Sauver N’Djaména des eaux: une urgence nationale

A la suite des inondations que vient de connaître la ville de N’Djaména et dont les conséquences sont toujours visibles sur le tissu urbain et sur les hommes, et la situation grave que vivent en ce moment les populations du 9ème arrondissement du fait de la crue du fleuve Chari, c’est le lieu de tirer la sonnette d’alarme sur le futur de la ville de N’Djaména.

De par sa position géographique et à cause de la topographie de certains de ses quartiers, la ville de N’Djaména est globalement sous la menace permanente des eaux. La présence et la rencontre du Chari et du Logone à hauteur de la ville, conjuguée aux effets du changement climatique exacerbe cette vulnérabilité.

En effet, le lit du Chari dont le façonnement s’effectue dans une plaine alluviale, se caractérise par une grande mobilité. Celle-ci s’explique par une érosion latérale qui affecte les berges de la rive concave du fleuve (côté N’Djaména-centre) et parallèlement, la rive convexe (côté Walia-9ème arrondissement) subit une accumulation de dépôts sédimentaires. Le fleuve Chari poursuit ainsi ses activités d’érosion et d’alluvionnement depuis des millénaires. Ces activités vont continuer à s’accentuer et à se complexifier avec les changements climatiques. A cause de cette situation, en plus des risques d’inondations par les eaux directes des pluies, les zones riveraines convexes (Walia-9ème arrondissement) sont soumises à des risques de crues du fleuve et les zones riveraines concaves (N’Djaména-centre) à des risques d’érosion accélérées des berges. Cette année, ces deux phénomènes se manifestent simultanément de manière très prononcée.

Les inondations dues aux eaux directes de pluies

Il y a quelques années, les phénomènes d’inondations dans la ville, étaient moindres car ils touchaient un nombre limité de personnes. Ce qu’il faut relever en 2020, c’est le fait que la population urbaine a augmenté de manière exponentielle et l’accroissement démographique a agi comme un important multiplicateur des menaces et accentué considérablement les effets de la grande pluviométrie sur un grand nombre de ménages. Une population plus nombreuse signifie une plus grande demande de terrains aménagés pour l’habitat et les activités humaines. L’urbanisation devient alors un facteur de vulnérabilité important si la demande de logements, d’infrastructures et de services croît plus rapidement que l’offre. Ce qui donne lieu automatiquement à une multiplication des implantations dans des zones dangereuses ou à l’utilisation de techniques ou de matériaux de construction inadaptés.

A N’Djaména, la population continue d’augmenter sans qu’aucune planification urbaine efficace ne soit entreprise et l’expansion urbaine se poursuit dans des zones dangereuses, exposées au risque de montée du niveau des eaux ou d’inondations. De même, des règles et des codes du bâtiment insuffisants (ou non-appliqués) majorent la vulnérabilité des foyers individuels et de communautés tout entières. Il faut donc se réserver de penser qu’il s’agit d’accidents climatiques imprévisibles. Le changement climatique est définitivement installé, ses impacts sont désormais inéluctables avec des conséquences implacables. Les catastrophes naturelles (inondations, crues des cours d’eau, températures extrêmes) deviendront de plus en plus fréquentes et violentes. La vulnérabilité des zones urbaines face à cette situation dépendra donc du niveau de préparation aux catastrophes de notre pays. Et cette préparation est liée à la capacité institutionnelle et de gouvernance des villes tchadiennes ainsi qu’à l’information de leurs habitants.

Le premier constat que l’on fait des derniers évènements du fait de la pluviométrie et de la crue du fleuve est que la grande majorité des ménages affectés sont ceux à faibles revenus, n’ayant pas les moyens de s’installer sur des terrains exondés et dans des logements décents.

Les autorités nationales disposent des lois ou des plans prévus pour réagir en cas de catastrophe, mais ils sont rendus inefficaces faute de ressources humaines et financières suffisantes pour pouvoir les appliquer. Les jeunes communes concernées quant à elles, n’ont généralement pas de plans de gestion des risques, de système d’alerte anticipée et ils n’ont pas la capacité ou la prévoyance de déplacer leurs habitants vers des lieux plus sûrs en cas de catastrophe inévitable.

La crue des fleuves au 9ème arrondissement

Le 9ème arrondissement, de par sa position dans le triangle créé par les fleuves Chari et le Logone constitue la zone la plus vulnérable de la ville de N’Djaména face aux risques des inondations. Si la crue de 2020 est considérée comme exceptionnelle, elle n’est pas la première. Les populations de cette zone subissent de manière très régulière les inondations de tous genres, mais aucune solution définitive et durable n’est encore proposée par les autorités. Certains ménages déplacés depuis des années sont toujours en situation précaire et leur nombre augmente chaque année avec l’arrivée d’autres familles. Cela concerne des centaines de personnes durablement exposées à d’autres risques physiques et à la pauvreté. La construction des digues en remblais de terre pour la retenue des eaux de crue saisonnière est certes une solution valable, mais elle reste juste une réponse à l’urgence quand la catastrophe survient. Il faut pour la zone de Walia, naturellement très exposée aux inondations, des solutions pérennes et définitives.

