Message de Noël 2024 de la Conférence des évêques du Tchad

“Le respect de la dignité humaine pour un Tchad de fraternité, de justice et de paix”

Tel est le fil conducteur du message épiscopal adressé à tous, sans exception, en cette veille de la Noël et du nouvel an. NDJH vous propose quelques extraits…

(…) Le primat de la dignité humaine

  1. La dignité humaine suppose que l’être humain ne soit pas traité comme un objet, ni un moyen, mais qu’il soit toujours reconnu comme une personne. Chaque personne, sans distinction, a quelque chose de divin en elle-même. Elle mérite d’être reconnue et respectée.
  2. Dieu ne fait pas de différence entre les personnes qui sont ses créatures (cf. Ac 10, 34-35). Car, “sur le visage de tout homme resplendit quelque chose de la gloire de Dieu (…). [C’est ici] le fondement ultime de l’égalité et de la fraternité radicales entre les hommes, indépendamment de leur race, nation, sexe, origine, culture et classe” (Compendium de la doctrine sociale de l’Église, 144).
  3. De ce qui précède, nous pouvons tirer quelques conséquences : la première place reconnue à l’homme dans les structures sociales et économiques ; l’indispensable protection des plus fragiles ; le caractère vital du lien social entre les personnes ; la priorité donnée au bien commun ; la protection de l’environnement ; etc.
  4. En vertu de cela, nous sommes appelés à œuvrer pour une société plus juste, équitable et inclusive. Nos efforts visent à garantir le minimum indispensable à chaque personne : droit à la vie, à la nourriture, à la santé, au logement décent, à l’éducation, au travail bien rémunéré, etc. (cf. Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, 1, 3 à 7 et Constitution de la République du Tchad du 29 décembre 2023, 18 à 22).

 

Dieu est le protecteur et le défenseur de la vie humaine

  1. Par rapport au droit à la vie, la Bible souligne bien le commandement de l’amour du prochain sans aucune discrimination : “tu ne commettras pas de meurtre” (Dt 5, 17). Dieu lui-même met en garde contre tout ce qui porterait atteinte à la vie humaine : “Quant au sang, votre principe de vie, j’en demanderai compte à tout animal et j’en demanderai compte à tout homme ; à chacun, je demanderai compte de la vie de l’homme, son frère (…). Car Dieu a fait l’homme à son image” (Gn 9, 5-6).
  2. Pour défendre la vie humaine, Dieu n’a pas été sourd aux cris du peuple d’Israël durant l’esclavage en Égypte : “J’ai vu, oui, j’ai vu la misère de mon peuple qui est en Égypte, et j’ai entendu ses cris sous les coups des surveillants. Oui, je connais ses souffrances. Je suis descendu pour le délivrer de la main des Égyptiens et le faire monter de ce pays vers un beau et vaste pays” (Ex 3, 7-8).
  3. Pour Jésus, l’amour envers Dieu se concrétise dans l’amour envers le plus faible (cf. Mt 25, 31-46). Il a brisé les barrières socioculturelles pour redonner la dignité aux différentes personnes, notamment aux plus nécessiteuses et aux exclues de la société : pécheurs publics, femmes, enfants, étrangers, lépreux, malades et veuves. Face à tout ce qui menace la dignité de la personne, Jésus guérit et pardonne, nourrit, défend, libère et ressuscite. Il s’est montré lui-même comme un berger attentif à une seule brebis égarée (cf. Mt 18, 12-14).

 

(…) II. Ce que nous constatons : Les atteintes à la dignité humaine

“Le Seigneur dit à Caïn : “Où est ton frère Abel ?” (Gn 4, 9)

