Djékourninga Kaoutar Lazare vient une fois de plus de plonger sa plume dans l’encrier. Il publie l’œuvre littéraire (roman) titré “l’Empire de la soif” paru aux éditions Toumaï. La Une présente des femmes en train d’aller se ravitailler d’eau au fleuve, pendant que des fillettes juchées sur des ânes font le sens inverse, après avoir rempli leurs gourdes. L’auteur en parle au cours de cet entretien.
Avant de le lire, j’aimerais assouvir quelques curiosités avant d’entrer dans le cœur du roman. Il comporte combien de pages ? Qu’est-ce qui a inspiré le choix des mots empire et soif, pour les lier à l’image de ces femmes à la quête d’une pitance qui semble rare dans leur contrée ?
Le roman comporte 90 pages. Je suis inspiré par les mots empire et soif parce que je relève d’une contrée : le canton Miladi (province du Logone occidental) où il est difficile de trouver de l’eau. Les femmes, les filles et les jeunes parcourent près de 30 km en aller et retour pour chercher de l’eau dans la Nya qui est un cours d’eau.
L’empire, pourquoi ? Parce que ce mot qui m’a inspiré est défini comme une entité administrative, ayant sous son autorité des états et/ou territoires. Cette organisation administrative est toujours crainte, parce qu’elle sévit. Prenez l’exemple de l’empire français qui regroupait les territoires d’Outre-mer, du Pacifique, des Caraïbes et des Antilles. Et l’Empire de la soif, pourquoi ? Parce que dans la contrée de Béndoh, qui fait l’objet de roman, trouver de l’eau à boire est vraiment pénible. Surtout, de janvier à avril, l’eau est rare et la soif sévit dans la zone. Il arrive que pour s’approvisionner en eau, les habitants de Béndoh à partir du mois de septembre, font des provisions d’eau dans des jarres qu’ils enfouissent dans le sol. Cette eau ne sera utilisée qu’à partir de mars à mai. Voilà ce qui m’a inspiré à écrire ce roman, et lui donner le titre de l’Empire de la soif, parce que la soif sévit et le besoin de l’eau est vraiment extrême.
Quelle est la problématique qui est au cœur du roman, et quels sont les personnages mis en exergue ?
La problématique est que nos femmes et nos hommes politiques ne connaissent pas les réalités du terroir, c’est-à-dire les besoins fondamentaux de nos populations. Lors des différentes campagnes (présidentielles, législatives, etc.), ces hommes et femmes politiques arrivent dans les villages et font de belles promesses aux populations. Si vous m’élisez je vais vous construire des écoles, des routes, des hôpitaux, etc. sans tenir compte des besoins réels et élémentaires des populations. A Béndoh, ce sont ces chansons qui sont distillées comme messages à chaque campagne. Lors de la dernière campagne, quand ils sont arrivés à Béndoh, ils voudraient créer une sous-préfecture. L’information étant donnée aux chefs de canton et des villages, qui l’ont transmise à la population. Celle-ci a dit non. Notre besoin élémentaire ce n’est pas une sous-préfecture, mais c’est avoir de l’eau à boire. Ce qui a valu aux chefs des villages et chef de canton, une convocation chez le sous-préfet, qui les a sermonnés à accepter cette promesse fallacieuse. Les habitants desdits villages ont dit non, parce que pour construire le bureau du sous-préfet et sa résidence, il faut des briques et pour les fabriquer, il faut de l’eau. Où va-t-on trouver de l’eau, ont-ils posé la question. Et en plus, pour cuire les briques, il faut du bois ou du charbon de bois, or il est interdit de couper les arbres, comment allons-nous faire a été leur deuxième question. Donc ils disent que leur besoin immédiat c’est d’avoir un puits d’eau et non une sous-préfecture.
Aujourd’hui avec le recul, comment expliquez-vous le fait que l’électeur ne retienne toujours pas que les promesses électorales ne sont que des leurres ?