L’Erosion des berges

L’autre dangereux phénomène qui se déroule chaque jour dans le silence le plus absolu et qui menace à long terme la ville de N’Djaména sur la partie concave du fleuve Chari, est l’érosion des berges. On ne peut pas s’en rendre compte si de manière voulue, on ne s’en approche pour l’observer. La particularité de N’Djaména est d’être une ville riveraine du fleuve Chari, mais qui évolue dos au fleuve. La grande majorité des habitants de N’Djaména ne sont jamais approchés à moins de 5 mètres de ses “plages”. D’ailleurs il y a très peu de points d’accès et très peu de raisons d’y aller.

par leur situation de zones tampon entre le milieu aquatique et le milieu terrestre, les berges sont soumises à de fortes sollicitations naturelles. Les épisodes annuels de crue engendrent des processus de leur érosion qui sont une menace pour la pérennité des infrastructures riveraines de la ville de N’Djaména. Ainsi, après chaque saison de pluies, la ville se voit amputer d’une partie de ses terres par le Chari et le Logone qui s’y rencontrent pour se jeter au Lac Tchad, élargissant ainsi leurs berges. De ce fait, toutes les installations et immeubles (habitat, équipements commerciaux, routes, …) situés le long du fleuve Chari depuis Bakara jusqu’à Farcha, sont durablement menacés de disparition. D’ailleurs beaucoup d’arbres chutent déjà chaque année dans le fleuve sans que personne ne s’en émeuve.

En 2001, le vieux pont de Chagoua sur le Chari a failli être coupé de la ville et isolé au milieu du fleuve Chari, n’eût été l’intervention de la coopération française. Paradoxalement, depuis quelques années, il est à signaler la fragilisation continue du “Pont à double voies” par l’extraction incontrôlé et frénétique du sable par des vendeurs d’agrégats. En effet, en période de décrue, des dizaines de bennes descendent quotidiennement dans le lit du fleuve et enlèvent des tonnes de sable directement sous les piliers du pont au vu et au su tout le monde. Des citoyens ont eu à lancer des alertes à l’attention des autorités municipales qui donnent certainement des autorisations pour ce “business”, mais aucune action concrète et vigoureuse n’a été constatée. Ces opérations si elles continuent, vont tout simplement finir par déchausser les piliers supportant le pont et l’exposer à des dommages dont les conséquences seront incalculables pour l’Etat et donc les contribuables. On n’imagine pas les répercussions d’une impraticabilité de ce pont sur la mobilité et donc sur l’économie urbaine de la ville.

Toujours par rapport à l’érosion, sur l’avenue Açyl Akhabach, qui relie le reste de la capitale à la zone industrielle de Farcha, au niveau du camp militaire appelé “Camp de 27”, sous l’effet graduel et persistant du fleuve Chari, la berge est aujourd’hui à moins de 10 mètres par endroits. Le même phénomène inquiétant se constate également sur le parcours de la nouvelle voie bitumée allant de l’Assemblée nationale vers le village de Bakara. A ces endroits, la berge avance vers ces infrastructures routières à un rythme tel que d’ici cinq à dix années, si rien n’est fait, on regardera impuissant, l’écroulement de ces infrastructures routières dans les eaux du fleuve. Des milliards de francs seront engloutis parce qu’on n’a pas réagi au bon moment.

Propositions d’interventions

Les recherches montrent que le gouvernement de la République du Tchad est conscient dans une certaine mesure de la situation catastrophique que vivent les populations affectées. Des actions ponctuelles sont réalisées pour soulager les populations affectées,  mais il devient impératif de quitter la posture d’intervention d’urgence pour mettre en place un dispositif permanent et performant de prévention et de gestion des inondations sur l’ensemble du territoire national. La gestion des catastrophes naturelles et plus particulièrement des inondations doit devenir l’une des préoccupations majeures du gouvernement eu égard à l’ampleur croissante de ces phénomènes ainsi que leurs conséquences économiques et sociales à l’échelle nationale au fil des ans. Les inondations à travers leurs impacts négatifs constituent des freins au développement et compromettent les efforts de l’Etat pour l’amélioration des conditions de vie des populations.

Pour renforcer les dispositifs existants de prévention et de gestion des inondations et palier les lacunes constatées du plan de contingence, une révision en fond de la stratégie nationale en vigueur devrait être engagée à la lumière de quelques études préalables d’évaluation des interventions antérieures. De plus, afin de garantir la mise en œuvre effective de la nouvelle stratégie, celle-ci doit être opérationnalisée par une concertation étroite entre le gouvernement, les populations et les Partenaires techniques et financiers (Ptf) pour une mobilisation rapide des ressources financières (nécessité d’un Table ronde des donateurs), une stratégie de communication de crise, une meilleure éducation, information et sensibilisation, et enfin un dispositif de suivi-évaluation performant permettant une mise à jour périodique de la stratégie.  La stratégie nationale devra être assortie d’une loi d’orientation qui constitue l’instrument juridique de sa mise en œuvre. Cette loi créera des institutions de mise en œuvre (un Conseil national par exemple), instituera les outils et instruments de prévention et de gestion (notamment le Plan national de prévention et gestion des risques et catastrophes, le Système national intégré d’information pour la prévention et la gestion des risques, le Fonds national de prévention et de gestion des risques, la cartographie nationale des zones à risques, …). Cette loi clarifiera également le rôle des différents acteurs qui interviendront en la matière.

Dans le domaine des infrastructures et équipements urbains, un adage dit : “Ce que vous hésitez à faire aujourd’hui, vous serez quand même obligé de le faire demain mais à un coût cinq fois plus élevé”.

Totinon Nguébétan Merlin

(Architecte DPLG / Expert en Politiques d’Habitat)