Touche pas à ma bière!

Contre toute attente en ce début d’année, les Tchadiens font face à une brusque augmentation des prix des produits des Brasseries du Tchad (Bdt). Pourtant, celle-ci ne figure pas dans la loi des finances de 2020. 

Aussi surprenant que cela puisse paraître, les consommateurs des produits des Bdt dont la bière plus précisément et autres boissons non alcoolisées n’ont pas été avisés de cette décision qui est en train de mettre de la poudre au feu. Mais ils ont été directement mis devant les faits accomplis. Le prix de la bière, principale production des Brasseries du Tchad, a été augmenté de 150 francs CFA. Pas mince du tout, colère dans les rangs des grossistes et tenanciers des bars et cafés qui parlent depuis la date de cette augmentation des prix un même langage. Manifester contre vents et marées pour l’annulation de cette hausse des prix. Les protestations qui se soldent par la fermeture des dépôts et débits de boisson s’enchaînent depuis lors au rythme d’exiger aux Bdt de revenir sur sa décision unilatérale.

La question d’augmentation des prix des Bdt retrouve des explications allant dans tous les sens, chaque camp essaie de tirer la couverture de son côté. Dans tous les secteurs, quand une nouvelle grande entreprise veut s’installer, l’Etat l’accompagne en exonérant certaines taxes pour alléger le poids des impôts. Cet accompagnement n’est pas éternel, mais sur une période donnée et aussi a des clauses à respecter.

Que disent les textes ?

Pour le cas actuel, la convention d’établissement signée le 13 mars 2015 ayant pour effet à partir du 1 janvier 2015, l’Etat tchadien, représenté par le ministère de l’Economie, du commerce et du développement touristique et le ministère des Finances et du budget et les Brasseries du Tchad ont décidé de commun accord de s’engager sur le respect des droits et obligations réciproques des parties. La convention  comporte en tout trente-cinq articles dont seize consacrés aux engagements des Bdt et neuf à ceux de l’Etat. Les plus attirants se résument en quatre articles.

Selon l’article 5 de ladite convention, les Bdt s’engagent  à exécuter un programme d’investissement ci-joint en annexe d’un montant total évalué à environ 25 milliards de francs CFA repartis en deux phases: 15 milliards de francs sur une phase de 6 ans et 10 milliards de francs sur une deuxième phase. Ces investissements doivent être accompagnés d’œuvres sociales, sportives, etc. Les articles 21 sur le régime fiscal et 22 sur les avantages fiscaux, garantissent aux Bdt l’exonération sur les cinq premiers exercices d’exploitation (de 2015 à 2019) de l’impôt sur les sociétés, de l’impôt minimum forfaitaire, de la patente, de la taxe sur la valeur locative des locaux professionnels, de la contribution foncière des propriété non bâties, ainsi que le maintien à  25% du droit d’accise pour les produits importés, l’accord de bénéficier d’un taux de stabilité de la taxe forfaitaire à hauteur de 5%, le plafond des droits d’enregistrement à 1%, enfin le calcul des amortissements sur la durée probable d’utilisation.

Applicabilité des textes

La résultante de cette situation plus qu’irrespirable est le suivi strict  des accords. Les Brasseries, ont, ces dernières années, agrandi l’unité de production à Moundou et installé une nouvelle usine à N’Djamena. Lors de la rencontre entre les Bdt et les grossistes, elles ont évoqué une réalisation d’une œuvre sociale. Elle est, tenez-vous bien, “l’agrandissement du parc automobile des Brasseries”. En appliquant les textes précédents, les Bdt payaient 4 milliards de francs par an, entre 2015-2019. Selon l’article 34, suivi des obligations de la société, “l’Etat est en droit de mettre fin à cette convention en cas de non-respect du programme d’investissement. Un comité de suivi est chargé de veiller à l’exécution de ce programme d’investissement”. Cette fois-ci, l’Etat tchadien décide d’entrer dans l’intégralité de ses taxes alors les Bdt doivent lui payer 10 milliards de francs.

Selon Dingamnael Nelly Versinis, président du Collectif contre la vie chère, les Brasseries n’ont pas respecté les clauses. “Le gouvernement a accompagné les Bdt pendant 15 ans; entre temps ces dernières n’ont pas respecté les clauses qui sont entre autres la réalisation des œuvres sociales, l’accompagnement du sport tchadien, le respect du quota réservé aux Tchadiens au sein de l’équipe dirigeante (sur 8 directeurs, il n’y a qu’un seul tchadien), le respect du traitement salarial des Tchadiens, etc.”

Les Brasseries n’ont pas répondu favorablement à notre demande d’entretien. Ce qui visiblement pose problème aux réponses de toutes les accusations selon lesquelles elles ont biaisé les accords.

Laxisme du gouvernement

Le Cameroun accueille depuis quelques jours les consommateurs tchadiens. Ce pays voisin, grand producteur des boissons des brasseries, a vu en mars 2019 une augmentation de 25 à 50 francs sur les prix de certains produits brassés.Le ministre camerounais du Commerce a immédiatement annulé cette augmentation. Encore frais à la mémoire, l’exemple du Soudain voisin où l’augmentation du prix du pain a entraîné la chute du régime du tout puissant Omar El Béchir. Mais les Tchadiens sont des mauvais élèves en matière de telles revendications. Dans un passé récent, ils ont été incapables de réagir face à l’arnaque des marketeurs qui ont opéré une surenchère sur les prix du gaz butane et du carburant. Et même face à la flambée des denrées de première nécessité  sur les marchés, le peuple tchadien se caractérise par une indolence à nulle autre pareille dans la sous-région. Mais pour une première du genre, l’augmentation du prix de la bière vient de tisser l’unanimité des protestataires contre les Brasseries du Tchad. Le président du Collectif contre la vie chère, auteur du mot d’ordre de protestation, peut enfin se réjouir que son mouvement ait été largement suivi, à la surprise générale des autorités. Toujours est-il que les grossistes, tenanciers des bars et cafés en sont encore loin de ruminer leur colère. Un autre débrayage de leur part accentuera davantage la paralysie du circuit commercial et économique déplorée lors des deux précédentes manifestions par les vendeurs ambulants, les conducteurs de mototaxis, les vendeuses de poissons, les taximen, etc. dont les affaires ont complètement chuté.

La balle est dans le camp du président Déby qui doit trancher, si l’exemple soudanais l’inspire.

Nadjindo Alex, stagiaire