Le Mps, ce redoutable mouvement armé

Que retenir de la politique tchadienne en 2024 ? Eh bien “c’est le Mouvement patriotique du salut, secoué par la mort du président Idriss Déby Itno qui a gagné, de toutes les manières”, résumerait un observateur de la scène politique tchadienne. Le Mps s’est royalement remis en place et rien ne lui résiste. L’opposition, elle dont la grande partie a suivi la direction du vent, a une fois encore échoué.

Le prochain parlement a une connotation très douce, donc monocolore. C’est à l’image de ce que nous avions vécu avec les décrétés conseillers nationaux de transition durant les 3 ans et quelques mois, avec plus de 100 textes approuvés comme lettre à la poste. Presque tous, maintiennent leur place à l’issue des législatives et des locales qui ressemblent beaucoup plus à une sélection qu’aux élections. Le Mouvement patriotique du salut (Mps) et ses alliés se sont accaparés pratiquement de tous les sièges à la future Assemblée nationale ; et puisque l’opposition dont la plus grande partie s’est fondue dans la masse des laudateurs contre des strapontins, à défaut de s’imposer, s’est contentée de boycotter ces élections.

Ainsi, le Mps a repris totalement le contrôle du pays. Il entre triomphalement dans cette nouvelle année 2025 avec tous les leviers du pouvoir pour continuer sa gouvernance calamiteuse qui dure depuis trois décennies et contre laquelle des partis politiques sont nés pour, dit-on, lutter de l’intérieur pour apporter le changement. Mais subitement, des acteurs majeurs de la politique tchadienne, ont tourné casaque. Ils ont plutôt suivi “la direction du vent”, ou encore compris que la politique c’est la “mangeocratie” comme dirait un vétéran de la politique tchadienne. Et ce vent les a conduits à soutenir la transition en prétextant y entrer pour “changer les choses de l’intérieur”. Mais à défaut de changer les choses de l’intérieur pour le bénéfice de l’intérêt général, donc des populations qui subissent les difficiles conditions d’existence, conséquences d’une mauvaise gouvernance du Mps depuis sa prise de pouvoir, ces acteurs politiques ont quand même changé leur vie. Mieux, ils sont venus renforcer la dynamique du Mps et s’alignent désormais derrière le bourreau pour sévir. Ils ne sentent pas les difficultés des populations. Ils sont sourds-muets à leurs préoccupations.

Le problème de la vie chère qui n’a que trop duré ; la mauvaise qualité des soins, l’éducation qui va à vau-l’eau, les infrastructures en constante dégradation, le chômage massif des jeunes, les coûts de transport excessifs, etc. ne sont pas leur dada. Ils ont suffisamment de moyens pour les endurer. Et, tant qu’eux et les leurs vivent bien, c’est l’essentiel de la bonne gouvernance sous nos cieux où la politique devient un moyen d’insertion sociale. Et quand le peuple crie, eux aussi crient à la manipulation de ce dernier par des officines. Dès lors, ils interdisent systématiquement toute manifestation. Ils activent la machine de répression, font taire toutes les voix discordantes. Aujourd’hui, ceux des partis politiques ou les acteurs qu’il convient d’appeler opposants dissuadés par les événements du 20 octobre 2022, n’osent plus mobiliser leurs militants ou les citoyens à exercer leur droit, celui de manifester. Ils n’ont que de déclarations qui ne sont pas d’ailleurs audibles comme actions politiques.

 

Quel bilan en politique ?

L’or, l’argent et l’armée appartiennent au Mps. En un mot, c’est le Mps qui a gagné. Le chien a aboyé, mais le Mps est passé comme toujours. Qui peut lui résister ? Ce redoutable mouvement politique qui s’est emparé du pouvoir en 1990 par un coup de force pour, dit-on, apporter la fameuse démocratie, n’a jamais oublié ses tendances belliqueuses pour gouverner depuis lors. En tant que régime, il a su construire une armée absolument clanique qui garantit son maintien au pouvoir. Décidément, sans coup de force, l’alternance au pouvoir ne sera qu’un vœu pieux. Et cela, les militants du Mps le démontrent à tout bout de champ, même lors de la célébration des résultats de la récente présidentielle. Beaucoup sont les acteurs politiques majeurs sur qui le destin du changement pouvait se reposer, qui ont compris la réalité. Ils ont profité de la mort du président Idriss Déby Itno pour plier armes et bagages pour abandonner la lutte pour le changement tant attendu par le peuple longtemps meurtri par une gouvernance d’exclusion, de répression, de corruption, de gabegie et de clientélisme dont s’est illustré pendant de longues années le pouvoir.

Grâce à cette politique de complaisance, de compromissions de ces acteurs, le Mps n’a pas eu peur de changer sa méthode de gouvernance. Il n’a pas, non plus, eu peur de perpétuer son système d’organisation des élections et de fabrication des résultats. Puisqu’il a réussi à avoir pratiquement tous les acteurs politiques de son côté. D’aucuns le soutiennent directement, d’autres ont eu le rôle d’opposants à jouer. Ainsi, des coalitions sont nées pour soutenir l’héritier du pouvoir et faire passer en force le référendum, la présidentielle et enfin les législatives et les locales.

Pour parler d’élection, il faudra désormais cinq ans plus tard. Mahamat Idriss Déby Itno et les siens peuvent dormir tranquillement sur leurs lauriers. Aujourd’hui où les actions de nos femmes et hommes politiques ont concouru à faire la volonté du clan au pouvoir au détriment de celle du peuple tchadien qui aspirait au changement, il faut se poser de petites questions. Puisque tout est absolument terminé par l’organisation et la proclamation des résultats des fameuses élections législatives et locales, qu’est-ce qui a véritablement changé en bien pour le bas peuple ? Ou de la manière dont les nouvelles institutions ont été mises en place et gérées, la gouvernance qui puisse apporter des solutions aux problèmes des tchadiens est-elle au rendez-vous ? Ou encore, le changement que clamaient ces acteurs sont-ils les strapontins dont ils ont pu bénéficier jusque-là ?

Ainsi, au-delà de la victoire du Mps qui a été secoué mais n’a pas bougé, au contraire, le parti à l’oriflamme guerrière s’est redynamisé grâce à ses nouveaux alliés. Il faut tirer les leçons sur la gouvernance de la République du Tchad s’il en est une encore. Quelle est donc l’importance d’aller aux élections face à un régime militaire qui s’impose par son armée ?

Nadjidoumdé D. Florent

Laisser un commentaire