La sacralité de la vie humaine est mise à mal

  1. Le Concile Vatican II dénonce “tout ce qui constitue une violation de l’intégrité de la personne humaine, comme les mutilations, la torture physique ou morale, les emprisonnements arbitraires, les déportations, l’esclavage, la prostitution, le commerce des femmes et des jeunes ; ou encore les conditions de travail dégradantes qui réduisent les travailleurs au rang de purs instruments de rapport, sans égard pour leur personnalité libre et responsable : toutes ces pratiques et d’autres analogues sont, en vérité, infâmes. Tandis qu’elles corrompent la civilisation, elles déshonorent ceux qui s’y livrent plus encore que ceux qui les subissent et insultent gravement à l’honneur du Créateur” (Gaudium et spes, 27 § 3).
  2. La vie humaine est sacrée. Elle appartient à Dieu, maître de la vie et de la mort. Ôter la vie à un être humain, de quelque manière que ce soit, est un crime. C’est “l’extrême limite qui ne peut jamais être franchie” (Saint Jean-Paul II, Evangelium vitae, 54). Et pourtant, le fait de supprimer la vie d’un être humain est très fréquent dans notre pays.
  3. Les massacres des personnes continuent sous le regard silencieux et complice de certaines autorités. On dirait qu’au Tchad, tuer est devenu banal et permis pour certaines personnes. Comment comprendre autrement les conflits meurtriers intercommunautaires, en particulier entre éleveurs et agriculteurs, les tueries et les assassinats ci et là, les règlements de compte, les braquages à main armée, les enlèvements de personnes contre rançon, etc. ? En plus de tout cela, le manque d’accès à la justice équitable pour tous crée des sentiments de frustration, de haine et de vengeance.
  4. Le respect de la dignité humaine implique aussi la protection de la vie dès sa conception. Hélas, nous constatons une légèreté face à l’avortement. Cela est un crime abominable (cf. Gaudium et spes, 51).

 

Le non-respect des droits humains

  1. La violation de certains droits humains porte atteinte à la dignité de la vie humaine. Parmi ceux-ci, nous voulons souligner le droit à une alimentation suffisante et au moyen de se la procurer, le droit à la santé qui couvre la possibilité d’accès à l’eau potable et aux soins appropriés, au travail digne pour tous et à une éducation de qualité, à la liberté et à la sécurité des personnes et des biens.
  2. Parmi les éléments qui portent atteinte à la dignité de nos concitoyens, nous attirons l’attention sur la pauvreté grandissante, le fléau de la consommation abusive de l’alcool en milieu jeune, l’exode rural, l’exploitation de personnes, le travail forcé, le trafic des êtres humains, la prostitution, etc.
  3. Nous constatons que les menaces, les intimidations, les violences, les mensonges et les fausses promesses sont la règle en politique. On se souviendra que ces pratiques visent à amener les gens à développer le sentiment d’abandon, à perdre confiance en eux-mêmes et en tous, à ne plus croire en rien et à être manipulables à volonté. Le climat de méfiance et de suspicion qui domine dans les populations autour des élections en sont la conséquence.
  4. Nous constatons aussi que le fossé entre la minorité riche et la majorité pauvre se creuse davantage dans notre pays. Alors que les autorités sont censées œuvrer pour la justice afin de réduire la misère, nous déplorons qu’elles soient indifférentes au détournement de fonds publics, à l’augmentation exorbitante du prix des produits de première nécessité et aux spéculations sur le prix du carburant. Ce mépris à l’égard des autres est source de malheur.

 

III. Ce que nous proposons : Le respect de la dignité humaine

Le Seigneur dit : “Qu’as-tu fait de ton frère ?” (cf. Gn 4, 9-10).

  1. Cette même question embarrassante que Dieu a adressée à Caïn, lorsqu’il a tué son frère Abel, se pose avec acuité à chacun de nous. Elle nous invite à prendre conscience de notre responsabilité vis-à-vis de tout ce qui porte atteinte à la dignité humaine. Nous sommes ainsi interpellés à collaborer dans toutes les initiatives qui œuvrent pour le respect et l’épanouissement de la vie humaine.

 

Aux Gouvernants

  1. Le rôle des Gouvernants est de veiller au respect des droits humains et des libertés fondamentales contenus dans la Constitution de la République du Tchad. Soyez les garants du respect de la vie de la personne dans sa dignité et assumez votre rôle avec responsabilité et conscience afin de promouvoir l’épanouissement des concitoyens et l’accès au bien commun pour tous.

 

Aux autorités judiciaires

  1. Le respect de la personne humaine nécessite l’accès à la justice pour tous. Il vous revient de le garantir et de dire le droit. Appliquez la justice de manière équitable à tous les citoyens indépendamment de leur appartenance sociale, ethnique, culturelle et religieuse. Car, “nul n’est au-dessus de la loi”.

 

Aux acteurs politiques

  1. En tant qu’acteurs politiques, vous êtes au service des intérêts de la Nation pour le respect de la dignité humaine. Nous vous rappelons que la course au pouvoir ne doit pas se faire au détriment des valeurs telles que la vérité, l’honnêteté, l’égalité, la justice, la liberté et la paix. Respectez le code de conduite dans l’action politique.

 

Aux forces de défense et de sécurité

  1. C’est à vous, en tant que fils et filles du pays, que revient le devoir de protéger et de défendre votre pays, vos concitoyens et leurs biens. Agissez avec loyauté afin de restaurer la confiance de la population à votre égard.

