Le Pnltad alerte sur la consommation du frelaté

La consommation du tabac et surtout des alcools frelatés au Tchad est critique, rapporte la Coordinatrice du programme national de lutte contre le tabac, l’alcool et la drogue (Pnltad), Dr Nénodji Mbaïro dans cet entretien.

Que peut-on retenir du bilan 2024 des actions menées par votre programme dans la lutte contre l’alcool frelaté, la drogue et le tabagisme ?

Votre question nécessite une analyse minutieuse de toutes nos activités. Mais on peut dire que le bilan est positif dans la mesure où la grande partie de nos activités prévues a été menée sur le terrain bien qu’on n’ait pas eu des appuis de nos partenaires, mais avec l’appui de notre partenaire technique et financier qui est le Fonds d’action anti-tabac africain (Topafa) et de notre de ministère de tutelle. Nos activités sont plus orientées sur la sensibilisation parce que pour nous, c’est la communication qui est capitale. En plus de cela, il faut avoir des données scientifiques pour permettre de mieux convaincre les partenaires. Lors des sensibilisations, nous avons plus mis l’accent sur les jeunes et les adolescents comme cibles avec des thèmes orientés sur l’interdiction et les conséquences de la cigarette et des alcools frelatés dans les lieux publics. Nous avons couvert plus de 100 établissements scolaires, y compris les universités, par des dessins de signalisation pour protéger et alerter comme zones de non-fumeurs. Selon la science, la cigarette contient plus de 4 000 particules et quand on fume dans des endroits clos, on libère les particules qui se déposent sur les objets tels que les bancs, murs, etc. et ça reste pendant des mois, voire des années et ces particules restent toujours toxiques. C’est la raison pour laquelle lors de nos passages en plus de ces implantations signalétiques, on informe ces enfants, adolescents, élèves, étudiants et même les enseignants de ne pas fumer dans ces lieux parce que ce sont des zones qui sont fréquentées tous les temps par nos enfants, nos jeunes qui peuvent facilement contracter ces différentes maladies liées à ces particules. Parallèlement à ça, nous les amenons également à comprendre que les frelatés sont des types d’alcools qui sont très toxiques avec une grande teneur en alcool pur de 40° présentée dans des petits sachets. Lors de nos échanges dans les établissements d’enseignement, nous nous rendons compte que même les petites filles de moins de 10 ans témoignent de leurs consommations sans se rendre compte qu’elles sont toxiques. Nous avons intensifié nos actions avec des points focaux.  Nous avons également formé d’autres répartis dans plusieurs établissements (écoles, lycées et universités). Ajoutée à ceux-là, la création de plus de 50 clubs dans des établissements et universités à N’Djaména pour permettre de faire le travail de continuité et de proximité auprès des autres avec des outils constitués des dépliants et affiches que nous avons mis en leurs dispositions avant notre arrivée. Il faut savoir que depuis que le programme a été créé, les données scientifiques qui ont été réalisées ont été plus dans le domaine du tabagisme, mais les autres types de drogues tels que l’alcool, le tramadol, etc. qui sont plus consommés par les enfants et les jeunes, n’ont pas de données scientifiques par manque de ressources financières.

En 2024, comme j’enseigne à l’Enseignement supérieur à la Faculté de la médecine, j’ai donné un thème sur les facteurs qui favorisent la consommation de la drogue et d’autres substances. À travers ce sujet, on a pu réaliser en collaboration avec l’Enseignement supérieur via la Faculté de médecine, l’étude sur ces facteurs associés à la consommation des substances psychoactives qui englobent le tabac l’alcool, le tramadol et toutes ces substances-là. Cela nous a permis d’avoir pour la première fois, des données scientifiques sur tous les types de drogues. Comme nos actions sont orientées sur le changement de mentalité et de comportement, nous ne pouvons pas dire attendre peut-être une année, deux ans, voir plus pour faire d’autres études afin de savoir l’impact de tout ce que nous avons eu à faire. Sur le terrain, le grain est déjà semé cela va avoir nécessairement d’impact.

Vous avez présenté le 10 janvier dernier, la situation sur la consommation des substances psychoactives au Tchad. Qu’est-ce qu’on peut retenir de cette présentation ?

