conseille Allamine Kader Kora, le représentant du monde de la culture, des arts et lettres, à la Haute autorité des médias audiovisuels (Hama), dans son viseur de cinéaste, dans cet entretien relatif au bilan des activités artistiques et culturelles de l’année 2024.
Monsieur le conseiller, quelles ont été les activités qui ont retenu votre attention en 2024 ?
Merci de l’opportunité que vous m’offrez, pour souhaiter d’abord mes meilleurs vœux aux artistes, en espérant que cette année 2025 soit remplie d’activités artistiques et culturelles, en termes de projets et de réalisations pour les artistes d’ici et d’ailleurs. Avec l’espoir que le grand public sera satisfait des productions qui vont en découler. 2024 a été une année pleine d’activités, en commençant par les miennes en tant que cinéaste, pour avoir pris part à une trentaine de festivals cinématographiques en Afrique, Europe et Amérique, avec mon film “Amchilini”, qui a décroché quelques prix au passage qu’il faut signaler.
Au niveau national, plusieurs festivals ont été organisés dont le dernier en date est le festival Dary. Malheureusement pour ce dernier cas, il n’y a pas eu trop d’implication des artistes sur le plateau, ce qui a suscité pas mal de réactions, il faut le relever. La programmation doit répondre aux attentes de la population.
Il faut aussi saluer l’effort du ministère qui a pu financer 10 projets cinématographiques, dont deux sont en tournage. Espérons que ces financements seront pérennes et s’étendront à la chaîne de production cinématographique et d’autres domaines artistiques et culturels. Je pense au cinéma, parce que je suis du domaine, mais il faut signaler la participation de la musique tchadienne à des festivals au Congo, en Côte-d’Ivoire, etc. Mais en termes de production de manière générale, que ce soit en qualité ou en quantité, nous demeurons encore très faibles, et devons mettre le paquet pour rendre nos œuvres compétitives au niveau national et international.
Pour revenir à l’institution dans laquelle vous siégez actuellement, pouvez-vous nous rappeler votre mission et qu’est-ce que vous avez concrètement fait en 2024 pour promouvoir le secteur des arts et la culture ?
La Hama est la haute autorité de régulation, et le représentant du monde de la culture, des arts et lettres que je suis, a pour mission de veiller à ce que la culture et les arts occupent leur place dans les médias (radios, télévisions et journaux), en respectant le quota selon les textes en vigueur au Tchad. En 2024, nous avons réalisé quelques activités, notamment l’organisation des journées de sensibilisation à l’endroit de tous les responsables des médias, sur la notion des droits d’auteur. Beaucoup ignorent qu’en matière des droits d’auteur, il y a des redevances à verser par les médias, lorsqu’ils exploitent les œuvres des artistes.
Il a fallu expliquer les avantages de payer les redevances, et pourquoi les textes en vigueur doivent être appliqués. Une tranche de 70 à 75% des espaces de diffusion doit être réservée à la production artistique nationale. On ne doit pas créer une radio par exemple, pour jouer uniquement des œuvres musicales étrangères. Il faut privilégier les œuvres nationales, ce qui donne droit à la perception des redevances, au profit de leurs auteurs. Quand quelqu’un produit, il faut l’encourager à produire plus. Pour la petite histoire, un responsable d’un média m’a dit qu’il ne joue pas les œuvres tchadiennes pour ne pas payer les redevances. Or il se trompe, parce qu’il y a ce qu’on appelle le droit de réciprocité. Même si vous jouez les œuvres étrangères, vous êtes soumis à la même taxation, parce qu’en l’absence de l’accord de réciprocité avec le pays d’origine du musicien, le bureau tchadien des droits d’auteur (Butdra) doit percevoir la redevance liée à l’exploitation de cette œuvre, au profit des artistes tchadiens.
