La détention de Succès Masra embrase l’opinion

Depuis le 16 mai, date de l’arrestation de l’ancien Premier ministre Succès Masra le 16 mai, le climat politique s’est considérablement tendu. Militants, figures de l’opposition et simples citoyens occupent nuit et jour le siège du parti Les Transformateurs. Ils exigent la libération immédiate de leur leader. L’affaire, qualifiée par certains de “kidnapping politique”, alimente une vive indignation au sein de l’opinion publique.

La façade du siège des Transformateurs ne désemplit pas. Depuis plus d’une semaine, une foule bigarrée constituée d’hommes, de femmes et d’enfants s’y relaie sans relâche, dans un ballet incessant de chants, de slogans et de banderoles. Un seul mot d’ordre : “Libérez Masra !”, scandent-ils. Pour beaucoup, l’arrestation du président du parti Les Transformateurs n’a aucun fondement légal. “Rien ne justifie sa détention pour l’instant. C’est illégal et nous n’allons pas nous laisser faire, lance d’un ton dur, une militante d’une quarantaine d’années, les yeux brûlants de détermination. Dans les rangs des sympathisants, la colère se perçoit. Mbaïgolmen Arnaud, visiblement indigné, parle d’un acte orchestré. “Ce n’est ni une arrestation, ni une interpellation, encore moins une procédure judiciaire. C’est un kidnapping qui ressemble aux enlèvements contre rançon. Et ici, la rançon, c’est la popularité et la clarté du leader des Transformateurs”, souligne-t-il. Il poursuit en évoquant la première interpellation du chef de l’opposition. “Comment une police peut-elle enlever un citoyen en pleine nuit, sans situation d’urgence, et prétendre qu’il s’agit d’une procédure judiciaire régulière ?”, interroge-t-il.

 

Le siège du parti et le numérique à l’unisson

Sur les réseaux sociaux, les réactions sont tout aussi virulentes. De nombreux internautes dénoncent une cabale politique. Plusieurs estiment que cette arrestation n’est qu’une tentative de bâillonner une voix gênante dans le paysage politique tchadien.

L’opposition parle de dérive autoritaire. Le Groupe de concertation des acteurs politiques (Gcap), qui regroupe plusieurs formations d’opposition estime pour sa part que cette interpellation symbolise le degré de déliquescence du régime en place. Dans un communiqué lapidaire, le Gcap dénonce une “kakistocratie assumée”. Selon eux, la gestion actuelle du pays devient une parodie de démocratie. Max Kemkoye, président de l’Union des démocrates pour le développement et le progrès (Udp), a tenu un discours sans concession. “En politique, quand on veut affronter un adversaire, on le fait selon les règles du jeu. Frapper en dessous de la ceinture, c’est reconnaître qu’on redoute le combat loyal. Et la peur, en politique, est toujours mauvaise conseillère”, clame-t-il avant de poursuivre que “le Tchad est un État de droit tout en traitant un accusé comme un condamné, en foulant aux pieds les règles élémentaires de procédure. C’est inacceptable”.

Même tonalité dans le camp du parti Convention du peuple pour l’indépendance intégrale (Cpi). Dans un communiqué de presse publié sur ses plateformes, la Cpi évoque une “chasse aux opposants” et appelle à une mobilisation nationale pour “mettre fin à ces dérives inquiétantes qui rappellent les heures sombres de la répression politique au Tchad”.

En dépit de tout, cette affaire ravive les plaies du passé. Bien que d’ordre judiciaire, selon les autorités, la situation actuelle n’est pas sans rappeler les douloureux événements du 20 octobre 2022 qui avaient coûté la vie à plusieurs centaines de Tchadiens. Malgré les multiples appels à l’apaisement émis par diverses parties, le gouvernement semble maintenir sa position, qualifiant les faits reprochés à Succès Masra de “graves”, sans qu’aucune décision de justice définitive n’ait encore été rendue. Dans l’attente de sa comparution devant un juge, le leader des Transformateurs reste en détention préventive. Par ailleurs, le collectif d’avocats français qui souhaitait se joindre à la défense a vu sa participation rejetée par les autorités qui estiment qu’il s’agit d’une affaire strictement nationale. Une position que conteste vigoureusement le collectif des avocats tchadiens, rappelant que tout justiciable a le droit de choisir librement ses conseils, conformément à la loi.

Dans ce contexte tendu, nombreux sont ceux qui appellent à un strict respect de la procédure judiciaire, seul gage de crédibilité pour les institutions républicaines.

Lissoubo Olivier Hinhoulné