Plaidoyer pour les victimes de HH

Les avocats des victimes de l’ancien président Hissène Habré (HH) ont animé une conférence de presse le 7 septembre 2021 avec l’appui de l’Association tchadienne pour la promotion et la défense des droits de l’homme (Atpdh), pour situer l’opinion sur l’évolution du processus d’indemnisation des victimes.

Il a fallu 25 ans de lutte pour faire juger Hissène Habré. Et il y a six ans que Habré a été condamné mais les victimes ne sont toujours pas indemnisées. Telle est la situation face à laquelle les victimes de HH et leurs avocats sont confrontés.  C’est pour faire un plaidoyer en faveur de ces victimes que l’Atdph a organisé cette conférence de presse transmise en direct sur la radio Fm Liberté. L’indemnisation des victimes prévue par les Chambres africaines extraordinaires (Cae) et la Cour criminelle spéciale de N’Djaména ont été au centre des échanges.

Mais bien avant, Me Jacqueline Moudeïna, une avocate des victimes a rassuré que le décès de Hissène Habré le 20 août dernier n’entame en rien l’indemnisation de ses victimes. Son regret, c’est le manque de volonté politique du côté de l’Union africaine (Ua) et de l’Etat tchadien.

Pour l’indemnisation des victimes, l’Ua devrait mettre en place et opérationnaliser le fonds fiduciaire. Après des tergiversations, ce fonds a été mis en place en 2018, mais il n’est pas opérationnel. Après la rencontre de la délégation de la commission de l’Union africaine avec les avocats des victimes à N’Djaména, les deux parties ont convenu d’opérationnaliser le fonds en février 2020. Depuis lors, rien n’a été fait. Le prétexte tout trouvé de l’Union africaine est l’avènement de la pandémie du Covid-19. “On met tout sur le Covid-19. C’est tout simplement un manque de volonté sinon, on pouvait bien travailler par visioconférence”, estime Me Jacqueline Moudeïna. Le procès de Habré a eu lieu grâce à l’engagement du président sénégalais Macky Sall. Au moment où la sentence est tombée en 2017, c’est le compatriote tchadien, Moussa Faki Mahamat qui est élu président de la commission de l’Union africaine. Les victimes de HH ne pouvaient pas espérer mieux que ça. “Mais Moussa Faki n’a rien fait. Aujourd’hui, il est à son deuxième mandat à l’Union africaine, mais toujours rien”, regrette Me Soulgan Lambi, un autre avocat des victimes. A ce jour, rien n’est fait pour retrouver les traces des 7 milliards de francs CFA que Hissène Habré a emportés quand il quittait le Tchad. Tout ce qui a été retrouvé pour le moment, c’est un immeuble et deux comptes bancaires dont la valeur totale serait estimée à 700 000 euros. Un montant insignifiant face aux 82 milliards de francs CFA que les victimes devraient percevoir sous forme d’indemnisation, selon la décision des Chambres africaines extraordinaires.

 

Le Tchad fait pire

Dans l’affaire Hissène Habré, si l’Union africaine et le Tchad ont eu des attitudes presque similaires pour avoir été réfractaires à la tenue du procès et lents pour l’indemnisation des victimes, le pays de Toumaï fait pire. L’Ua aura au moins exécuté une partie de la décision de justice en gardant Habré en prison jusqu’à son décès. Mais au Tchad …! La décision de la Cour criminelle spéciale de N’Djaména tombée en 2015 n’est pas exécutée. Au mieux, on peut parler d’un semblant d’exécution. Puisque les 20 agents de la Direction de la documentation et de la sécurité (Dds) ont été condamnés à des peines de travaux forcés allant de 5 à 20 ans et à perpétuité. “Aujourd’hui, aucun de ces agents ne se trouve en prison à Moussoro. Ils ont commencé à venir à N’Djaména pour des raisons de santé. Pour les mêmes raisons de santé, ils ont vendu leurs biens. Maintenant, aucun agent de la Dds n’est en prison. Nous avons saisi le parquet mais il n’a pu rien faire”, s’indigne Me Moudeïna. Or, ces bourreaux ont été condamnés à verser collectivement 75 milliards de francs CFA avec une contribution de 50% de l’Etat tchadien pour indemniser les victimes. Jusqu’aujourd’hui, la commission chargée de réunir ce fonds, qui a été recommandée par la Cour criminelle spéciale, n’est pas toujours mise en place. Feu président Idriss Déby a reçu en audience les avocats des victimes mais rien de concret n’a suivi. Telle une blague, les recommandations formulées à son endroit ont disparu, informent les avocats à la conférence de presse.

Au sujet des actions de revendications, les avocats informent avoir déposé une requête devant la Cour africaine des droits de l’homme contre le Tchad. Là encore, c’est un processus très long. Mais pour Me Jacqueline Moudeïna, les indemnisations sont un acquis et cela ne se négocie pas. Le Tchad et l’Union africaine ont l’obligation d’exécuter la décision de justice. C’est pourquoi elle invite les victimes à continuer leur lutte. “J’ai foi. Tôt ou tard, l’indemnisation va tomber”, rassure Clément Abaïfouta, président de l’Association des victimes de crime du régime de Hissène Habré (Avcrhh). Il invite ses compagnons de souffrance à tenir bon. “Le gouvernement ne vous aime pas. Ses priorités sont les hôpitaux, les routes pavées, etc. Maintenant, quand il y aura une marche, sortez avec vos enfants. Comme il ne pleut pas, venez avec les nattes. On va dormir à la Place de la nation jusqu’à l’indemnisation”. C’est depuis 2019 que les victimes effectuent des sit-in, opérations tintamarres, coups de sifflet et des marches pacifiques sans changement.

Selon les victimes, leur indemnisation est aussi l’un des éléments fondamentaux pour la réconciliation nationale tant prônée par les autorités de transition surtout que le dialogue national inclusif est en vue.

Lanka Daba Armel