Que votre mission ne soit jamais perçue comme celle de ceux qui massacrent, oppriment, torturent, intimident et sèment la panique.

Nous vous demandons d’assumer cette tâche avec conscience afin que chaque Tchadien se sente protégé.

 

À la société civile

  1. La dignité de l’être humain est le fondement et la fin de toutes les institutions sociales. L’homme est un sujet de droits, de devoirs et de libertés fondamentales (cf. Gaudium et spes, 17). Pour cette raison, la société civile est appelée à œuvrer davantage pour une éducation civique responsable et juste qui respecte les droits inaliénables et inattaquables de chaque citoyen.

Nous vous invitons à ne pas vous laisser corrompre et à ne pas céder aux intimidations. Continuez à assurer l’exercice de votre noble tâche de défendre la personne et le bien commun.

 

À la communauté internationale

  1. Nous apprécions l’aide de la communauté internationale en faveur de la défense des droits des personnes lorsqu’ils sont bafoués dans notre pays. Cependant, nous déplorons un certain manque de fermeté et de convergence dans les prises de position face à certaines dérives politiques, notamment lors des convocations électorales.

Nous vous invitons à ne pas arrêter votre soutien aux personnes victimes de la guerre du Soudan, de la secte Boko Haram, des inondations et des autres calamités naturelles que notre pays affronte.

 

Aux leaders religieux

  1. Comme Dieu avait appelé Moïse pour libérer son peuple, nous sommes, nous aussi, choisis pour annoncer le salut divin et pour défendre la dignité de tout homme. En tant que leaders religieux, il nous revient en premier lieu d’œuvrer pour le respect et la sauvegarde de la dignité humaine et de dénoncer les idéologies et les pratiques qui la menacent.

 

Aux familles

  1. Nous réitérons l’appel du pape Jean-Paul II : “Famille, deviens ce que tu es”. Cet appel est une invitation pour que les familles accomplissent leur vocation selon le plan de Dieu. Cela se concrétise par la communion des personnes dans le respect de chaque membre, la transmission de la vie, l’éducation des enfants dans toutes les étapes de la croissance humaine et la participation au développement de la société (cf. Familiaris consortio, 17-48).

 

Aux jeunes

  1. Chers jeunes, vous trouvez dans votre vie et dans la société des obstacles qui vous découragent et ne vous donnent plus envie de construire votre vie. Certains obstacles sont externes : le manque de moyens, une maladie inattendue, le poids de la tradition, les sollicitations de la vie moderne, l’éducation qui ne répond pas aux défis actuels, l’exclusion du marché de travail, le chômage, l’exploitation et les abus en tout genre, etc. Certains obstacles sont internes : l’esclavage de l’alcool ou de la drogue, la paresse, le gain facile, l’imitation (“tout le monde fait comme ça”), le vagabondage sexuel, la peur, la résignation, etc.

Nous vous encourageons à être audacieux devant les défis qui sont les vôtres pour défendre votre dignité et assurer un avenir meilleur aux générations futures.

 

Aux fidèles chrétiens

  1. La gloire de Dieu c’est l’homme vivant qui rend gloire à son Créateur (cf. St Irénée de Lyon). C’est ainsi que nous vous appelons à être davantage des témoins, par vos paroles et vos actes, de ce en quoi vous croyez. Soyez des authentiques défenseurs de la dignité humaine à l’image du Christ qui n’a pas eu peur de donner sa vie pour la rédemption du monde.

Tous ensemble soyons des “pèlerins d’espérance” en cette Année jubilaire pour faire du Tchad un pays de fraternité, de justice et de paix.

  1. Que Notre-Dame du Tchad, la Vierge Marie, Mère de Jésus-Christ notre Sauveur, intercède pour que la dignité humaine soit respectée dans notre pays.

Bonne fête de Noël et du Nouvel An 2025 !

DJITANGAR GOETBE Edmond, Archevêque de N’Djaména, Président de la CET

Miguel Angel SEBASTIAN, Evêque de Sarh

Rosario Pio RAMOLO, Evêque de Goré

Joachim KOURALEYO TAROUNGA, Evêque de Moundou

Martin WAÏNGUE BANI, Evêque de Doba

Nicolas NADJI BAB, Evêque de Laï,

Philippe ABBO CHEN, Vicaire apostolique de Mongo,

 Dominique TINOUDJI, Evêque de Pala,

Samuel MBAIRABE TIBINGAR, Evêque de Koumra