Ce travail de sensibilisation va continuer cette année, en nous appuyant sur les associations des médias, afin que les responsables comprennent l’importance de payer les redevances lorsqu’on exploite les œuvres. Ici au sein de l’institution, avec le service monitoring, nous sommes en train de faire la radioscopie de chaque média, afin de faire le suivi du respect des cahiers des charges, en ce qui concerne l’espace que doit occuper les œuvres artistiques et culturelle nationales dans chaque média. Mais aussi que nos médias respectent les valeurs culturelles tchadiennes, en veillant sur le contenu des œuvres proposées. A partir de cette année, à la fin de chaque mois, il sera déposé à mon niveau, un rapport d’exploitation des diffusions et publications des œuvres artistiques et culturelles tchadiennes de chaque organe des médias. Le média qui ne respectera pas cela, sera interpelé par nos soins. Voilà ce qui a commencé d’être fait en 2024 et qui va se poursuivre cette année avec le Butdra, les faîtières des organisations professionnelles des médias, et les différentes coordinations des artistes.
Mais pour exploiter les œuvres, il faut les connaître ou comprendre pour en parler, or les journalistes sont confrontés à un manque de formation dans le domaine du journalisme culturel. Ne songez-vous pas à renforcer les capacités des journalistes dans le domaine culturel ?
Je pense qu’on peut aller même au-delà du journalisme culturel, vers du journalisme de la critique des arts, spécialisé dans le cinéma, la musique, la danse, le théâtre, la littérature, etc. Comme ça, cela peut aider les artistes et les médias, puisque relever les points forts et faibles, permet de contribuer à l’amélioration des productions de qualité. Ce qui va développer le secteur artistique et culturel. Vous n’êtes pas nombreux à faire ce travail on le reconnaît, mais allez vers des regroupements afin que s’il y a des opportunités de formation ou des propositions allant dans ce sens, qu’on puisse vous contacter très rapidement. Afin que nous travaillons en collaboration, pour qu’au niveau des médias, la culture, l’art et les lettres occupent une bonne place au Tchad, pour le bénéfice du public tchadien.
Comme le Tchad pays d’honneur à la 29e édition du Fespaco 2025, …
Le ministère en charge de la Culture et la coordination nationale du Fespaco Tchad 2025, travaillent d’arrache-pied, afin qu’il y ait une représentation digne, à travers une forte délégation. J’ai représenté le Tchad à l’édition 2023, cette année il y a quelques films tchadiens en sélection (long métrage fiction d’Achille Ronaimou et animation de Salma Khalil Alyo) et j’espère qu’à l’avenir, le Tchad va participer avec beaucoup plus de films. Ce qui va booster le cinéma tchadien, j’en suis convaincu. L’exemple du Sénégal est là, désigné pays d’honneur lors d’une édition, après sa participation, l’état sénégalais a fait passer le budget du secteur cinéma de 2 à 4 milliards francs CFA. Nous espérons également qu’à notre retour cette année, nous puissions disposer d’une telle cagnotte pour la production des films tchadiens. Les talents sont là à travers des jeunes très ambitieux, qui ont des projets porteurs.
La question du statut de l’artiste revient souvent dans les débats, …
La question du statut de l’artiste est un débat quotidien. Je pense qu’avec la 4e législature qui sera bientôt mise en place, les choses vont aller très vite. Un premier draft du projet de statut des artistes a été travaillé en août 2022, par le ministre de la Culture avec la collaboration de l’Unesco. Maintenant, il faut que ce projet fasse l’objet de validation et j’espère que le ministère n’a pas perdu de vue cet aspect. Le statut de l’artiste est très important, mais il faut que les textes déterminent qui est artiste et qui ne l’est pas. Comme ça, si l’état veut accompagner, qu’il accompagne les artistes reconnus, avec de vrais projets. Ce qui va booster le paysage artistique et culturel tchadien.
Nous n’avons pas des écoles des beaux-arts, donc, il faut que les artistes participent souvent à des formations, lorsque des opportunités se présentent, pour renforcer leurs capacités. Aujourd’hui, sans formation et sans moyen, quel que soit notre génie créateur, on ne peut pas aller loin. Par exemple, pour tourner un film, il faut du matériel de qualité et des techniciens. Or, nous n’avons pas ces compétences ici et les faire venir d’ailleurs aura un coût. Donc, que l’état investisse.
Interview réalisée par Roy Moussa