Les lycées scientifiques pilotes peinent à prendre forme

Créés par arrêté n°373/PR/PM/MENPC/SG/DGEF/DESG/2017 du 29 septembre 2017, les 3 lycées scientifiques pilotes, restructurés sur trois anciens sites de la commune de N’Djaména, souffrent d’un manque criard de laboratoires équipés de matériels de travaux pratiques (Tp), mais aussi de moyens humains qui demeurent perfectibles.

Il s’agit de lycée scientifique Félix Eboué ou le lycée Félix Eboué 2 (ancienne appellation), de lycée scientifique de Walia ou lycée de Walia 1 (ancienne appellation) et de lycée scientifique de Gassi (le volet littéraire étant transféré en bloc au lycée d’Atrone). Or, il y a près de 500 ans, Jacques Rabelais a eu cette formule hautement savante : “Science sans conscience, n’est que ruine de l’âme”. En son temps, cette assertion aussi dense, pertinente qu’actuelle avait pour vocation de rappeler à l’ordre, d’éminents autres scientifiques sur le danger, aussi imminent de destruction multiforme du monde à coup d’expériences scientifiques aveugles. Ce qui impliquait de labos, de l’équipement et de produits adéquats pour allier théorie et pratique voire effectuer de recherches un peu plus poussées sur un pan de sciences pures. Mais qu’en est-il de ces lycées scientifiques pilotes, qui inspireraient, à terme, une extension sur le reste du pays, s’ils produisaient des résultats probants ? C’est du moins l’un des objectifs ayant sous-tendu l’initiative du gouvernement de l’époque à travers le ministère de l’éducation nationale et de la promotion civique.

La question nous introduit dans l’enceinte desdits lycées où le décor est consternant. Rien de spécial, si ce n’est l’appellation de lycée scientifique. Il n’y a d’hommes en blouse que quelques rares enseignants disciplinés, qui se conforment simplement au code vestimentaire de l’enseignant, les uns, entrant ou sortant des salles de cours, les autres, en plein cours. Pas de labos qui grouillent de monde, et donc pas de mains engantées ni de têtes parjurées qui soient notables dans la cour ou aux abords d’un bâtiment faisant office de labo, indice d’un haut lieu de sciences appliquées. L’épaisse couche de poussière qui recouvre l’ancien et l’unique labo du lycée scientifique Félix éboué, par exemple, (d’ailleurs ouvert à la demande de votre hebdomadaire), renseigne sur le manque d’activité et de présence humaines sur les lieux. Alors qu’on est en pleine semaine et à 9 h du matin (mercredi, 12 avril) ! Si les moyens humains, quoiqu’imparfaits, sont aussitôt pourvus pour l’opérationnalité effective des 3 lycées scientifiques pilotes, le reste n’a pas suivi. Cinq ans après, les braves élèves et enseignants scientifiques se contentent de la théorie.

“Ordinairement, être enseignant au Tchad, est déjà une chose très difficile. Et ça l’est davantage, quand on est chargé de cours d’une discipline scientifique qui nécessite de travaux en labo. Dans un pays comme le nôtre où l’éducation n’est pas la priorité du gouvernement, les bonnes conditions d’apprentissage ou de travail restent un vœu pieux. En attendant de le voir réalisé, on fait avec les moyens de bord’’, explique un prof de physique-chimie du lycée scientifique de Gassi. Dans le même sillage, une élève du lycée scientifique de Walia fait une affirmation, a priori, idiote, mais ironique : “Le labo n’existe qu’à l’hôpital, mais comment vous en voulez dans un petit lycée comme celui de Walia ? Ce n’est pas possible, même en rêve”, ironise-t-elle. Partout, le sujet provoque tout à la fois l’ironie et l’humour. Au bout de la rigolade, un observateur lance une boutade : “Certes, la question de labo préoccupe, mais qui va aider les élèves à manipuler ces matériels et produits, quand on sait que ces enseignants scientifiques ne sont pas, eux-mêmes, imbibés de la pratique durant leurs cursus scolaire et académique ?”. “Faux”, rétorque un autre, qui éclaire : “C’est dans la dernière décennie que les rares labos et salles de Tp que comptaient les anciens lycées et la faculté des sciences exactes et appliquées de l’université de N’Djaména sont laissés à l’abandon. Sinon, les gens d’anciennes générations sont capables de les tenir. Il suffit d’en (re)construire et (ré)équiper”.

Sollicité pour la version officielle sur l’état des lieux des lycées scientifiques pilotes, le directeur de l’enseignement secondaire général, Sériya Telli Mathieu se montre parcimonieux. Au bout de moult insistances, le Desg nous raccroche au nez, après avoir marmonné entre les barbes cette phrase : “Je suis en déplacement”, sachant qu’il n’y a pas de développement possible sans la science, dans un monde de plus en plus digitalisé.

Thomas Reoukoubou