formation de nos agents de sécurité, qui affichent toujours une indiscipline dans toutes les circonstances. Vous constatez avec moi que ce n’est pas le premier cas que nous avons déploré dans ce pays. Deux cas d’assassinat devant la présidence de la République, plusieurs cas du côté de la présidence de l’Assemblée nationale et dans les recoins du pays. Il faut que le président de la République essaie de discipliner l’armée nationale. Aussi, la justice doit faire son travail.

A travers vous l’opposition démocratique préside le Cndp pour un mandat d’un an. Quelles sont les priorités?

La mission importante de ce mandat est de mettre en place des structures chargées de l’organisation et de la gestion des élections législatives en vue. Je peux vous assurer que ce travail avance bien. Il est vrai que les démembrements de la Céni ne sont pas totalement achevés; il reste entièrement la province du Tibesti où les démembrements de la Céni vont être installés cette semaine. Nous avons pris toutes les dispositions nécessaires, de concert avec le ministère de la Défense nationale, pour permettre l’installation de tous les démembrements du Tibesti. Plus important encore, les critères de représentation des partis politiques sont bien respectés.

Le plus grand défi au Cndp, c’est de parvenir à des décisions consensuelles sur des sujets d’intérêt politique. Comment gérez-vous les rapports de force en présence?

Effectivement le Cndp est composé de deux forces politiques aux intérêts divergents. Mais toutes deux sont conscientes de la nécessité d’aboutir à un consensus sur tous les sujets d’intérêt national. Au Cndp, les débats sont libres et le président a la mission d’aplanir, de concilier et de rapprocher les différents points de vue et d’en tirer une conclusion consensuelle. Cela signifie que chaque partie a intégré dans son intérêt certaines idées émises par l’autre partie. Il faut noter que nous finissons toujours nos débats par un vote dont le résultat nous permet d’avancer.

Par un communiqué de presse, la composante opposition au Cndp a exprimé son indignation sur la réduction par le gouvernement du nombre des députés à la prochaine législature, et réclame que la question soit débattue en plénière. Comment arrive-t-il qu’une décision politique aussi importante échappe au contrôle du Cndp?

Le gouvernement nous a envoyé un avant-projet de la loi organique fixant le nombre de sièges à la prochaine législature à 155. Maintenant, au niveau du Cndp, nous avons estimé que, par rapport au nombre actuel de la population et à l’augmentation des circonscriptions administratives, il fallait conséquemment augmenter le nombre des sièges à l’Assemblée nationale. Tenant compte de cela, nous avons fait un premier scénario sur le critère démographique qui ne colle pas avec la proposition du gouvernement. Nous avons fait un deuxième et troisième scénario, respectivement, à 171 et 193 sièges, incluant les sièges réservés à la diaspora. Mais quand le président de la République nous a reçus, il a rejeté nos propositions.

Qu’a-t-il dit pour justifier ce rejet?

Il voulait qu’on s’en tienne aux 155 sièges. Mais après un long débat, il a fait une toute petite concession en ajoutant 6 sièges. Ce qui ramène à 161 sièges.

N’est-ce pas un paradoxe de créer des unités administratives et en même temps réduire le nombre des députés à l’Assemblée nationale?

Sa raison était d’ordre financier. Peut-être parce que notre audience était programmée juste après la réunion sur les régies financières et que le président de la République est sans doute sorti de là avec des chiffres alarmants à la tête.

…Et maintenant l’opposition que vous représentez n’est pas d’accord avec la volonté du président de la République. Que dites-vous en tant que chef?

La vie appartient à ceux qui luttent. J’ai déjà signé un communiqué pour dire que la composante opposition ne se reconnaît pas dans cette décision.

Mais vous étiez face au chef de l’Etat. N’est-ce pas une occasion pour le chef de l’opposition de présenter les arguments de sa composante?

J’ai fait ce que je pouvais faire (rire à gorge déployée).

Composition de la Céni et de ses démembrements jusque-là contestée, la révision du code électoral et la réduction du nombre des députés, aussi. Comment votre équipe entend gérer toutes ces contestations qui risquent de tordre le cou au processus électoral?

La Céni mère était mise sur pied avant que je ne sois à la tête du Cndp. Mais aujourd’hui que je suis chef de l’opposition et président du Cndp, je constate que ceux qu’on soupçonne à la Céni font mieux leur travail que ceux qu’on accepte.

Vous croyez vraiment?

Je vous assure que certains délégués des partis politiques qu’on accuse d’être de mèche avec le pouvoir font bien leur travail et je tiens à les féliciter. Je dirais même que cette Céni travaille au profit de l’opposition. En ce qui concerne les démembrements, certains partis politiques, contrairement à ce que vous qualifiez de contestation, regrettent leur absence à cause de leur propre turpitude. Ce sont les partis politiques qui ont refusé de déposer leurs listes parce qu’ils soutenaient Saleh Kebzabo contre Félix. Et aujourd’hui, certains interprètent leur non représentation dans les démembrements de la Céni comme un règlement de compte de ma part. Si je devrais régler le compte à quelqu’un, ce serait à Saleh Kebzabo. Mais jusqu’à preuve du contraire, son parti politique est le mieux représenté dans les démembrements de la Céni.