Un adage de chez nous dit, la femme oublie toujours les douloureux jours de l’enfantement, parce que quand l’enfant commence par marcher, elle éprouve encore le besoin d’en avoir un autre. Chaque fois la population oublie et retombe dans les mêmes erreurs. Donc, je voudrais à travers ce roman, faire comprendre aux électeurs, surtout au chef de canton et chefs des villages qui sont élus par leur population. Qu’ils doivent être à l’écoute de leur population, et non se soumettre aveuglément aux décisions des autorités administratives locales, qui elles-mêmes ne sont que des auxiliaires de l’administration centrale. Le chef de canton et les chefs des villages doivent s’affirmer, puisqu’ils sont également un maillon de la chaîne administrative, et que les électeurs doivent faire très attention pour ne pas tomber dans les travers des promesses fallacieuses.
Pourquoi avoir choisi de l’écrire maintenant, et peut-on interpréter le mot soif autrement que le sens donné dans le roman ?
Je l’écris maintenant parce que le problème de l’eau ne se pose pas seulement à Béndoh, mais un peu partout au Tchad. Quand on prend à partir de N’Djaména vers le nord du pays, et même à Amdjarass que les autorités ambitionnent de faire la capitale du Tchad, il n’y a pas d’eau. Les gens parcourent près de 500 km pour aller chercher de l’eau, donc le besoin immédiat c’est d’avoir de l’eau.
Je voudrais attirer l’attention de nos gouvernants sur cette question, et la soif au Tchad est multiforme. La soif de la paix, de la vérité, de la justice, de la solidarité nationale, du bon vivre ensemble, bref, elle est multiple au Tchad. Il nous faut faire des efforts pour circonscrire ces différentes soifs dans notre pays.
Apparemment, vous avez à cœur un message à transmettre, c’est lequel ?
Le message est ceci. Gouverner, c’est être à l’écoute de la population et aider les populations à subvenir à leur besoin élémentaire. C’est-à-dire avoir la nourriture, l’éducation, la formation professionnelle, un abri, se soigner, un emploi. C’est ce qui doit être le leitmotiv de nos gouvernants qui transparaît dans ce roman.
Vous n’êtes pas à votre première œuvre. Peut-on faire le compte de vos ouvrages à ce jour ?
J’ai déjà produit 2 romans, 2 pièces de théâtre, un autre qui est un mélange du genre littéraire intitulé “Nostalgie” où on peut trouver les proverbes et dictons du milieu tchadien, un peu de fables et de poésie. Je suis toujours en train d’écrire, parce que je suis toujours inspiré. Peut-être que le jour où je vais arrêter, c’est quand Dieu va me rappeler auprès de lui. Il y a plusieurs sujets dans ce pays à partager avec les lecteurs et les gouvernants, c’est-à-dire comment faire pour avoir le minimum du bien-être social. C’est cela la préoccupation d’un écrivain que nous sommes.
Un dernier mot ?
Il y a des jeunes et ceux de second âge comme moi qui écrivent beaucoup ces 15 dernières années. Malheureusement, nous avons un faible lectorat, les gens ne lisent pas assez. Il appartient aux ministères de l’éducation nationale, celui de la culture, ainsi que de l’enseignement supérieur, d’aider les écrivains et d’aider la population à avoir accès aux livres. Parce que les livres coûtent trop chers au Tchad. Le mien ne fait que 90 pages mais coûte 5 000 francs CFA, parce que l’éditeur s’est sacrifié pour le vendre à ce prix. Mais trouver 5 000 francs CFA dans ce pays au moment où nous sommes, ce n’est pas facile. Il est souhaitable que ces ministères cités ci-haut aident la chaîne du livre, à partir des écrivains, libraires, éditeurs et autres pour rendre les livres accessibles. On ne peut puiser le savoir-faire et le savoir-être que dans le livre, et il faut donner le goût de la lecture aux jeunes. Il est bien vrai que le gouvernement a fait un peu d’efforts en créant les Centres de lecture et d’animation culturelle (Clac) à travers le pays, mais il faut les approvisionner en livres et les sécuriser afin qu’on ne les emporte pas.
Entretien réalisé par Roy Moussa