Tel est le titre du spectacle d’un Opéra rap, d’une durée d’une heure dix minutes, proposé par l’association Ikun Kultur, sur une idée originale de Guy Sultan, mis en scène et joué à l’Institut français du Tchad (Ift), qui a appuyé la résidence de création, les 14 et 15 mai 2021.
Un spectacle en 10 actes. Il s’ouvre sur une scène nue, éclairée par un faisceau descendant de lumière vive, au pied duquel sont disposés quatre instrumentistes (bassiste, batteur, claviériste et rythmeur), face à la scène et dos au public. Dispositif inhabituel qui a surpris plus d’un spectateur. Au fond de la scène sont accrochés quatre rideaux blancs espacés, qui descendent jusqu’au plancher et dont la hauteur symbolise sans doute les Sao, réputés peuple de géants.
A l’entame du spectacle, apparaissent tour à tour, tous les comédiens qui sont rejoints par les instrumentistes. Le temps des salutations, ils avancent vers le bout de la scène, puis, d’une seule voix, crient ensemble “Les Sao” ! Ensuite, la scène se vide. Le noir s’installe. Peu de temps après, la scène revit grâce à la lumière qui revient, avec l’entrée en scène de la cantatrice, suivie de ses deux assistantes. Sa voix envahie la scène, parcourt la salle et est complété en fond sonore par une seconde voix féminine, accompagné par celui d’un rappeur. La scène est laissée ensuite à un danseur contemporain qui se meut au sol, se redresse progressivement et tel un échassier, cherche à prendre son envol. Le griot du royaume apparaît à son tour, et avec sa voix haute, conte le royaume des Sao, précédé des dictons et adages introductifs en bon détenteur du savoir. Il installe le public dans un récit témoignage, se retire pour revenir en duo avec la cantatrice, chanter pour magnifier la femme. Le Ra de la batterie qui s’en suit, annonce l’arrivée du Roi, qui entre flanquée de la reine, tous deux vêtus de blanc brodé d’or. Par un détour, la cantatrice réapparaît avec ses anges gardiennes, entonne un chant dont le message émeut la reine. Il est question de la souffrance de la femme dans la société. Le roi prend fait et cause pour la femme. Ce qui est une occasion pour le duo de chanteur de continuer à magnifier la femme, avant que le griot ne replonge dans son récit. Il est par la suite relayé par un autre sujet de la cour qui, lui, a choisi de narrer comment le mariage s’effectuait au temps des Sao. Ce qui a donné lieu à un autre spectacle dans le spectacle. Les prétendants ont rivalisé d’ardeur dans les danses et les chants, pour permettre à l’heureux élu d’être choisi. La scène suivante a opposé un agriculteur à un éleveur et a vu le roi tranché pour un “happy end”.
Le spectacle est un véritable laboratoire d’échanges, entre des disciplines qui se côtoient, des artistes qui n’ont jamais songé véritablement à tenter l’expérience de mettre en commun leur savoir-faire et leur art. Les danses urbaines, contemporaines et traditionnelles tchadiennes se sont côtoyées, chacune dans son répertoire chorégraphié.
Raper sur l’histoire des Sao, ce peuple mythique, légendaire et historique, a été rendu possible grâce aux textes proposés et dits par ces rappeurs, slameurs, chanteurs et chanteuses. En remontant le cours de l’histoire, le spectacle s’est adapté, pour devenir un prétexte, afin d’aborder les problématiques de l’heure, qui font aussi partie d’un passé et établit un parallélisme, puisqu’au cœur de chaque société se trouve l’homme. Avec ses maux et les conséquences de ces actes que sont les violences faites aux femmes, les conflits agriculteurs-éleveurs, la problématique du changement climatique qui affecte l’humanité, la cohabitation pacifique qui est loin d’être une évidence, etc. Des thèmes qui ont traversé le spectacle.
Lorsqu’on suit le spectacle, au niveau du jeu d’acteur, l’assimilation et la possession des personnages transparaît en escalier, avec des artistes relaxes, détendus, crispés ou hésitants, en fonction des mouvements des corps ou des déplacements. Ce qui s’explique aisément, par le fait que la plupart d’entre eux, découvrent pour la première fois un travail méthodique, mené selon les règles de l’art. La chanteuse Mélodji, impériale, qui sait surfer avec son timbre vocal, a, dans ses différentes sorties, agrémenté le spectacle, complété à merveille par moment avec le chanteur Dai’son et aussi avec l’artiste montante de la chanson Bouchra, qui a réussi la prouesse de jouer trois rôles. Un spectacle adossé à une orchestration menée par le quatuor d’instrumentistes, sur divers rythmes proposés, dont l’enchaînement, en fonction des entractes, a permis au spectacle de respirer, sous les lumières chaudes ou froides, selon l’agencement.
Un chantier réalisé par Maxime Houlona le metteur en scène, au bout d’une résidence de création de deux mois et qui demeure toujours un chantier à améliorer, puisque le spectacle est déjà là. Une grande première au Tchad, pour cette proposition dont la mise en œuvre a mobilisé un scénographe venu du Cameroun (Keulion), un régisseur son et lumière venu de la France (Quentet Trehet), assisté d’un technicien venu de la Côte-d’Ivoire (Swan Datche) et d’un metteur en scène en provenance du Burkina Faso (Damsou Houlouna Maxime). Avec 19 artistes sur scène, notamment des chanteurs, chanteuses, rappeurs et slameurs (Sultan, Dai’son, Mélodji, Bouchra, M’ress, Imam T. Omarson et Tchadiano), des danseurs et danseuses (André, Fabien, Arnold, Weikaly, Clotaire, Bertine et Josiane), et les instrumentistes (Dicko, Julio, Ricky et M’rayam).
Roy Moussa
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