La constitution des contradictions flagrantes

Le Tchad a entrepris des réformes conduisant à l’adoption de la nouvelle Constitution appelée “Constitution de la 4ème République”,  laquelle contient des contradictions lorsqu’on parcourt certains de ses articles.

Il est souvent reproché aux législateurs africains de faire du mimétisme quand ils définissent leurs propres textes, en copiant les textes des ex puissances coloniales trop souvent éloignés des réalités africaines. Ce qui provoque des difficultés dans leur mise en application.

C’est peut être fort de ces reproches que bon nombre des Etats africains s’efforcent de forger les règles qui prennent en compte les réalités locales. C’est le cas du Tchad, qui a entrepris des réformes conduisant à l’adoption de la nouvelle Constitution en 2018.

Mais rappelons tout d’abord que la procédure en droit est une exigence fondamentale de légalité d’une décision ou d’un acte. Utiliser une procédure irrégulière pour prendre une décision ou un acte conduit ipso facto à son annulation que les juges ne manquent pas à sanctionner. La constitution de la 4ème République est l’œuvre d’un forum qui se présente comme pâle copie d’une conférence nationale, pour répéter l’exercice des années 90 avec la conférence nationale souveraine de 1993, puis elle fut définitivement adoptée par l’Assemblée nationale.

Mais le problème c’est que cette Assemblée nationale, élue en 2011, a terminé son mandat depuis juin 2015. Depuis lors, elle n’est pas renouvelée pour avoir la légitimité de réviser une constitution. Même si elle continue à bénéficier de la légalité jusqu’à l’installation de la prochaine Assemblée, elle est dénuée de toute légitimité politique. Il est aussi vrai que le parlement est un constituant dérivé avec des pouvoirs de révision à certains articles seulement de la constitution. Elle ne peut et  surtout ne jamais réviser toute la constitution et introduire de nouvelles dispositions sans se référer au constituant originel qui est le peuple. Car la constitution est le contrat social que se donne un peuple et c’est aux citoyens, par leur vote souverain, de décider de la règle fondamentale contenant des valeurs, des principes et des institutions devant régir leur vie.

Quoiqu’il en soit, il ne s’agit que d’une grossière violation de la procédure de faire adopter une constitution qui est la loi fondamentale par une assemblée nationale dont le mandat est expiré mais prolongé par une simple décision du chef de l’Etat. Olivier DUHAMEL ne disait-il pas que “le pouvoir constituant est « institué » ou « dérivé » lorsqu’il intervient dans un contexte de continuité constitutionnelle, soit par amendement de la constitution en vigueur, soit par révision d’ensemble mais conformément à la procédure par elle établie  et en faisant appel aux organes qui ont été constitutionnellement habilités à réviser la constitution”.

Ainsi, on peut dire que c’est à dessein de priver les citoyens tchadiens de leur souveraineté. Sinon rien ne peut justifier le contournement de véritables titulaires de la souveraineté que sont les citoyens tchadiens pour élaborer ou adopter une constitution. Le gouvernement devrait prendre la voix des citoyens en compte.

Alors la question qu’on peut se poser est la suivante: pourquoi le pouvoir tchadien actuel, qui a connu l’exercice du référendum en 1996 avec l’adoption de la constitution découlant des résolutions de la Conférence nationale souveraine et sa modification toujours par référendum en 2005 pour supprimer la limitation des mandats présidentiels à deux exercices, a évité cette fois-ci le référendum pour emprunter la voie du parlement pour faire adopter une nouvelle constitution instaurant une nouvelle République? Y a-t-il urgence ou péril en la demeure?

Puisque les prometteurs de cette nouvelle République n’ont démontré les raisons objectives ou subjectives pour son instauration t du procédé de son adoption?

Des principes fondamentaux violés

La Constitution de la 4ème République reprend certaines valeurs, principes et institutions contenus dans les précédents textes à valeur constitutionnelle.