Vous communiquez très peu depuis que vous êtes à la tête de l’opposition politique, alors que l’opinion reste suspendue à vos lèvres sur certains sujets. S’agit-il d’une stratégie politique ou d’une attitude personnelle?

Contrairement à ce que vous dites, je crois que je parle beaucoup depuis que je suis devenu président du Cndp et chef de l’opposition. Un journal de la place m’a même critiqué pour mes sorties médiatiques répétitives. La réaction de la population est aussi normale, parce que quand certains journaux, radios privées et les réseaux sociaux se sont mis à mal parler de moi, d’aucuns voudraient bien que je réagisse.

Mais sachez que je ne peux pas répondre à des âneries de quelqu’un qui quitte le bar Mamira et appelle un journaliste qui n’hésite pas à lui tendre le micro pour me critiquer. Je ne suis pas un politicien du bar Mamira. Vous savez que notre opposition n’est pas une opposition responsable. Mais j’ai appris que l’arme la plus forte en politique c’est la discussion et la discrétion. C’est ce que j’ai appris aux pieds des grands hommes politiques qui nous ont précédés.  Ce ne sont pas les bruits que les gens font à la Fm Liberté ou à la radio Oxygène qui vont faire d’eux des personnes mieux placées que moi.  L’opposition de “m’as-tu vu” ne gagne pas.

Félix est-il une marionnette du pouvoir placée pour amnésier l’opposition politique dans ces actions de revendications?

Certains qui ne seront même pas des députés dans ce pays ont dit que je suis sorti de nulle part, alors que j’ai été élu trois fois député. Je viens de citer les points que j’ai marqués à la tête de l’opposition et du Cndp. Une marionnette ne peut pas faire tout cela en un temps aussi court. La lutte politique ne se résume pas au partage de deux ou trois bouteilles de bière. Il faut plutôt avoir de bonnes idées et être serein. Je vous assure que l’actuelle composante de l’opposition au Cndp a gagné plus que l’ancienne, avec Félix à sa tête. Je vous donne un exemple, celui du mode de scrutin à deux tours et à la caution à la présidentielle de 25 millions francs CFA adoptés par l’Assemblée nationale dans le code électoral. Ce que nous avons trouvé discriminatoire pour une opposition démunie. Nous avons écrit au président de la République qui a fini par prendre en compte notre demande. Tout est revu au profit de l’opposition. C’est pour vous dire que nous sommes sur un terrain de lutte politique où tout se négocie.

Quel est l’état de vos relations avec le député Saleh Kebzabo, l’ancien chef de file de l’opposition?

Je devrais être chef de l’opposition depuis 2016, quand l’ancien Premier ministre, Pahimi Padacké Albert, a subtilisé un député de l’Undr de Saleh Kebzabo. Ce qui a mis l’Undr et l’Urd à égalité. Le bureau de mon parti Urd m’avait automatiquement demandé de poser le problème du titre de chef de file, mais j’avais dit que je ne peux pas bousculer Saleh Kebzabo et le titre ne m’enchante pas. Encore, en 2019, un de ses députés a démissionné, ramenant leur nombre à 7 contre 8. Le groupe parlementaire Urd est resté constant. Le bureau de l’Assemblée nationale s’en est saisi. Mais sachant que le problème allait entacher nos relations, je suis allé très rapidement auprès de mon frère Saleh pour lui donner mon point de vue, afin d’éviter que ceux qui ne savent que diviser les autres dans ce pays-là ne nous atteignent. On allait en venir au pire si je faisais trop de bruit. Aujourd’hui, nos rapports personnels restent les mêmes qu’avant. Sur le plan politique nous nous sommes rencontrés avec lui et il ne reste que quelques détails à régler et tout va redevenir normal.

Le parti politique, les Transformateurs de votre jeune compatriote, Succès Masra, est toujours qualifié d’illégal par le gouvernement et certains responsables du parti au pouvoir. En tant que le chef de file de l’opposition, que dites-vous?

Nous nous sommes certes rencontrés avec le jeune frère Masra Succès sans aller au fond du problème. Mais j’entends le rencontrer à nouveau pour discuter de façon sincère afin de me prononcer publiquement sur son cas. Déjà, sachez que je suis de ceux qui luttent pour le changement par les jeunes. Ce sont eux qui sont nos successeurs. Et, sur cette lancée, je demande à l’opposition de rester soudée autour de nos valeurs. Nous gagnerons mieux dans une unité d’action.

Interview réalisée par

Alladoum leh-Ngarhoulem G.