“Le Tchad est en train de fumer”

C’est le constat du géographe, démographe et consultant Bédaou Oumar Caman qui s’est prêté aux questions bilan de l’année 2024 sur la dégradation de la situation des Droits de l’Homme au Tchad.

Les violations des Droits de l’Homme se sont déroulées à bien des égards à plusieurs ordres et en ce qui concerne surtout la partie humaine, je ne fais pas de distinction. Vous savez qu’au Tchad, les gens pillent, tuent, volent, violent, brûlent, éventrent, égorgent, décapitent au nez et à la barbe des pouvoirs publics, mais personne n’intervient. Si vous prenez la partie méridionale du Tchad, vous savez que Déby père a envoyé, en son temps, une délégation pour quasiment désarmer toute la population du sud et à réarmer une autre population, et aujourd’hui ces populations se trouvent à découvert. Ce qui s’est passé à Korbol, on n’avait pas parlé à Kokaga de corps en train de circuler sur les cours d’eau. Malgré les appels, personne n’est venu au secours. Bara II, Goré, Bessao, Larmanaye, Timbéri ont été attaqués et on ne peut même pas comptabiliser le nombre de morts. Et à chaque fois qu’il y a des morts, personne ne parle, personne n’est arrêté, mais lorsqu’un éleveur est tué, on vient prendre le chef de village et les personnes suspectées pour les emprisonner, même sans preuve. C’est pourquoi je dis aujourd’hui que le Tchad est en train de fumer, c’est-à-dire que bientôt le feu va se déclencher.

Tous les jours que Dieu fait, il y a des morts, alors comment voulez-vous qu’on vive ensemble ? Et puis, de l’autre côté, on nous crie le vouloir vivre en commun, la paix au Tchad, nous sommes des frères, etc. Même sur la partie institutionnelle, ce sont des types de violation également. Les élections qui devraient se passer dans la transparence ont été plutôt de la mascarade. En décembre 2023, j’ai parrainé le non du référendum dans le Moyen-Chari et le Mandoul, mais tous les résultats ont été inversés en faveur du parti au pouvoir, au détriment du bon résultat que nous avons en notre possession, puisqu’on nous dit que c’est la Commission nationale chargée de l’organisation du référendum constitutionnel (Conorec) seule qui est habilitée à publier les résultats. Même cas pour les législatifs qui viennent de se dérouler, normalement, on devrait comptabiliser et donner les résultats séance tenante et connaître qui a gagné, mais encore c’est l’Agence nationale de gestion des élections (Ange) qui est habilitée à donner, à publier les résultats et voilà que depuis la proclamation, il n’y a que des réclamations. Tout cela fait partie des violations des droits de l’homme, parce qu’on vous impose des gens que vous n’avez pas votés.

Y a-t-il une volonté politique pour améliorer la situation des droits de l’homme au Tchad ?

Il n’y a pas de volonté politique pour ramener la paix et la stabilité au Tchad, parce que ce qui se passe est une politique d’occupation de terre. Pour rappel, après le départ de Hissène Habré du pouvoir, le premier numéro de N’Djaména Hebdo a écrit un article sur une association secrète appelée Aingalaka (nom d’une localité du Borkou Ennedi Tibesti). Et l’article a révélé que cette association a été créée pour balkaniser le Tchad, c’est-à-dire le Moyen-Chari va être occupé par les Zaghawas, les deux Logone par les Goranes, la Tandjilé par les Kanembous, etc. Et aujourd’hui, quand nous évaluons la transition, le constat se dessine. Kouri Bougoudi, Abéché, Mangalmé, Am-Timan, Leo, Kélo, Bologo, Krim-krim, Donia, Sandana, Danmadji, Kyabé, Bessao, Goré, Bara II, Korbol, Kokaga, Yilim, Larmanaye, Timbiri, sans oublier le 22 octobre dénommé jeudi noir ou la ville de N’Djaména, Moundou, Koumra et Sarh ont été endeuillés, mais qui a réagi ? Au Tchad, on a des hommes en armes, mais pas d’Armée nationale. Ils sont à la solde d’une communauté et c’est cette communauté qui règne partout. Nous avons des gouverneurs généraux de presque la même ethnie dans toutes les régions du Tchad et pourtant, il y a des cadres originaires de ces régions, capables de diriger ces administrations, mais on préfère la même ethnie et parmi eux, des analphabètes comme gouverneurs. Comment comprendre qu’un général dans le Logone oriental se permet d’occuper 400 hectares de terre et dire qu’il les a achetés ? Cela s’appelle plutôt accaparement de la terre, c’est ce qui a causé le départ de certains habitants à l’exil.

Le Tchad est au bord de la cassure. Si on n’y prend pas garde et au fur et à mesure qu’on avance, on est en train de prêter le flanc à des grandes puissances.

Propos recueillis par Modeh Boy Trésor

 

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