Depuis son indépendance, le Tchad a opté pour la laïcité et la liberté des cultes. La Constitution de la 4ème République reprend la même valeur ou le même principe mais instaure par ailleurs la prestation des serments confessionnels pour les titulaires des charges publiques. Ne s’agit-il pas d’une violation flagrante des droits fondamentaux du citoyen quant à la liberté des cultes? Comment ne pas relever cette contradiction flagrante d’avec le principe de la laïcité de la République que réaffirme la constitution elle-même? Cette question de laïcité ne se limite pas seulement à une simple contradiction juridique du texte constitutionnel mais elle prend une envergure nationale et touche le vivre ensemble des tchadiens dans un pays catégorisé et caractérisé par deux blocs: un Nord de culture arabo-musulmane et un Sud de culture négro-africain, chrétien et surtout animiste, où survivent les religions traditionnelles. Dans ce contexte particulier, la laïcité est une valeur pour le vivre ensemble des tchadiens et le fondement de l’unité nationale. Alors pourquoi vouloir innover en fragilisant ou en mettant en doute le vivre ensemble?

Outre ce point fondamental sur la laïcité, il y a la suppression  de certaines institutions, telles que la Haute de cour de justice, la primature, la cour des comptes, le conseil constitutionnel qui sont dilués dans la cour suprême et réduits en simples chambres. Pourtant depuis 1990, le Tchad a toujours connu un exécutif bicéphale avec un président de la République et un premier ministre, chef du gouvernement, responsable devant le parlement. En faisant du chef de l’Etat, président de la République et chef du gouvernement, la constitution de la 4ème République a consacré une concentration des pouvoirs justifiants le qualificatif d’un totalitarisme républicain. Le régime actuel qui est qualifié par certains analystes politiques d’un régime dénué de toute légitimité démocratique populaire, comme tous les régimes découlant des violences politico-militaires, doit bien évaluer les conséquences démocratiques ne serait-ce qu’au point de vue théorique et surtout à son image et à sa reconnaissance internationale comme faisant partie des Etats en apprentissage démocratique.

Désormais au Tchad, sous la 4ème République, l’exécutif n’est pas soumis au contrôle parlementaire, surtout que le président de la République supposé élu au suffrage universel ne peut être responsable devant le parlement qui est aussi issu du même suffrage.

“Il n’y a pas d’autorité supérieure à la nation”

Sur le point des innovations, la Constitution de la 4ème République instaure un Haut conseil des autorités traditionnelles et des collectivités autonomes. Sur la forme, on peut être tenté de croire que le Tchad innove en se ressourçant de ses traditions et cultures pour construire la modernité, en tenant compte de ses réalités pour se projeter dans le futur. Malheureusement, le Tchad ne peut vivre en autarcie et ignorer l’évolution d’une l’humanité gouvernée par les droits humains. Où se situe donc l’option républicaine et citoyenne préservée depuis son choix en 1958?

Le Tchadien qui est un individu en transformation citoyenne demeure-t-il sujet de sa chefferie valorisée par l’Etat ou aspire-t-il à la citoyenneté qui procure des droits et devoirs? A ce niveau, l’on se demande si le Tchad est une république, une monarchie ou une monarchie républicaine?

Au-delà de simple joute oratoire ou des commentaires journalistiques, la constitution de la 4ème République pose un véritable défi à tous les juristes et constitutionnalistes de tous les bords.

Car il s’agit de la volonté d’un seul homme en l’occurrence, le président de la République qui a conduit aux réformes entreprises.

Plus grave encore, la Constitution de la 4ème République n’est pas une modification de l’ancienne. Il s’agit bel et bien une nouvelle constitution. Alors comment parler d’une nouvelle constitution pour un Etat qui ne connaît pas une révolution ou qui ne vient pas de naître? Pourtant, on sait qu’une nouvelle constitution intervient soit à la suite d’une révolution ou soit à la suite d’un renversement d’un régime en place ou encore lorsqu’il y a naissance d’un nouvel Etat.

En réalité, le problème du peuple tchadien n’est pas dû à l’existence des institutions mises en place par l’ancienne constitution. Il s’agit tout simplement de l’irrespect de cette loi fondamentale qui, selon les initiateurs, ne donne pas assez de pouvoirs au président, Barack Obama, a déclaré lors de sa première visite en terre africaine que “l’Afrique n’a pas besoin des hommes forts mais plutôt des institutions fortes”.

Ainsi, par l’adoption aux forceps de la nouvelle constitution, le pouvoir en place confirme qu’il n’est pas l’émanation du peuple.

Charles Karyo,Doctorant en Droit public