Effectivement, c’est par rapport à cette étude que nous avons réalisée en 2024 et vu ses résultats trop flagrants, alarmants, et comme au niveau du programme, nous agissons dans le domaine technique, dès lors qu’on a une situation de ce genre et que nous ne saisissons pas la hiérarchie et les décideurs, cela veut dire que nous faisons aussi du mal à cette population. C’est la raison pour laquelle avec ces résultats-là, nous avons saisi la hiérarchie qui est notre ministre et ayant pris connaissance des données et que cette lutte ne concerne pas uniquement son ministère, mais d’autres ministères, institutions, médias, c’est pourquoi ils ont été conviés pour prendre part à cette rencontre et cela nous a permis de présenter les données de ces études. Il faut rappeler que durant l’année 2024 l’Union africaine avait alerté sur la situation de la consommation de la drogue dans les pays africains lors de la cinquième session ordinaire à Addis-Abeba. Le rapport a montré que plus de 50% des jeunes consomment les différents types de drogues, les nouveaux types de drogues tels que les frelatés, les médicaments de contrefaçon et surtout que cette situation évolue de façon croissante en ces dernières années. Les données du Comité technique spécialisé africain qui a eu lieu au Ghana en 2024 ont fait comprendre que pendant que la prévalence de la consommation du tabac et de drogue diminue (de 18% en 2000 à 9,5% en 2022) au niveau mondial, elle augmente (52 millions en 2000 à 84 millions en 2024) de consommateurs dans la région africaine. C’est une situation inverse et la raison évoquée est la jeunesse de la population africaine qui est facile à manipuler ainsi que la question de la pauvreté. Avant de faire cette étude, nous avons eu beaucoup d’alerte par les médias, des communes qui font état qu’il y a des jeunes qui meurent subitement après la consommation de l’alcool frelaté, d’autres après avoir consommé des drogues se livrent des bagarres qui se terminent par mort d’hommes et notre étude sur tous les types de drogue a montré que la prévalence était à 82% donc très élevée. Il faut noter que dans les 82%, 80,5% concernent le taux de l’alcool. Les frelatés représentent 45,1%, Whisky 23,5% et la bière 11,9%. Cela se justifie parce que les frelatés sont vendus partout et aux prix très abordables sur le plan financier. Même à 50 francs, donc à la portée des enfants et facile à emporter. Donc, cette présentation consiste à partager l’urgence de l’information afin de permettre une synergie d’actions pour protéger nos jeunes qui sont les cibles. Plus ils consomment, plus ils vont développer des maladies et avec le temps si l’Etat, les organisations ne prennent pas leur responsabilité, on risque d’avoir des jeunes invalides et cela est une perte pour le pays.

Quelles ont été les difficultés auxquelles vous aviez fait face ?

Depuis que nous avons commencé nos activités, nous nous rendons compte qu’il y a beaucoup d’établissements qui n’ont pas été touchés, faute de financement. Pour aller avec une équipe faire ce travail sur le terrain, il faut des outils de communication, payer les déplacements de l’équipe, etc. Nous avons des clubs qui doivent faire le travail sur le terrain, que nous devons les suivre de temps en temps pour qu’ils ne se sentent pas abandonnés, mais avec le peu que l’État nous donne, nous faisons déjà le travail, mais les défis sont toujours là.

Quelle stratégie entendez-vous mettre en place cette année 2025 ?

Notre priorité, c’est conscientiser la jeunesse et l’amener à un changement de comportement à cause des substances addictives. Si ces jeunes arrivent à un stade avancé, ou entrent dans la dépendance, pour opérer leur changement de comportement, cela va être difficile. C’est pourquoi, nous mettons et mettrons l’accent sur la communication à l’endroit de jeunes, surtout des adolescents et autres, pour les amener à ne pas entrer dans cette phase de dépendance. Ceux qui consomment très tôt peuvent arrêter et ceux qui n’ont pas encore commencé, c’est de les amener à comprendre que ce sont des substances qui vont les détruire. Et dans nos actions, nous ciblons d’abord la jeunesse et les adolescents pour travailler avec eux et les adultes, à travers les canaux que nous utilisons, les médias et autres, peuvent capter l’information et à eux de décider de continuer ou d’arrêter. C’est vrai que les frelatés, compte tenu de leur toxicité très élevé, l’État interdit sa vente et sa consommation. Mais pour les autres types d’alcool à base de l’éthanol tels que la bière Gala et autres, ce n’est pas interdit et notre rôle à nous dans la communication est d’expliquer les dangers et conséquences, mais c’est la personne qui a toute la liberté de laisser comme de consommer.

Vu ces données alarmantes, notre stratégie première en 2025 sera en priorité la communication. Nous allons l’intensifier à l’endroit de cette jeunesse et même de la population pour une prise de conscience. Nous voulons aussi avec ces données pilotes (1er, 3e, 7e, 8e et 9e arrondissements de N’Djaména) que nous sommes allés au-delà pour faire l’enquête et la sensibilisation au niveau nationale afin d’être situés sur l’état de consommation de ces substances au sein de la population tchadienne parce que nous recevons plus des alertes au niveau des provinces. C’est notre souhait, même si nous sommes limités par les moyens.

Propos recueillis par Modeh Boy Trésor