Le Dar-Billiat crée ses propres lois

Après l’accord dit de Koumra signé entre les chefs traditionnels et les leaders religieux sous l’égide de l’ex-gouverneur du Mandoul, le 15 octobre 2021, puis annulé par le ministère de l’Administration du territoire, le Dar-Billiat lui, crée ses propres lois en fixant les règles des règlements des conflits dans son ressort territorial par une décision signée le 6 décembre 2021 par le sultan Sidick Timan Déby.

Cette partie du Tchad est-elle au-dessus des lois de la République ? Sinon, il est inconcevable qu’un sultanat se permette de sortir une décision connexe à tous les dispositifs juridiques mis en place par la justice, l’un des trois pouvoirs d’une République. Cette décision veut simplement dire à la justice : “écarte-toi et laisse le Dar-Billiat se gérer. On s’en fou de vos lois”.

Dans cette décision d’Amdjarass, le Sultan Sidick Timan Déby et 40 de ses chefs de cantons et groupements se sont arrogés tout ce qui relève du pouvoir judiciaire, précisément le Code pénal pour ainsi fixer les réparations en cas de conflit dans le sultanat. Pour eux, se contenter de leurs prérogatives de veiller à la protection du patrimoine coutumier et traditionnel n’est pas suffisant.

Du vol en passant par l’adultère, le viol sur mineur, le meurtre, l’accident, le mariage et le divorce, etc. les règlements vont de 500 000 à 1 000 000 francs CFA. La dia (prix du sang) va jusqu’à 100 têtes de dromadaires et les peines varient selon les cas, d’un à dix ans.

 

Contenu de la décision

La décision stipule qu’en cas de vol, le voleur purge une peine d’emprisonnement ferme de 5 ans et sera déféré à la prison de haute sécurité de Koro-Toro. Des dommages de 300% sont à verser au plaignant et une amende de 500 000 francs CFA au ministère public. Et, s’il y a meurtre au cours de la poursuite du voleur, le tueur verse obligatoirement la dia.

En ce qui concerne le délit d’adultère, le coupable purge une peine d’un an ferme et paye 1 000 000 de francs CFA d’amende. Il restitue aussi toutes les dépenses du plaignant. La femme est soumise à un test de dépistage du Vih/Sida et si le test s’avère positif, l’accusé paie la dia.

Quant au cas de viol sur mineur, l’accusé doit payer la dot de la fille ainsi les dépenses des parents. Il purge une peine de 2 ans d’emprisonnement ferme, verse une amende de 1 000 000 francs CFA et la fille est soumise à un test de dépistage selon les mêmes procédures que pour le délit d’adultère.

Au sujet du meurtre, le sultanat de Dar-Billiat condamne le coupable à une peine d’emprisonnement ferme de dix ans. Il lui est exigé une dia de 100 têtes de dromadaires et le remboursement de toutes les dépenses effectuées par le plaignant.

Les accidents. Nuance est faite, selon les cas. Si c’est par générosité qu’un conducteur embarque une personne et qu’en cours de route survient un accident, il n’y a pas de dia à payer. Mais il faudra vérifier si le chauffeur est saint d’esprit, s’il n’est pas saoulard ou consommateur des stupéfiants ou encore un mauvais conducteur. Et si tel n’est pas le cas, il doit s’acquitter la dia et des dépenses effectuées.

Le dernier point de la décision relative au mariage et au divorce donne le plein droit à une femme divorcée de se marier à une personne de son choix, si et seulement si c’est le mari qui en a fait la demande. Dans ce cas précis, l’époux n’a aucun droit de réclamer ses dépenses. Cependant, si le divorce émane de la femme, elle verse la totalité des dépenses de celui qu’il convient désormais d’appeler son ex-mari. Une veuve est libre de se marier à une personne de son choix.

Tels sont les points saillants qui résultent de la décision du sultanat du Dar-Billiat. Les réseaux sociaux s’en sont saisie et en ont fait une large diffusion la semaine dernière. Bon nombre de citoyens la qualifient d’une insulte au gouvernement. D’autres par contre, y voient en cette phase des préparatifs du dialogue national, des prémices d’une mise en œuvre du fédéralisme au Tchad.

 

Réaction du ministère de l’Administration du territoire

Dans une note adressée au gouverneur de la province de l’Ennedi Est le 7 janvier, le ministre de l’Administration du  territoire et de la décentralisation regrette que le sultan du Dar-Billiat ait outrepassé ses compétences. “C’est avec un regret que nous avons constaté que le Sultan du Dar-Billiat a outrepassé ses compétences et crée la confusion entre les us et coutumes et les lois de la République notamment le Code pénal”, écrit le ministre. Au lieu d’instruire, le ministre Mahamat Béchir Chérif “invite” plutôt le gouverneur de bien vouloir procéder à l’annulation de cet acte dans tous ses effets.

Répondant à “l’invitation” de son chef de département, le gouverneur de l’Ennedi Est, le général Issaka Malloua Djamous prend un arrêté pour annuler la décision du sultan de Dar-Billiat dans toutes ses dispositions. Il a aussi pris une note de service pour avertir le sultan pour prise de décision et d’acte contraire à la législation en vigueur.

Manifestement, le sultanat créé par feu Déby Itno n’a rien appris de l’accord de Koumra qui a emporté la gouverneure Diamra Bétolngar. “C’est un autre monde là-bas. La justice n’y existe que de nom. Ce sont les chefs de cantons et chefs religieux qui prennent les décisions de justice. Le procureur n’a pas le droit de se saisir d’office d’une affaire, moins encore un juge prononcer une sanction sans l’accord des chefs de cantons”, témoigne un ancien procureur de ladite province.

Minnamou Djobsou Ezéchiel